Alors que le scrutin des élections européennes approche à grands pas et que l’Europe de l’énergie suscite une quantité de débats et de désaccords entre les membres de l’UE, des scientifiques experts énergéticiens se sont regroupés avec des ONG militantes pour écrire une lettre ouverte au Président de la République, afin de réclamer un moratoire sur l’éolien industriel terrestre et maritime. Dans ce texte les auteurs dénoncent l’inutilité des ENR (éolien et solaire) ainsi qu’une « industrialisation à marche forcée de la ruralité ». Bernard Durand est l’un des principaux protagonistes de cette initiative. Membre actif de l’association française « Sauvons le climat » et auteur de plusieurs ouvrages dont « Un vent de folie. L’éolien en France : mensonge et arnaque ?”, ce géochimiste de formation a occupé les plus hauts postes dans le secteur de l’énergie et est auteur de nombreux livres à ce sujet ; il nous explique ici pourquoi il est inutile et absurde de couvrir le territoire d’éoliennes. Un exposé didactique qui permet de dépasser le simple avis de ceux qui en veulent bien chez les autres mais pas dans leur jardin.
The European Scientist : Vous êtes un de ceux qui sont à l’origine d’un courrier au président de la République pour le sensibiliser sur l’inutilité de l’éolien en France. Pourquoi cette initiative ? Quels sont vos partenaires ?
Bernard Durand : Les industriels et ceux qui les soutiennent, partis politiques, élus, dirigeants, financiers …, nous affirment que l’éolien est indispensable en France : pour lutter contre le réchauffement climatique, pour produire de l’électricité peu chère, pour réindustrialiser la France, pour créer de l’emploi , etc… Les médias grands publics, y compris la télévision publique (payée par nos impôts) se sont mis à leur service. Ces « arguments » sont diffusés ad nauseam par tous les moyens publicitaires possibles pour créer des réflexes pavloviens dans l’opinion. Or tous sont faux. Il s’agit là d’une imposture qui prend en otage des gens de bonne volonté mais peu informés des réalités de l’éolien, et il s’agit sans doute là du plus important racket financier de ce siècle, au détriment des citoyens de ce pays.
Par cette initiative nous espérons contribuer à le faire enfin comprendre, non pas à notre gouvernement – qui en fait le sait, mais ne veut pas agir en conséquence – parce qu’il est bien difficile de faire admettre au Roi qu’il est nu et que trop de puissants intérêts sont maintenant en jeu, mais à ceux qui liront cette lettre et qui la diffuseront de proche en proche.
Le groupe à l’origine de cette initiative est constitué d’ingénieurs connaissant bien les lois de la physique et le fonctionnement des réseaux électriques, et de personnes qui combattent l’éolien sur le terrain.
TES: Beaucoup d’associations anti-éoliennes se contentent selon vous d’une position « NIMBY » (Pas dans mon arrière-cour ») pourquoi cela est-il insuffisant ?
B.D. : Ne pas vouloir d’éolien chez soi parce qu’il vous dérange mais l’accepter chez les autres au prétexte qu’il faut bien le mettre quelque part puisque tout le monde dit qu’il est indispensable est d’un égoïsme féroce et au final inefficace, même si çà et là certains arriveront à éloigner les éoliennes de chez eux au nom de la défense de l’environnement, de celle du patrimoine et de la santé des riverains, toutes choses au demeurant fort importantes. Mais si les associations anti éoliennes comprennent enfin que l’éolien est inutile en France, ce sera pour elles un thème fédérateur et elles pourront alors agir collectivement et non séparément.
Et comment peut-on accepter ce massacre même ailleurs que chez soi s’il n’a aucune contrepartie positive ? .
TES. : Vous affirmez critiquer l’éolien non sur les bases de convictions politiques, mais de raisonnement d’ingénieurs qui s’appuie sur les lois de la physique. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont ces lois ? Pourquoi l’éolien est inutile selon ces principes ? De quelles alternatives disposons-nous pour produire une énergie décarbonée, abondante et bon marché ?
B.D. : Il n’y a aucune visée politique dans notre démarche autre que celle qui consiste à essayer de faire enfin comprendre à nos politiques que du fait des lois de la physique l’éolien ne sert à rien en France, coûte très cher à la collectivité et ne peut nous amener que des ennuis.
Il faut bien comprendre en premier lieu que la stabilité de notre réseau électrique n’est assurée que si en tous lieux et à chaque instant la puissance électrique produite par l’ensemble des centrales électriques branchées sur le réseau est égale à la puissance appelée par les consommateurs, dans des limites extrêmement étroites, de l’ordre du %. Or la puissance électrique délivrée par un parc éolien fluctue considérablement, très rapidement et de façon aléatoire en fonction de la puissance du vent.
Un parc éolien est une centrale électrique dite non pilotable, parce qu’elle produit de l’électricité en fonction de la météo et non de la volonté humaine. La puissance électrique ainsi produite n’a aucune chance d’être égale à chaque instant à la puissance appelée. Il est impossible par conséquent d’alimenter un réseau uniquement avec des parcs éoliens, ce serait le blackout permanent. Il faut leur associer des centrales pilotables, c’est-à-dire dont la puissance peut être contrôlée par un opérateur, centrales nucléaires, hydroélectriques de lacs, à combustibles fossiles principalement) qui font la gymnastique nécessaire pour que la puissance totale ainsi produite soit à chaque instant rigoureusement égale à la puissance appelée par les consommateurs.
Or ces centrales pilotables pourraient parfaitement fournir à elles seules la puissance appelée. L’éolien est donc de ce point de vue parfaitement inutile. De plus il faut maintenant deux centrales au lieu d’une pour produire la même quantité d’électricité, créer de nouvelles lignes électriques et renforcer les anciennes, gérer ce système etc. Tout cela coûte très cher et fait automatiquement augmenter tout à fait inutilement le coût de production de notre électricité (1).
L’éolien n’a aussi en France aucun intérêt pour «décarboner» notre électricité, puisque celle-ci, produite essentiellement à partir d’énergie nucléaire et d’énergie hydraulique, est déjà de très loin la plus décarbonée de tous les grands pays industrialisés. Observons de plus que l’empreinte carbone du cycle de vie de l’éolien, environ 15 gCO2eq par kWh d’électricité produite, est selon l’ADEME supérieure à celle du nucléaire (4 g) et de l’hydroélectricité (6 g) qu’il remplace.
Les Français ont été persuadés pendant longtemps par une propagande de tous les instants que l’on pouvait éliminer les centrales nucléaires grâce à l’éolien. En réalité il n’en est rien parce qu’il est nécessaire d’associer en permanence aux parcs éoliens des centrales pilotables pour une puissance totale à peu près équivalente. L’hydroélectricité étant maintenant proche de ses limites en France et même en Europe, ces centrales pilotables ne peuvent guère être que des centrales nucléaires ou à combustibles fossiles.
Le choix pour la France n’est donc pas entre éolien ( et solaire photovoltaïque) et nucléaire, mais entre nucléaire et combustibles fossiles.
L’Allemagne a choisi les combustibles fossiles. D’un point de vue climatique, ce n’est pas brillant. Espérons pour le climat que nous aurons la sagesse de conserver et même, pour répondre aux besoins nouveaux, de développer notre nucléaire, en évitant le plus possible les combustibles fossiles pour produire notre électricité
TES : Pour vous l’argument selon lequel plus nous produisons d’électricités intermittentes ( éolien et solaire photovoltaïque) plus nous décarbonons est biaisé. Il y aurait bien d’autres investissements prioritaires pour décarboner. Quels sont-ils ?
B.D. : J’ai montré dans ma réponse à votre question précédente pourquoi l’éolien, mais c’est aussi vrai du solaire photovoltaïque, dégradera en fait le bilan carbone de notre électricité si l’on veut le développer au-delà de ce qu’il est actuellement, contrairement à ce qui nous est asséné en permanence. Il fera aussi automatiquement augmenter le coût de production de notre électricité.
Tous les spécialistes savent très bien et notre gouvernement sait aussi parfaitement mais agit comme s’il ne le savait pas, que la décarbonation de l’électricité grâce à l’éolien est un mythe. Comme on dit vulgairement, « on ne tond pas un œuf ». Pour décarboner nos activités il faut agir sur les secteurs qui sont de gros émetteurs : électrification des transports, à condition que l’électricité utilisée soit décarbonée, ce qui est pour l’instant encore notre cas, isolation thermique de l’habitat, recherche de procédés moins gourmands en combustibles fossiles dans certaines industries ( ciment, métallurgie …).
Miser sur l’éolien pour cela est une fantastique perte de temps et d’argent.
TES : Vous parlez d’une « industrialisation à marche forcée de la ruralité ». Pouvez-vous expliquer ? C’est une image qui se trouve à l’opposé des campagnes de ceux qui promeuvent l’éolien. Nous auraient-ils trompé ?
B.D.: L’appellation de parc éolien est un leurre. Cette appellation bucolique n’a rien à voir avec la réalité.
Il s’agit en fait d’une zone industrielle inhabitable, et c’est pourquoi nous parlons d’industrialisation de la ruralité. Et cette industrialisation se fait actuellement à marche forcée, facilitée par des lois et des décrets qui rendent les recours de plus en plus difficiles, pour étouffer la contestation. C’est en fait une véritable colonisation de nos espaces ruraux et maintenant maritimes, colonisation financée par des groupes financiers souvent étrangers qui se ruent sur la manne que constituent les subventions à l’éolien généreusement accordées par l’Etat par des contrats de 15 à 20 ans !
Dans les Hauts-de-France, dans le Grand Est, dans le Nord de la Charente-Maritime par exemple des villages entiers sont progressivement encerclés par des éoliennes géantes. Bien sûr, vu des Champs-Elysées, ce n’est pas gênant. Mais pour les gens affectés c’est un drame, et cela d’autant plus qu’ils n’en peuvent mais.
TES : Vous évoquez les risques de blackout liés à la production d’énergie intermittente. Certains pays de l’UE prévoient de pallier l’intermittence en relançant des centrales pilotables au gaz. Pourquoi parlez-vous d’imposture ?
B.D.: Il y a deux types de centrales pilotables à gaz utilisées pour produire de l’électricité :
1 les turbines à gaz, qui fonctionnent sur le principe des moteurs d’avions mais qui au lieu de produire une poussée font tourner une génératrice d’électricité. Elles sont très précieuses parce que l’on peut en faire très rapidement varier la puissance. Elles seraient donc bien adaptées pour compenser des variations très rapides de puissance des parcs éoliens. Mais elles ont un mauvais rendement énergétique (environ 30 %) et l’électricité qu’elles produisent revient en fait très cher. On ne les utilise donc que peu de temps dans l’année pour faire face à des situations exceptionnelles
2 – Les centrales à gaz à cycle combiné (CGCC) qui associent une turbine à gaz à une machine à vapeur chauffée par les gaz encore très chauds produits par la turbine à gaz. Le rendement énergétique global est ici excellent (de 55 à 60%) bien supérieur à celui d’une centrale nucléaire (33 %) ou d’une centrale à charbon moderne (40 à 45%), mais la réactivité est bien moindre que celle d’une turbine à gaz. Elle l’est toutefois un peu plus que celle d’une centrale à charbon ou d’une centrale nucléaire. En France, elles sont peu nombreuses et utilisées surtout pour faire face aux pointes de consommation, en particulier en hiver
Il n’y a donc en réalité que peu d’intérêt technique à remplacer une centrale nucléaire ou à charbon par une CGCC, sinon un rendement énergétique supérieur. Mais si elle remplace chez nous une centrale nucléaire, ce sera au détriment de notre empreinte carbone, car l’empreinte carbone d’une CGCC, environ 420 g/kWh est d’environ 100 fois supérieure à celle de notre nucléaire (4 g). Par contre, dans les pays qui utilisent beaucoup le charbon pour produire de l’électricité comme l’Allemagne remplacer une centrale à charbon par une CGCC permet d’améliorer l’empreinte carbone, car celle d’une centrale à charbon est de l’ordre de 1000 g/kWh.
La généralisation de l’utilisation du gaz pour produire de l’électricité crée aussi trois très gros problèmes en France et plus généralement en Europe. Le premier est d’ordre géopolitique Il en est de moins en moins produit en Europe et il faut donc de plus en plus l’importer, ce qui nous met à la merci des pays exportateurs, on l’a bien compris avec la guerre en Ukraine. Le deuxième est son coût. Il faut qu’il soit très bas comme aux Etats-Unis pour que l’électricité produite ne soit pas hors de prix. Le troisième est que les émissions de méthane de la filière gaz, seraient bien plus importantes qu’on ne le supposait il y a quelques années. Or le méthane (le principal constituant du gaz naturel) est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le gaz carbonique produit par la combustion des combustibles fossiles, au point que beaucoup de scientifiques pensent actuellement que les centrales à gaz pourraient bien ne pas présenter d’avantages d’un point de vue climatique par rapport aux centrales à charbon.
TES. : Vous évoquez le coût de production et le renchérissement du tarif de l’électricité en troisième seulement. N’est-ce pas le premier argument dans l’ordre de priorité du consommateur ?
B.D. : Certes, mais pour comprendre pourquoi l’éolien augmente le coût de production de notre électricité, il faut avoir bien compris les deux premiers points.
TES. : Qu’attendez-vous du Président Macron ? Vous n’êtes pas sans ignorer que la politique énergétique dépend de l’UE et que les Allemands font tout pour imposer l’Energiewende qui est à l’origine de cette situation que vous dénoncez. Comment faire pour généraliser votre initiative au niveau européen ? Comptez-vous écrire une deuxième lettre à Olaf Scholtz ?
B.D. : J’aimerais pouvoir attendre quelque chose dans ce domaine du Président Macron, mais je n’ai pas l’impression qu’il ait bien compris de quoi il retournait. En tous cas il le cache bien au vu de sa détermination à vouloir faire construire encore plus d’éolien inutile et coûteux en France, en mer comme à terre *
Il est vrai qu’il lui faut lutter contre l’Union européenne qui avec une grande constance depuis des années cherche à imposer à l’Europe l’Energiewende à l’allemande, à base d’éolien de solaire photovoltaïque et de combustibles fossiles, malgré les défauts rédhibitoires et dûment constatés de celle-ci. Mais il s’agit là des intérêts vitaux de notre pays, qu’on ne peux pas laisser brader ainsi sans réagir.
Ecrire à Olaf Scholtz est une idée amusante. Mais arriver à faire publier cette lettre par un grand journal d’opinion allemand serait plus efficace. Mais est-ce plus facile à faire à faire en Allemagne qu’en France, où nos médias ne brillent pas par leur curiosité dans ce domaine.
Image par Michaela, at home in Germany • Thank you very much for a likede Pixabay
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Pour celle ou celui qui connait comment on gère un réseau électrique depuis Nikola Tesla, le créateur de l’électricité alternative sait que pour la garantie de service au public h24, il faut adapter h24 la production à la consommation.
Autrement dit, il faut des moyens de production PI-LO-TA-BLES ! Le matin, de 5h à 13h, la consommation d’électricité Française augment de 15GW, l’équivalent de 15 centrales nucléaires.
Et si on veut limiter le réchauffement climatique, ces GW pilotables doivent être bas-carbone. Le nucléaire coche toutes les cases, à 4g CO2/kWh, cherchez pas, y a pas mieux !
Le 100% renouvelables n’est qu’idéo-logique d’une logique écolo VERT de gris allemande, qui n’a rien d’éco-logique, sur fond d’hégémonie récurrente. Comment avec du charbon, on gagne une guerre économique sans canon. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les émissions de CO2 allemandes. En 2023, 20 000 tonnes de CO2 par heure, oui par heure, émises par l’Allemagne, rien que pour la production d’électricité.
Le 9 juin, pensez-y quand vous irez voter.