En octobre 2000, la Commission européenne sort un livre vert intitulé ‘Vers une stratégie européenne de la sécurité d’approvisionnement énergétique’ (1). Alors en charge de la communication des recommandations de cette stratégie, Samuele Furfari a pour mission de véhiculer le triple message que propose la Commission pour que l’UE, fortement dépendante de l’énergie importée, assure quand même sa sécurité d’approvisionnement. Hélas la Commission elle-meme n’a pas suivi ses propres recommandation et sous l’impulsion de l’Allemagne, d’autre choix ont été faits. Dans une interview exclusive pour EuropeanScientist le professeur Furfari – également Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels et auteur de nombreux ouvrages sur l’énergie – revient sur cet épisode et nous explique les impacts sur les événements tragiques que vit actuellement le continent européen.
The EuropeanScientist : Cela fait des années que vous avertissez sur le danger de l’EnergieWende, la transition énergétique allemande, et la dangereuse dépendance au gaz russe. Pourquoi ? Quel lien voyez-vous avec la guerre en Ukraine ?
Samuele Furfari : En octobre 2000, j’ai eu le privilège d’être en charge de la communication du livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique de la Commission européenne. Nous avions mis en évidence à cette époque, l’indispensable « diversification » si nous voulions assurer une sécurité d’approvisionnement énergétique. Il y avait trois types de diversifications : la diversification des sources d’énergie (ne pas mettre tous les œufs dans le même panier). L’Allemagne a choisi de supprimer le nucléaire, le charbon et a voulu tout miser sur les énergies renouvelables. Et en attendant, il a bien fallu du gaz, car les énergies renouvelables sont intermittentes et variables. Ce fut une première erreur de l’Allemagne. Notre deuxième recommandation consistait à diversifier les pays : l’Allemagne a choisi de se concentrer sur la Russie. 60 % du gaz qui arrive de Russie en Allemagne c’est beaucoup trop. L’Allemagne a négligé la diversification des pays d’origine. La troisième diversification recommandée par le livre vert était la diversification des routes d’approvisionnement. L’Allemagne avait compris qu’il ne fallait pas se contenter des gazoducs Yamal-Europe ou Fraternité qui viennent de Russie et traversent l’Ukraine et/ou la Pologne et donc c’était bien vu de diversifier en passant par la mer Baltique et le Nord Stream 1…. Par contre là où ils se sont trompés, c’est qu’ils n’ont construit aucun terminal gazier pour importer du gaz qui vient de loin (du Qatar, du Pérou, des États-Unis,…) Il faut dire qu’il y avait des propositions de construction de terminaux, mais les Grünen se sont opposés, car cela aurait voulu dire qu’il fallait continuer de se contenter des énergies fossiles. Donc l’Allemagne a négligé sa sécurité d’approvisionnement énergétique et a suivi les Grünen dans leurs dérives extrémistes. La conséquence avec l’Ukraine était que monsieur Vladimir Poutine avait toutes les cartes en main pour créer des difficultés à l’UE.
TES. : Le conflit actuel sonne-t-il le glas du « Green Deal » européen ?
S.F. : Le Green deal est apparu comme une idée éminemment sympathique, demain on rase gratis, tout va être vert et beau… en parole tout cela est très facile. La réalité du monde est bien autre. Les prix qui explosent aujourd’hui sont la conséquence de nos incontournables dépendances des énergies fossiles… et pendant longtemps. Monsieur Poutine sait très bien qu’il n’y a qu’à Bruxelles et Strasbourg qu’on ignore ou feint d’ignorer ces réalités. Le monde dépend à 85 % des énergies fossiles, comment voulez-vous qu’on change de réalité du jour au lendemain ? D’autant plus que ce n’est pas à cause du changement climatique qu’on s’est intéressé à toutes ces questions. C’est bien naïf de croire que c’est la décarbonisation qui nous force à nous passer des énergies fossiles. On l’avait déjà très bien compris en 1973 et en 1979, lors des chocs pétroliers, la vision était claire : réduire la dépendance énergétique en faisant confiance aux énergies renouvelables et en augmentant notre capacité énergétique et qu’a-t-on fait en presque 50 ans ? On a augmenté notre consommation énergétique et en plus on est arrivé à produire 2,9 % de notre bilan en énergie primaire avec de l’éolien et du solaire. Alors faire croire aux gens que nous allons passer à 40 % d’ENR en 2030 et 100 % en 2050 cela relève de la politique d’affichage et non pas de la réalité. Donc il y a longtemps que nous aurions dû revoir ce Green Deal, mais peut-être que la terrible crise énergétique dans laquelle nous sommes en train de nous enfoncer montre que nous avons besoin d’énergie fossile, d’énergie nucléaire et aussi pourquoi pas d’énergies renouvelables. Le Green Deal est manichéen et n’a pas sa place.
TES. : Quelles alternatives voyez-vous pour l’Europe en matière de politique énergétique ?
S.F. : Il faut revenir au livre vert mentionné dans la première question. Il faut revenir à la diversification de toutes les énergies. On a besoin de beaucoup d’énergie dans le monde et dans l’UE, faire croire que nous allons réduire nos consommations d’énergie est un leurre. La population croissante, la récupération du retard économique de plusieurs milliards d’habitants sur terre font que la consommation d’énergie ne peut que croitre et cette croissance se fera avec des énergies nucléaires et fossiles et non pas avec des énergies renouvelables, ces dernières prendront une part secondaire par rapport à tout le reste. Et donc la solution est de croire aux besoins de tous les types d’énergies. L’UE a fait une erreur en bannissant le charbon, alors que le livre vert disait qu’il fallait garder « un socle » stratégique. Elle a voulu bannir le nucléaire également, mais s’est partiellement rétractée dans sa taxonomie verte révisée ; n’oublions pas toutefois que dans les lignes directrices des aides d’état que la Commission européenne a adoptées en janvier dernier seules les aides d’état en faveur des énergies renouvelables sont autorisées… et de manière généreuse. Il faut réhabiliter l’électricité nucléaire non pas du bout des lèvres, mais avec enthousiasme pour attirer des jeunes dans ce métier d’avenir. On ne peut laisser l’avenir de la production d’électricité aux Chinois, Russes et Coréens.
Donc de nouveau, la Commission a choisi un type d’énergie. C’est une erreur stratégique qu’elle-même avait déjà dénoncée en 2000.
Par ailleurs, il est urgent de supprimer toutes les restrictions nationales à la prospection et la production d’hydrocarbures. En Espagne, l’an dernier, le gouvernement Sanchez a interdit la prospection. En Italie, les écologistes et le Mouvement 5 étoiles ne cessent de réclamer l’arrêt — l’arrêt ! — de la production de gaz naturel encore disponible.
Parmi les bannissements, il y a aussi celui de la production de pétrole et gaz de roche-mère (érrronément appelé de schiste). Une aberration alors que les États-Unis en profitent bien. On importe déjà du gaz américains sous forme de LNG mais il est interdit d’en prospecter dans l’UE. Moi je ne comprends pas cette logique, sauf à être hypocrites en se disant que la pollution reste aux États-Unis ; mais cet argument est faux, car comme je le montre dans mes livres il n’y a pas de pollution due à la fracturation hydraulique, une technologie autorisée dans la géothermie.
TES. : Quelles sont les conséquences pour la politique énergétique au niveau mondial ? Pourrait-on voir émerger d’autres conflits liés à l’énergie ?
S.F. : Merci pour cette question. Le monde court vers une demande d’énergie croissante. Tous les pays consommateurs du monde hors UE s’organisent pour assurer leur sécurité d’approvisionnement énergétique. Tous les pays producteurs du monde s’activent pour fournir toute l’énergie nécessaire à la marche du monde.
Comment voulez-vous que des pays qui souffrent d’un manque de travail endémique comme en Afrique ou l’Inde et autres pays asiatiques puissent se développer sans énergie abondante et bon marché comme l’avaient dit les pères fondateurs de l’UE en 1955 ? Le monde a besoin d’énergie peu chère, abondante et bon marché. L’énergie la moins chère de toutes c’est le charbon. En France, on a beaucoup parlé de Scott Morrison, le Premier ministre australien, à l’occasion de l’affaire des sous-marins nucléaires. On aurait aussi dû dire qu’à peu près au même moment, il a déclaré au parlement fédéral de Cambera, en brandissant un bloc de charbon à la main, que son pays produira tout le charbon que le marché mondial demandera. Le monde va continuer d’utiliser du charbon, beaucoup de charbon, sans se préoccuper des émissions de CO2. Penser que nous allons convaincre les autres à nous suivre dans la décarbonation que nous nous imposons est puéril. D’ailleurs, vous avez bien vu qu’on en est à 26 COP toujours pour un résultat nul puisque depuis l’adoption de la convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique les émissions mondiales de CO2 ont augmenté de 58 %. Faut-il arriver à 99 COP pour s’en rendre compte ? Non, le monde a besoin d’énergie et on doit en tenir compte. Nous qui ne représentons que 9 % des émissions mondiales de CO2, nous pouvons éliminer nos émissions de CO2, créer une désindustrialisation voire de la décroissance comme certains l’exigent « pour ne pas aller dans le mur » imaginaire, et avoir un chômage important. Le monde continuera lui d’utiliser de l’énergie fossile et nucléaire.
La guerre en Ukraine ne pointe le doigt que sur l’UE qui a voulu avoir une politique monocorde. Tandis que les autres utilisent toutes les énergies. On entend souvent dire que la Chine développe les ENR. Mais la Chine développe toutes les énergies : le pétrole, le gaz naturel, le charbon, l’énergie nucléaire, les ENR. Elle dispose de 28 terminaux gaziers, la France trois et l’Allemagne aucun. Elle fait ce que la Commission avait recommandé en 2000. Il y aura d’autres conflits bien entendu parce que la géopolitique dépend des approvisionnements énergétiques, on ne peut pas s’en passer et l’on doit absolument gérer, maitriser, l’indépendance énergétique, comme on l’avait fait dans le passé et comme il est urgent de le refaire. C’est ce que fait la Chine en travaillant avec tous les autres producteurs d’énergie.
(1) Livre Vert, Vers une stratégie européenne de la sécurité d’approvisionnement énergétique
Ouvrages de Samuele Furfari
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Bonjour,
Donc… Janvovici a tout faux ?? 😎