European Scientist a eu l’occasion d’interviewer Philippe Charlez qui nous explique pourquoi le nationalisme est un obstacle à la transition énergétique.
European Scientist : Selon-vous la transition énergétique repose sur une bonne articulation des trois piliers du développement durable
Philippe Charlez : le développement durable a vu le jour à la fin des années 80, à la suite du rapport Brundland publié dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies. Il repose sur trois piliers complémentaire mais non substituables : l’économique, l’environnemental et le sociétal. Son objectif est de trouver un mode de fonctionnement qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».
La transition énergétique s’inscrit clairement dans cet objectif. Elle repose également sur trois piliers en parfaite bijection avec ceux du DD : la problématique climatique est environnementale, la compétitivité des entreprises est économique et enfin la sécurité énergétique est sociétale. Patrick Pouyanné, Président de Total rappelle d’ailleurs souvent que l’énergie doit être « propre, abordable et disponible ».
ES : Pourquoi le nationalisme est-il le principal obstacle à l’accomplissement de cet objectif ?
PC : Parmi les trois piliers évoqués à l’instant, il y a, vous l’aurez remarqué, un pilier global qui est le climat, et deux piliers profondément nationaux, la sécurité énergétique et la compétitivité des entreprises. Plus la politique d’un pays est nationaliste, plus elle aura tendance à renforcer la sécurité et la compétitivité au dépens du climat.
Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette idée. Ainsi, quand Donald Trump se retire des accords de la COP21 et considère que »la transition énergétique n’est favorable ni à la sécurité énergétique américaine, ni aux entreprises américaines et encore moins aux contribuables américains » il nous en offre une parfaite démonstration.
Un autre exemple est la Pologne, dont 90% de la production électrique repose sur son charbon domestique extrait de ses célèbres mines de Silésie. La priorité des polonais n’est pas aujourd’hui de réduire leur consommation charbonnière mais d’éviter par tous les moyens d’augmenter leur dépendance gazière vis-à-vis de l’ex « grand frère » russe. Les Polonais gardent particulièrement en mémoire le funeste traité du 23 août 1939 quand Ribbentrop et Molotov décrétèrent le « quatrième partage de la Pologne ». Ils ne peuvent oublier leur asservissement à Moscou durant la guerre froide
On voit donc bien que plus un pays définit sa stratégie énergétique sur des critères nationalistes (sécurité, économie) plus il s’éloigne du pilier climatique.
ES : Quelle est l’attitude de l’Union Européenne par rapport à votre thèse ?
PC : Si elle veut accélérer sa transition, l’UE doit mettre en œuvre une politique énergétique commune. Pourtant, sous prétexte d’héritages séculaires, chaque Etat Membre continue de construire sa propre stratégie. Pendant que l’Allemagne charbonnière donne des gages aux puissants lobbies écologistes en se retirant du nucléaire mais recommence à importer massivement du charbon et que la France nucléaire referme définitivement sur son sol l’exploitation des hydrocarbures, la Grande-Bretagne gazière adopte, la fiscalité la plus favorable au monde pour encourager sur son sol le développement des gaz de schistes. Limiter, ne fut-ce que partiellement, notre facture énergétique pour renouer avec une croissance durable n’est pas vraiment compatible avec des politiques énergétiques discordantes envoyant vers l’opinion publique des messages contradictoires. L’Europe a besoin sur ce sujet clé d’un débat serein, responsable et surtout coordonné s’appuyant sur des données objectives.
Relancer la construction européenne passe d’abord et avant tout par l’émergence d’un socle commun articulé autour de quelques projets structurants rejoignant à la fois les préoccupations des peuples et les défis du monde futur. Ainsi, l’Europe apparait-elle comme l’espace naturel dans lequel devrait s’inscrire une transition énergétique fédérale conciliant réduction des émissions, compétitivité des entreprises et sécurité d’approvisionnement et oubliant pour un temps les égoïsmes nationaux. Protection de l’Euro par rapport au Dollar, règles et normes communes, coordination de l’action des Etats membres, sécurité énergétique grâce à l’interconnexion des réseaux de gaz et d’électricité, mutualisation de la R&D sur les renouvelables, le stockage de l’énergie et la captation/stockage du carbone sont autant de thématiques structurantes capables de relancer le projet européen.
On ne peut donc que saluer l’initiative du nouveau président du Conseil Européen Donald Tusk qui, en mai 2014 a proposé, sur fond de crise ukrainienne, de créer l’Union Européenne de l’Energie. De même l’européanisme assumé du président Macron représente-t-il un réel grand espoir de progrès. Mais, les résistances nationalistes restent très présentes surtout au sein des pays de l’Est pour qui un abandon de souveraineté à une possible Europe fédérale serait ressenti un remake de leur douloureuse soumission à l’ancienne URSS.
Philippe Charlez : Ingénieur des Mines de l’Ecole Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l’IPG Paris. Il rejoint l’industrie pétrolière en 1982 où il occupe de nombreux postes opérationnels et de direction en France, en Ecosse, en Angola et au Kazakhstan. Expert énergéticien spécialiste des ressources non conventionnelles et de la transition énergétique il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’énergie. Il a récemment publié «Our Energy Future is not Set in Stone» (2014) «Gaz et pétrole de schiste en questions » (2015) Editions Technip et «Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle» (2017) Editions De Boek Supérieur.
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