Historiquement produite par BP depuis 73 ans (première version en 1951) mais reprise depuis deux ans par l’Energy Institute d’Edimbourg, la célèbre base de données Statistical Review of World Energy est l’une des principales références mondiales en termes d’énergie. La version 2024 intégrant les données 2023 a été dévoilée par l’EI le 20 juin. L’occasion pour l’Institut Sapiens d’analyser les grandes tendances mondiales.
Entre 2022 et 2023 :
- La consommation d’énergie primaire s’accroit de 2% et passe pour la première fois la barrière des 170 PWh,
- La consommation d’énergies fossiles continue de croitre battant en 2023 les records historiques de 2022 avec 100 millions de baril de pétrole par jour et 9 milliards de tonnes de charbon. La consommation de gaz reste stationnaire.
- La part des fossiles dans le mix énergétique mondial se contracte de 0,4% par rapport à 2022 à 81,5% (Figure 1 – gauche). Il était de 84% en 2015 lors de la COP 21 de 2015. En 2023 les échanges internationaux de pétrole, de gaz et de charbon étaient supérieurs de 53% à ce qu’ils étaient en 2000
- Les émissions de GES liées à l’énergie dépassent pour la première fois les 35 milliards de tonnes en progression de 2,1% en un an et de 8% depuis la COP21 de 2015.
- La consommation d’électricité est elle aussi en forte progression (+2%) avec un déploiement inédit de puissance installée solaire (+32,2%) et éolienne (+13%). Le nucléaire progresse quant à lui de 2,3% principalement en Chine (+4%). Malgré ce déploiement inédit qui pourra difficilement être reproduit au cours des années futures, les énergies décarbonées ne couvrent pourtant que 40% de l’accroissement d’énergie primaire contre 60% pour les énergies fossiles (Figure 1 – droite).
- Les différences entre les pays de l’OCDE (Europe et dans une moindre mesure Etats-Unis) et les pays non-OCDE (Chine et Inde en tête) sont édifiantes (Figure 2)
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- Tous les indicateurs fossiles baissent sensiblement dans les pays de l’OCDE. La part fossile y représente dorénavant 76% du mix. En Europe la part fossile (68%) passe pour la première fois sous les 70% avec un recul spectaculaire du charbon (-20,4%) et du gaz (-7%)
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- Tous les indicateurs fossiles augmentent fortement dans les pays non-OCDE (84% du mix) avec notamment un accroissement de 4,9% de la consommation de pétrole et de 4,7% de la consommation de charbon.
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- La Chine est le principal contributeur avec + 4,5% d’émissions, +10,7% de pétrole et +4,7% de charbon. L’Inde quant à elle accroit ses émissions de 14,6% record mondial depuis 10 ans.
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- Alors que la consommation d’électricité s’accroit de 5,1% dans les pays non-OCDE (Chine +6,9%), elle baisse de 1,5% dans les pays de l’OCDE (dont -2,7% en Europe)
Si certains s’accrochent encore dans leur discours à l’Accord de Paris, à l’arrêt des énergies fossiles et à la possibilité d’un Net Zéro carbone à l’horizon 2050, le Statistical Review of World Energy 2024 devrait balayer définitivement leurs illusions perdues.
Malgré des efforts considérables (+55% de puissance solaire et +20,7% de puissance éolienne en Chine) et une volonté de décarbonation accélérée dans les pays de l’OCDE en général, en Europe en particulier, le monde porté par la croissance des émergents continue d’accroitre significativement ses émissions. Si la volonté légitime de développement des pays émergents s’avère peu compatible avec une transition énergétique rapide, elle n’est pas la seule cause de l’échec.
En dix ans, le panorama géopolitique a radicalement changé. La chute du Mur nous avait naïvement fait croire à l’émergence d’un nouveau monde multilatéraliste solidaire et vertueux. Crise des « subprimes » et des dettes souveraines, pandémie du COVID 19, conflit russo-ukrainien, montée du nationalisme en Europe et retour aux affaires de Donald Trump…les vieux démons ont rapidement repris leurs droits. Le monde a glissé vers une nouvelle logique de blocs bien plus instable que ne le fût jadis la guerre froide. Une logique totalement incompatible avec une décarbonation nécessairement mondiale.
Pour couronner ce constat sans appel, la filière verte européenne subit un véritable tsunami. La hausse des taux d’intérêt et des matières première ont réduit encore un peu plus les taux de rentabilité de projets déjà fort peu économiques. Une filière aujourd’hui sous perfusion publique au sein d’Etats qui n’on jamais été aussi endettés. Cette grande difficulté économique de la filière en Europe et aux US associée à l’arrivée au pouvoir de nombreux gouvernement nationalistes souvent anti ENR voire climatosceptiques pourrait réduire sensiblement la croissance de la puissance installée au cours des prochaines années. Les données 2024 qui seront disponibles en juin 2025 seront à cet égard déterminantes.
Ces chiffres confortent les conclusions de l’étude Sapiens produite en début d’année : sauf à imaginer un renversement plus qu’improbable au cours des prochaines années, la décarbonation de l’économie aura lieu à un rythme beaucoup plus lent que décrété au départ. Qu’on le veuille ou non le mix énergétique 2050 contiendra encore une majorité de fossiles, le net zéro carbone étant reporté à bien plus tard.
L’échec de la décarbonation mondiale nécessite de rediriger massivement les investissements vers l’adaptation qui, par rapport à l’atténuation, a l’énorme avantage d’être territoriale. Assainissement du réseau de distribution d’eau, désartificialisation des sols, changement radical du modèle agricole tant du point de vue du producteur que du consommateur, déplacement programmé de populations résidant dans les zones sensibles, moyens de défense renforcés contre les feux de forêt et les vagues de chaleur, la tâche est immense.
Image par Rosy / Bad Homburg / Germany de Pixabay
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