Le parc électrique français, plus gros exportateur mondial [1] quasiment chaque année depuis 1990, fait encore état d’un solde exportateur net de plus de 3,5 milliards d’euros ces 12 derniers mois sur le site des douanes françaises.
Le développement du chauffage électrique fragilise cependant notre sécurité d’approvisionnement. En effet, chaque degré de température en moins entraîne en hiver une consommation de 2400MW supplémentaires selon RTE [2]. Pour autant, notre parc nucléaire, déjà amorti financièrement, permettait d’envisager sereinement l’avenir, grâce à sa production bon marché, abondante, programmable et décarbonée.
Le développement d’énergies plus aléatoire, ainsi que la mutualisation européenne croissante de leur production, grâce à des objectifs – non contraignants – [3] d’interconnexions, ne doivent pas occulter les besoins en moyens pilotables nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement.
L’avertissement
Le 22 juin 2007, André-Claude Lacoste, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) mettait pourtant en garde le Gouvernement [4] sur la nécessité de disposer de capacités de production électrique suffisantes pour gérer sereinement les réexamens de sûreté des réacteurs nucléaires. Et concluait par cette menace non voilée : « Il importe donc que le renouvellement des moyens de production électrique, quel que soit le mode de production, soit convenablement préparé afin d’éviter l’apparition d’une situation où les impératifs de sûreté nucléaire et d’approvisionnement énergétique seraient en concurrence. »
Sourde à ses avertissements, la France se permettait de prendre la direction inverse en fermant les 2 réacteurs de Fessenheim, pourtant jugés parmi les plus sûrs par l’autorité de sûreté nucléaire, et pariait sur le « foisonnement » des énergies renouvelables pour faire face aux pointes de consommation hivernales.
Aujourd’hui
La crise sanitaire étant venue perturber la programmation du calendrier de maintenance des réacteurs, c’est aujourd’hui rien moins que 16 845 MW nucléaires qui font défaut [5] au parc électrique avant les grands froids, prévus généralement par le gestionnaire du réseau européen (Entsoe) pour la seconde semaine de février.
La situation est d’ailleurs identique pour des centrales à gaz, comme Landivisiau ou Martigues, que ces arrêts soient planifiés, comme pour la STEP hydraulique de Montezic 2, ou Grand Maison 9 et 10, ou fortuite comme Montezic 1.
Et le graphique ci dessous de RTE (Eco2mix) [6] illustre la situation exceptionnelle du statut régulièrement importateur de la France depuis le 15novembre, et surtout l’importance de ces importations quasi continues depuis que les températures ont commencé à baisser. Ces importations, qui atteignent 11415MW étant figurées au dessus de la ligne horizontale et les exportations en dessous.
Quand la divergence des cours trahit la saturation des interconnexions
Les prix spot du MWh sont entraînés sur les marchés par le coût marginal de la dernière centrale appelée pour satisfaire la demande. Celle-ci fonctionnant généralement hors de nos frontières avec du combustible fossile, l’envolée des prix des matières premières, et notamment du gaz, ainsi que celle du CO2, s’est répercutée sur le cours du MWh.
Et les interconnexions font généralement converger ces cours pour les acheteurs français.
En effet dans son rapport de juillet 2018 [7] sur les interconnexions, la CRE explique qu’ « une interconnexion est gérée efficacement si elle est utilisée tant qu’il existe un différentiel de prix entre les deux pays qu’elle connecte. Une faible occurrence de la saturation d’une interconnexion implique alors un taux de convergence des prix important entre les deux places de marché. »
La divergence de ces cours signifiant alors que les interconnexions sont saturées.
En pareil cas, l’équilibre ne peut plus provenir à meilleur prix de l’étranger et dépend notamment de moyens d’extrême pointe, extrêmement coûteux, et désormais remplacés par le mécanisme de capacité [8], qui ne l’est pas moins avec des ordres de 3000€/MWh.
Alors que la baisse des températures, pourtant modeste a amené la consommation à dépasser 80 GW ce lundi 29/11, avec une pointe de 81 784MW à 19 heures, on assiste depuis quelques jours à une situation inédite qui fait connaître régulièrement à la France des records sur les prix, comme le montre, ci-dessous, le site d’Epex Spot [9].
Si les froids rigoureux qui restent à craindre cet hiver s’accompagnent d’une période anticyclonique, c’est-à-dire sans vent, nos éoliennes ne seront pas d’un bien plus grand secours que nos panneaux photovoltaïques, le soleil étant couché bien avant les pics de consommation de 19 heures. Et les interconnexions seront assurément saturées bien avant de permettre l’équilibre offre-demande.
En admettant toutefois que nos voisins, dans la même situation, ne cherchent pas eux-mêmes à importer du courant.
Pilotable et aléatoire, le grand écart
C’est pourquoi EDF s’efforce aujourd’hui de programmer ses opérations de maintenance pour aborder la période la plus froide dans les conditions les moins mauvaises possibles, malgré le manque d’anticipation politique du renouvellement de ses moyens de production.
Plutôt que se justifier par un quelconque « foisonnement » de ses réacteurs, en vertu duquel il y aurait toujours bien une production nucléaire quelque part.
Prétexte pourtant classique quand il s’agit d’énergies renouvelables.
1 https://yearbook.enerdata.net/electricity/electricity-balance-trade.html
2 https://bilan-electrique-2019.rte-france.com/sensibilite-a-la-temperature-et-aux-usages/#
4 http://www.senat.fr/rap/r06-357-2/r06-357-24.html
6 https://www.rte-france.com/eco2mix/la-production-delectricite-par-filiere
9 https://www.epexspot.com/en/market-data
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