Un certain nombre d’États membres de l’UE ont annoncé leur intention de se retirer du Traité de la charte sur l’énergie (TCE), un accord international signé en 1991, qui établit un cadre multilatéral pour la coopération transfrontalière dans le secteur de l’énergie. Les gouvernements de la Pologne, de l’Espagne, des Pays-Bas et de la France l’ont tous fait (1), et dans d’autres pays, comme par exemple en Belgique, des voix importantes s’élèvent (2) pour réclamer ce retrait.
Un aspect essentiel du traité est qu’il donne aux investisseurs la possibilité (3) de poursuivre les États devant un tribunal d’arbitrage privé au cas où ils voudraient contester les décisions des États concernant la compatibilité avec le TCE. Ce n’est pas une coïncidence si le traité a été conclu juste après la fin de la guerre froide, car il vise à stimuler les investissements dans les anciens États satellites soviétiques riches en ressources. Lorsque les investisseurs sauront qu’ils n’ont pas besoin de s’en remettre aux tribunaux souvent corrompus de pays qui ne sont pas encore devenus des démocraties à part entière, mais qu’ils pourront compter sur des groupes d’arbitrage privés jouissant d’une très bonne réputation, ils seront plus disposés à mettre sur la table les sommes importantes qui sont généralement requises pour investir dans le secteur de l’énergie.
En fin de compte, cette situation n’est pas seulement bénéfique pour les marchés émergents où une grande partie des investissements dans le secteur de l’énergie ont lieu, puisque le TCE augmente le nombre d’investissements dans ces pays, mais aussi pour les économies d’Europe occidentale, où sont basés un grand nombre d’investisseurs. Quitter le TCE privera (4) les entreprises énergétiques européennes de la protection des investissements dans d’autres parties du monde. Il est donc regrettable de constater que les gouvernements d’Europe occidentale cités ci-dessus se sont retournés contre le TCE.
Pression du mouvement vert
Une raison importante de ce revirement est la pression exercée par le mouvement vert, qui a déjà réussi à convaincre les politiciens traditionnels de réduire les investissements dans le développement des combustibles fossiles nationaux, ce qui est une raison importante de la dépendance énergétique excessive de l’Europe vis-à-vis de la Russie, entraînant de terribles pénuries de gaz qui amènent la plus grande entreprise chimique du monde, BASF, à déclarer (5) que les coûts élevés de l’énergie rendent l’Europe de moins en moins compétitive, ce qui l’amène à décider de réduire définitivement ses investissements en Europe.
Irina Kustova, chercheuse au Centre for European Policy Studies (CEPS), a souligné (6) que « pour le reste de la décennie, l’investissement dans des alternatives aux combustibles fossiles russes restera vital, tout comme un transit fiable et ininterrompu via le corridor gazier méridional, qui est également couvert par les dispositions de transit du traité. » Comme il est également question que l’UE en tant qu’organisation quitte le TCE, elle ajoute qu’une telle décision pourrait permettre à la Chine et à la Turquie d’utiliser le vide politique laissé par le départ de l’UE du TCE pour renforcer leur présence dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Au moins, pour l’instant, une majorité d’États membres de l’UE préfère réformer le TCE plutôt que de le quitter.
La ministre belge du « Climat, de l’Environnement, du Développement durable et du Green Deal », Zakia Khattabi, compte (7) parmi les plus farouches opposants au traité. Elle a qualifié les réformes proposées de « largement insuffisantes », a affirmé (8) que le traité ne pourrait jamais respecter les objectifs climatiques de l’UE et l’a qualifié de « cheval de Troie » pour la politique climatique de l’UE. Elle est membre du parti vert, et sans surprise, hostile à un traité qui est effectivement important pour les investissements dans les combustibles fossiles.
Outre la question de savoir si les électeurs européens pensent toujours qu’il est si intelligent d’abandonner les combustibles fossiles, étant donné la récession économique qui semble désormais certaine en raison du sous-investissement de l’Europe dans les combustibles fossiles, les verts qui ont tendance à aimer les investissements dans les énergies renouvelables devraient également réfléchir à deux fois avant de s’opposer au TCE, car il est tout aussi important pour le secteur des énergies renouvelables.
Le cas Espagnol
C’est ce que montre clairement le cas de l’Espagne, qui a perdu (9) une série (10) d’affaires devant des tribunaux d’arbitrage privés pour avoir brusquement modifié en 2013 son régime de soutien financier aux installations d’énergie renouvelable. Ce régime qui avait été créé en 2007. Des investisseurs, comme Antin, investisseur dans les énergies renouvelables, ont ainsi réussi à convaincre les arbitres que l’Espagne avait violé la norme de traitement juste et équitable de l’article 10(1) du Traité de la charte sur l’énergie. L’abandon du cadre de ce traité n’est pas seulement une mauvaise chose pour les investissements dans les énergies traditionnelles, mais aussi pour les investissements dans les énergies renouvelables. Il est clair que pour de nombreux Verts, leur haine du secteur privé l’emporte sur leur soutien aux énergies renouvelables.
Actuellement, l’Espagne résiste farouchement à payer la compensation qui lui a été imposée par les arbitres Il convient de noter que le pays a un bilan plutôt médiocre en matière de respect des décisions d’arbitrage. Elle se retrouve ainsi en mauvaise posture, avec des pays comme la Russie, l’Argentine et le Venezuela. L’année dernière, lors de l’affaire Yukos, le gouvernement espagnol est même intervenu en faveur de la Russie, l’encourageant également à ne pas payer.
Une nouvelle étude (11) sur le niveau de conformité des États en ce qui concerne le paiement des sentences arbitrales rendues contre eux dans le cadre des traités d’investissement entre investisseurs et États révèle que l’Espagne n’a jusqu’à présent pas payé une seule sentence de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) depuis la sentence Maffezini rendue en 2000. Le pays se classe même au deuxième rang des défendeurs les plus défaillants au monde en ce qui concerne le refus de payer ces sentences. L’Espagne doit ainsi toujours 700 millions de dollars aux investisseurs. C’est aussi le pays qui a été confronté au plus grand nombre de cas d’énergie renouvelable et qui a perdu le plus grand nombre d’arbitrages privés.
Au moment où l’action en justice contre l’Espagne sur la base du Traité de la charte sur l’énergie a été lancée, l’Espagne n’était que le deuxième pays d’Europe occidentale à être confronté à une contestation. Puis, une personne proche des groupes ayant porté l’affaire a fait le commentaire (12) suivant : « L’Espagne joue désormais dans la même cour que le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan en ce qui concerne la confiance des investisseurs. »
Malheureusement, non seulement l’Espagne, mais aussi certaines parties de la machinerie de la Commission européenne se retournent contre l’arbitrage privé. En 2018, il y a eu la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt (13) « Achmea » – qui a jugé que l’arbitrage entre investisseurs et États dans un contexte intra-UE était illégal.
De plus, alors que le département de la Commission européenne responsable du TCE tente de le sauver, en affirmant (14) que les modifications apportées au traité sont la meilleure option pour l’UE, le département de la concurrence de la Commission – qui ignore largement sa mission de contrôle des aides d’État – a en fait exhorté (15) l’Espagne à ne pas payer de compensation pour son revirement sur les investissements dans les énergies renouvelables, en affirmant étrangement que les sentences arbitrales constitueraient des « aides d’État ».
Le gouvernement espagnol de gauche a été le premier gouvernement de l’UE à annoncer qu’il abandonnerait le TCE. Il est intéressant de noter que cette décision ne l’aidera probablement pas à éviter d’avoir à payer les compensations auxquelles il a été condamné, étant donné qu’il existe une clause (16) dans le TCE qui maintient les signataires sujets à des litiges pendant 20 ans après leur départ. Cette démarche s’apparente tout simplement à un énorme but contre son camp.
By Own work – User:Rainad, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=20931085
(1) https://www.ft.com/content/528f10d4-8cfb-42b8-967d-0da0c9a041da
(3) https://en.wikipedia.org/wiki/Energy_Charter_Treaty#Dispute_settlement
(5) https://twitter.com/ftenergy/status/1585208315210076162
(12) https://www.ft.com/content/19088742-1117-11e1-ad22-00144feabdc0
(13) https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=199968&doclang=EN
(16) https://www.politico.eu/article/spain-pulls-out-of-energy-treaty-over-climate-concerns/
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