L’équipe du Joint European Torus (JET) situé à Culham près d’Oxford vient de réaliser un pas en avant dans le progrès scientifique en matière de fusion nucléaire. Rappelons que la fusion atomique consiste à libérer de l’énergie par la diminution de la masse de deux atomes légers (deutérium et tritium, des isotopes de l’hydrogène) lorsqu’ils fusionnent en atomes d’hélium. Tandis que la fission est la libération d’énergie d’atomes lourds comme l’uranium qui se séparent en éléments plus légers, ce changement de masse libérant des quantités gigantesques d’énergie. Dans les deux cas, ces réactions répondent à la fameuse équation d’Einstein E= mc2.
Au JET sont en cours des recherches sur la fusion depuis son inauguration il y a 38 ans. On tente de réaliser sur terre des réactions semblables à celles qui se déroulent dans le soleil. Pour permettre la fusion, il faut que les atomes soient à des températures de l’ordre de 150 millions de degrés, ce sont donc des plasmas à cette température. On comprend qu’aucun matériau ne peut résister à cette température, c’est pourquoi cette réaction doit avoir lieu dans un réacteur confiné magnétiquement. Cette immense chambre magnétique toroïdale composée d’aimants supraconducteurs est appelée un tokamak. Il s’agit d’un acronyme russe inventé par son concepteur, le dissident soviétique Andreï Sakharov qui obtint le prix Nobel de la paix en 1975.
L’expérience du JET a permis pour la première fois de générer 59 mégajoules (MJ) d’énergie, ce qui est beaucoup plus que le précédent record établi en 1997 lorsque cette machine produisit 16 MJ pendant 0,5 seconde. Vingt-cinq ans séparent ces expériences tellement, entre ces deux succès, il y a eu une recherche de pointe pour faire progresser le savoir et la technologie.
Jef Ongena, un des meilleurs experts en fission nucléaire et qui travaille à l’école militaire de Belgique et au centre de recherche nucléaire de Jüllich (près d’Aix-la-Chapelle), estime que cette avancée est un triple succès. D’abord, le JET est le plus grand réacteur à fusion du monde qui a obtenu un record mondial de durée et de puissance. Ensuite, c’est un succès pour l’UE et plus particulièrement du Traité Euratom signé à Rome en 1957, car malgré le Brexit le projet est resté européen. Et enfin, il s’agit d’une étape qui va permettre d’accélérer la mise en œuvre du projet ITER, car le JET fonctionne dans des conditions technologiques semblables à celles d’ITER le jour où il fonctionnera.
Le but des expériences de fusion est d’auto-générer du deutérium et de tritium afin que la réaction se poursuive. C’est l’un des objectifs du projet ITER, mais les expériences au JET n’ont pas cet objectif.
Il faut toutefois noter que malgré ce succès énorme le réacteur n’a fonctionné que cinq secondes générant 11 à 12 MJ chaque seconde pour un total de 59 MJ ce qui représente 16 kWh soit l’énergie de 1,4 litre d’essence. Mais pour obtenir cette énergie de fission, il a fallu en dépenser trois fois plus d’énergie électrique. C’est nettement mieux que dans l’expérience précédente lorsqu’il avait fallu en utiliser dix fois plus.
Cette remarque n’est pas apportée pour diminuer l’ampleur du succès, mais pour bien montrer que pour l’instant il s’agit uniquement de recherche et qu’il ne faut pas utiliser la fusion nucléaire comme fuite en avant dans la course à la transition énergétique.
Le projet ITER en cours de construction à Cadarache (près d’Aix-en-Provence) est lui aussi un outil expérimental. Il vise à démontrer la faisabilité d’’autoalimenter en tritium le réacteur à une température de 150 millions de degrés. Il est tellement éloigné de toute application industrielle qu’UE, Russie, Chine, Corée du Sud, Japon, Inde et États-Unis y collaborent en partageant le savoir-faire qui sera acquis. L’UE apporte environ 45 % du budget et les autres pays chacun environ 9 %. À nouveau, comme pour le JET, il faudra des années d’expérimentation avant de pouvoir passer à la phase suivante. Tout cela sert à étudier la physique et commencer à concevoir des réacteurs du futur. C’est pourquoi une éventuelle application à la génération d’énergie ne sera pas réalisable avant probablement 50 années. C’est le rythme de la science ; financements, législations et coopération internationale ne réduisent pas nécessairement les temps de la découverte.
On présente la fusion nucléaire comme une énergie du futur et infinie. Il faudra démontrer la faisabilité et surtout vérifier que l’on récupérera plus d’énergie que celle qui est indispensable pour maintenir la proximité des éléments qui doivent fusionner.
Mais il y a une énergie qui est elle aussi infinie, mais qui elle existe déjà. On est en pleine actualité, puisqu’il s’agit de la fission nucléaire communément appelée énergie nucléaire. Elle aussi est un succès du traité Euratom qui découla de la constations des pères fondateurs de l’UE lorsque réunis à Messine les 2 et 3 juin 1955 constatèrent qu’il n’y aura pas d’avenir sans énergie abondante et bon marché c’est-à-dire sans énergie nucléaire.
Saluons le progrès scientifique réalisé au JET, augurons encore mieux pour le projet ITER, mais rappelons-nous que la Commission européenne a permis la promotion — c’est le terme employé dans le traité Euratom — de l’énergie nucléaire. Elle a un avenir certain, immédiat et en plein développement. Dans son règlement du 2 février 2022 sur la taxonomie verte qui reconnait l’énergie nucléaire comme répondant aux exigences du développement durable, la Commission européenne considère que « les activités liées à l’énergie nucléaire sont des activités à faible intensité de carbone […] Ces activités économiques liées à l’énergie nucléaire devraient être qualifiées [d’éligibles] en l’absence d’alternatives à faible émission de carbone technologiquement et économiquement réalisables à une échelle suffisante pour couvrir la demande d’énergie de manière continue et fiable. […], En outre, les preuves de la contribution potentielle substantielle de l’énergie nucléaire aux objectifs d’atténuation du changement climatique sont nombreuses et claires ».
Quant à l’épouvantail des déchets, la Commission explique que leur stockage à long terme et de l’élimination finale, les « critères de sélection technique devraient donc refléter les normes les plus élevées en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection et de gestion des déchets radioactifs, en s’appuyant sur les exigences fixées dans le traité instituant le traité Euratom […]. Ces exigences garantissent que l’impact des risques extrêmes d’origine humaine et naturelle, y compris les tremblements de terre et les inondations, est réduit au minimum et que les accidents, les opérations anormales et les défaillances ou la perte des systèmes de contrôle sont évités ».
Saluons la volte-face du président Emmanuel Macron qui, à l’instar de la Commission européenne, semble avoir admis ― après avoir cru trop longtemps au tout renouvelable ― que l’énergie nucléaire est l’avenir incontournable de l’électricité si l’on veut offrir à la population mondiale une électricité abondante et bon marché.
Revenons au succès de l’UE réalisé au JET. C’est Donato Palumbo, un physicien italien qui a été à la base du concept tout au début des années 1960. Entré à la Commission européenne, il a porté ce projet en forçant la coopération entre les États membres. En 1984, lors de l’inauguration du JET, à la reine Élisabeth II qui lui demanda comment il avait fait pour réussir à faire coopérer autant de pays, il répondit « Majesté… en désobéissant ». La reine impressionnée se tournant vers Etienne Davignon, le Commissaire européen responsable de l’énergie, lui suggéra d’apporter les financements à cette recherche. Plus tard, Palumbo parla de cet évènement avec le professeur Vandenplass de l’école militaire belge qui lui en informa le roi Baudoin de Belgique. Etienne Davignon convoqua Palumbo et lui dit que la prochaine fois qu’il se plaindra auprès de souverains il sera licencié.
Évoquer Sakharov et Palumbo nous permet de rappeler que la science progresse grâce à des hommes de sciences qui ont en plus du savoir, de la détermination et du courage.
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