Le 4 décembre 2019, la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré, lors de sa première conférence de presse à Bruxelles qu’elle dirigerait une « Commission géopolitique ». Un an plus tard, nous attendons toujours des résultats « géopolitiques ». En fait, il s’agirait plutôt d’une « Commission verte », puisque même la crise Covid — bien que sa cause soit totalement étrangère à l’énergie — est utilisée pour renforcer la « transition énergétique », voulue par la chancelière allemande. En septembre 1999, en assumant la présidence de la Commission européenne, M. Romano Prodi a été convaincu que l’énergie n’était pas si importante et ne méritait pas d’être gérée par une direction générale de l’énergie. Il l’a donc fusionnée avec la direction de l’énergie des transports. Quelle différence vingt ans plus tard ! L’énergie est désormais au centre de tous les intérêts, non pas pour l’espérance de vie qu’elle prolonge ou la qualité de vie qu’elle apporte, mais parce qu’elle est au centre du débat sur le changement climatique. Mais les hommes politiques sont-ils capables de piloter le vaste système énergétique, complexe et multidépendant ? Ont-ils les moyens de le maîtriser efficacement ?
Il n’est pas surprenant que ce concept de « transition énergétique » ait été inventé en Allemagne au début des années 1980. Dans un livre intitulé « Energie-Wende, Wachstum und Wohlstand ohne Erdöl und Uran » publié en 1980, des chercheurs d’une organisation écologiste allemande, l’Öko-Institut, ont proposé de cesser l’utilisation du pétrole et de l’uranium. Le terme simplifié « EnergieWende » a rapidement été créé pour désigner la lutte contre le changement climatique et l’abandon de l’énergie nucléaire. L’Allemagne a résolument suivi cette voie depuis le début du 21e siècle, visant un changement radical de sa politique énergétique. La population allemande a finalement adhéré à ce concept : après 40 ans de dénigrement du nucléaire par les verts, elle est devenue largement opposée à l’énergie nucléaire.
L’EnergieWende se développait progressivement, mais l’accident de Fukushima a accéléré sa mise en œuvre. Mme Merkel, docteur en physique, a gagné deux élections en affirmant que l’énergie nucléaire était essentielle pour l’économie allemande. Pourtant, après l’explosion hydrogène qui a été perçue comme une explosion nucléaire, elle a fait volte-face et est devenue une opposante à l’énergie atomique, déclarant être fortement convaincue que l’avenir de l’énergie dans le monde sera 100 % renouvelable. Des investissements massifs ont permis de promouvoir les énergies renouvelables éolienne et solaire, malgré les énormes problèmes causés par leur intermittence, notamment les énormes augmentations de prix pour les gens. Mais nous allons voir que tout cela est bien dérisoire.
Le revers de la politique en matière d’énergies renouvelables
En 2005, lors de la présidence allemande de l’UE, Mme Merkel a demandé à M. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, de préparer une « feuille de route » en faveur des énergies renouvelables. Le 10 janvier 2007, la Commission a publié une communication intitulée « Feuille de route pour les sources d’énergie renouvelables ». Les énergies renouvelables au XXIe siècle : construire un avenir plus durable ». Cette communication a ouvert la voie à une directive adoptée en 2009. Elle fixe un objectif obligatoire de 20 % pour la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie dans l’UE d’ici 2020 et un objectif minimum obligatoire de 10 % pour les biocarburants. Elle a également mis en place un nouveau cadre législatif pour renforcer la promotion et l’utilisation des énergies renouvelables. La même directive a été adaptée en 2018 avec l’introduction d’un nouvel objectif de 32 % en 2030, mais sans qu’il y ait, cette fois, d’obligations contraignantes pour les États membres. Ainsi, à partir du 1er janvier 2021, les États membres ne seront plus tenus de produire des énergies renouvelables ; seule l’UE aura la responsabilité d’atteindre ce nouvel objectif. Qu’adviendra-t-il ?
Alors que nous approchons de la fin de l’année 2020, nous pouvons commencer à analyser l’impact de la directive et la manière dont les États membres ont rempli les obligations qu’ils se sont fixées. Nous constatons, sur base des dernières statistiques officielles, que la plupart des États membres ne sont pas en voie d’atteindre leurs objectifs, à quelques exceptions près (Suède, Croatie, Estonie, Danemark, etc.). Il est ironique de voir que l’Allemagne, son promoteur, figure avec l’Espagne, la France, la Pologne, la Belgique et d’autres pays dans le groupe de ceux qui n’atteindront pas leurs objectifs. Mais ces données datent de 2018, avant la crise Covid.
Pourquoi le Covid intervient-il dans cette discussion sur la transition ? Parce que les objectifs fixés par la directive européenne sont exprimés sous la forme du rapport entre l’énergie renouvelable utilisée et l’énergie finale totale utilisée. En raison de la récession économique, la demande totale d’énergie a évidemment diminué et le pourcentage d’énergie renouvelable a donc augmenté en conséquence, le vent et l’ensoleillement ne subissant pas les affres du Covid. En conséquence, la récession induite par la directive Covid épargne (temporairement) l’UE et ses États membres de l’embarras causé par le non-respect de leurs propres objectifs. Les médias, les ONG écologistes et les hommes politiques font grand bruit autour du fait que l’électricité produite par les parcs éoliens et les panneaux solaires représente désormais 22 % de l’énergie primaire totale. Cependant, ce chiffre doit être comparé au seul chiffre pertinent pour la géopolitique, la balance des paiements et les émissions, à savoir l’énergie primaire. On constate que, pour l’UE-27, la somme des énergies renouvelables intermittentes (éolienne et solaire photovoltaïque) ne représente que 2,5 % de l’énergie primaire totale. Pour l’Espagne, ce chiffre est de 3,9 % et pour l’Allemagne de 4,3 % ; mais, pour la France, il ne dépasse pas 1,4 % de l’énergie primaire totale. En dépit de cette réalité, pour les décideurs politiques, les médias et le grand public, les énergies renouvelables restent synonymes d’énergie éolienne et solaire photovoltaïque.
Des financements massifs ont été accordés au développement et déploiement de solutions d’énergie éolienne et solaire. Par exemple, en Espagne, le Fondo de Amortización del Déficit Eléctrico (Fonds d’amortissement du déficit électrique) a contracté des dettes énormes auprès des banques londoniennes : fin 2019, la dette s’élevait à 16,6 milliards d’euros, et seulement en 2020. Les Pays-Bas ont mis à disposition environ 4 milliards d’euros sous forme de subventions directes. Le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement et de l’École de Francfort se vante d’« une décennie d’investissements dans les énergies renouvelables, avec en tête l’énergie solaire, dépasse les 2,5 billions de dollars » et souligne que « l’Europe dans son ensemble a investi 698 milliards de dollars de 2010 au premier semestre 2019, l’Allemagne étant le principal contributeur », la grande majorité étant destinée aux centrales éoliennes et solaires. J’estime qu’entre 2000 et 2018, l’UE et ses États membres ont dépensé plus de mille milliards d’euros pour promouvoir les énergies renouvelables, principalement l’énergie éolienne et solaire. Rappelons une fois encore que malgré ces investissements considérables dans l’UE, l’énergie éolienne et solaire ne représente que 2,5 % de l’énergie primaire totale.
Contrairement à ce que l’on prétend souvent, cet énorme financement public montre que les énergies renouvelables ne sont pas du tout compétitives. Si elles l’étaient, les directives européennes adoptées en 2001, 2009 et 2018 pour imposer leur production n’auraient pas existé. Autrement dit, l’existence même de ces directives prouve que l’obligation à produire un certain type d’énergie ne donne pas de résultats, car, en fin de compte, les subventions pour faire face à un marché libre ne sont pas durables. Mais au fait, sommes-nous toujours dans un marché libre ?
La déception de la politique d’ouverture du marché de l’énergie
Après de longues années de tergiversations, lors du sommet européen de Barcelone en mars 2002, le Premier ministre espagnol José Maria Aznar a conclu un compromis avec le président Jacques Chirac pour ouvrir le marché de l’électricité à la concurrence et à la séparation comptable des entreprises d’électricité (séparation entre producteur, transporteur et distributeur au client final). Ce compromis a été considéré comme une avancée car, enfin, ce marché monopolistique serait brisé et ouvert à la concurrence. En conséquence, tout service public de l’UE a été autorisé à investir dans n’importe quel État membre. Quel est le résultat de cette décision politique ? Claude Desama, ancien membre socialiste du Parlement européen et ancien rapporteur de cette directive, est assez sévère quant à son résultat final. Il a récemment publié un article affirmant que le système électrique de l’UE est un « modèle caduc ». Il y a plusieurs raisons à cet échec, mais il — et moi aussi — considère que la principale se trouve dans l’obligation par l’UE des compagnies d’électricité concurrentes à produire des énergies renouvelables coûteuses et donc subventionnées avec des mécanismes et des montants différents car décidés par les États membres, mais aussi à donner à cette énergie hors marché une priorité de transmission dans le réseau électrique. Comment un marché peut-il fonctionner correctement lorsqu’il comporte des obligations de faire quelque chose qui n’a pas de sens dans un marché qui est en plus contraint ? Le résultat est simple, mais peu connu malgré le fait qu’il ait été déjà publié : une augmentation continue des prix pour les consommateurs privés et les entreprises avec une corrélation claire entre le prix et le pourcentage d’énergie intermittente. Il n’est donc pas surprenant que l’Allemagne et le Danemark bénéficient d’une part élevée d’énergies renouvelables, mais aussi de l’électricité la plus chère d’Europe (voir figure 1).
Figure 1 Corrélation du prix de l'électricité pour les logements avec production intermittente d'électricité renouvelable
Il serait trop long de s’étendre sur l’échec de la stratégie sur les biocarburants que l’UE et ses États membres ont lancée en 2009. Face aux inconvénients de cette décision politique — y compris pour l’environnement — la directive a été modifiée à deux reprises pour réduire l’ambition du champ d’application initial. Enfin, la directive a ironiquement transformé l’objectif minimal de 2009 en un objectif maximal comme déjà expliqué dans The European Scientist. Le marasme est évident.
La pire décision prise par la Commission européenne en matière d’énergie ces dernières années est probablement ce qu’elle ose appeler la « stratégie de l’hydrogène pour une Europe climatiquement neutre». Comme je l’explique dans mon dernier livre, « L’illusion de l’hydrogène », la Commission européenne a ignoré 51 ans de recherche de haut niveau, y compris par ses propres services, pour essayer de mettre en œuvre une nouvelle politique afin d’aider les Allemands à réaliser leur vision de la transition énergétique. Je démontre, avec l’aide de la chimie et de la physique, que la Commission européenne commet une grave erreur en mettant de côté des décennies de recherche sur l’hydrogène par ses propres fonctionnaires. Cette stratégie de l’hydrogène est une simple décision idéologique pour sauver l’EnergieWende, qui n’a aucun sens d’un point de vue scientifique et économique, sauf si les réacteurs nucléaires à gaz à haute température (HTGR) deviennent disponibles sur le marché un jour.
Les politiciens ne devraient pas jouer aux ingénieurs
Les politiciens et les bureaucrates ne devraient pas essayer de « jouer aux ingénieurs ». Sous le prétexte de développement durable et de changement climatique, ils pensent qu’ils peuvent avoir un impact sur le vaste système énergétique extrêmement complexe. Ils n’en sont pas capables. Ils peuvent décider de dépenser de l’argent pour influencer telle ou telle technologie, mais la réalité du marché revient toujours à la surface. L’argent des contribuables sera dépensé, mais sans façonner le système énergétique.
Les industries nucléaires américaines sont très actives et dépensent leur propre argent pour créer les conditions permettant de répondre aux besoins massifs en électricité du futur. La technologie des petits réacteurs modulaires (SMR) vient d’atteindre les premiers projets de ce type. Le président Obama n’est pas intervenu directement dans le développement de cette technologie, mais il a créé les conditions permettant aux autorités américaines d’adopter rapidement les règles de sécurité de son implémentation. Il a contribué à la mise en œuvre de ce volet administratif crucial en nommant Steven Chu, prix Nobel de physique nucléaire, au poste de secrétaire à l’énergie lors de son premier mandat, puis Ernest Moniz, professeur de nucléaire au MIT, au même poste pendant son second mandat. Tout est maintenant en place pour que la Commission de réglementation nucléaire américaine accorde ou refuse les autorisations lorsque le marché décidera d’acheter ou non cette technologie. Mais le président Obama n’a pas essayé de jouer à l’ingénieur. On peut dire la même chose de Georges Bush avec la production de pétrole et de gaz de schiste. Ainsi, ces succès américains démontrent que les gouvernements ont un rôle à jouer, c’est-à-dire dans la réglementation et la sécurité, mais pas dans la décision d’imposer ou non cette technologie. C’est l’apanage du marché (sauf si l’on considère que l’énergie est désormais hors de portée du marché comme certains anti-globalisations le souhaitent). Dans l’UE, jouer aux ingénieurs et se débarrasser du marché a abouti à de nombreuses défaillances ; un exemple hypocrite est celui des États membres de l’UE qui refusent de produire du gaz de schiste, mais qui consomment du gaz de schiste américain.
Cependant, les gouvernements ont un rôle à jouer
Permettez-moi d’être clair : les gouvernements devraient jouer un rôle dans la recherche et le développement, mais contrairement à ce qui s’est produit ces vingt dernières années dans l’UE, ils devraient cesser de décider de l’objet de la recherche. Peu de gens savent que, dans l’UE, les hommes politiques se cachent derrière des « comités d’experts » pour décider quels secteurs technologiques particuliers devraient bénéficier d’un soutien public. Les appels d’offres sont des catalogues de plusieurs dizaines de pages donnant les détails précis des thèmes de recherche éligibles aux subventions. Par exemple, les énergies renouvelables intermittentes se taillent la part du lion des subventions à la recherche et au développement dans l’UE, alors que le soutien à l’efficacité énergétique — essentielle pour économiser l’énergie et réduire les émissions de CO2 — en reçoit moins. Dans un monde idéal, il pourrait bien s’agir d’une utilisation peu judicieuse de l’argent des contribuables, surtout dans les circonstances actuelles.
Une façon d’éviter ce gâchis est de ne pas financer la recherche dans des domaines technologiques spécifiques, mais d’aider au financement d’infrastructures de recherche et les chercheurs eux-mêmes, notamment en supprimant la TVA sur tous les équipements et dépenses de recherche. Laisser aux laboratoires et à l’industrie le choix de décider là où ils perçoivent que le succès est la clé du progrès. Malheureusement, et paradoxalement compte tenu des énormes investissements de l’UE dans la recherche, il faut amèrement observer que l’UE n’est pas, pour l’instant, le leader mondial en matière d’innovation. Les hommes politiques ne devraient pas jouer à l’ingénieur et encore moins au scientifique.
Il est évident que les gouvernements ont un rôle à jouer dans l’établissement de règles de protection de l’environnement. Mais ce rôle doit se limiter à l’établissement de règles claires qui doivent être respectées ; l’arsenal législatif européen est suffisamment vaste et détaillé pour qu’il ne soit pas nécessaire d’inventer de nouvelles lois écocides. Par exemple, si l’UE vise réellement à réduire les émissions de CO2, pourquoi les énergies renouvelables sont-elles considérées comme bonnes et le nucléaire comme mauvais ? En termes d’émissions de CO2 et de sécurité de l’approvisionnement énergétique, l’énergie nucléaire n’a pas son rival. Cependant, dans la communication sur le Pacte vert et dans la communication « L’heure de l’Europe : réparer les dommages et préparer l’avenir pour la prochaine génération » qui explique comment dépenser le fonds de relance de la Commission européenne, le mot « nucléaire » n’est même pas mentionné…
Et pourtant sur base de sa longue expérience, l’UE avait un rôle à jouer dans le domaine du nucléaire qui est l’énergie du futur. Plusieurs pays industrialisés progressent dans le développement industriel des SMR et des HTGR (voir ci-dessus). La coopération préconcurrentielle actuelle en matière de R et D est très productive, mais il sera intéressant pour l’UE de jouer un rôle plus actif dans la coordination de la recherche européenne dans ces secteurs, car les concepteurs de technologies ne sont plus des entreprises nationales, mais principalement des sociétés internationales. La maturité pour une échelle pilote ou même un projet de démonstration est proche. L’UE serait bien avisée de s’en occuper. Ceci n’est pas en contradiction avec le paragraphe précédent, car il ne s’agit pas ici de financer des microprojets, mais d’accompagner une stratégie qui doit être pilotée et mise en œuvre par l’industrie.
Il est d’autant plus surprenant que certaines autorités locales et municipales espèrent même avoir un impact sur la géopolitique énergétique ! Pour avoir ouvert la voie en 1994 dans ce domaine, je sais qu’elles ont un rôle à jouer, mais cela plutôt du côté de la demande énergétique. Les questions énergétiques étant si populaires, les politiciens locaux sont tentés de se présenter comme des spécialistes de l’énergie auprès de leurs populations locales et de jouer eux aussi aux ingénieurs. Ils seraient donc prêts à prendre des décisions pour aider à la transition énergétique. C’est plus facile à dire qu’à faire. Leur rôle clé devrait se situer du côté social de l’énergie, par exemple en contribuant à la lutte contre la précarité énergétique, qui augmentera avec une politique de l’électricité entièrement renouvelable. Ce n’est pas aux localités de décider quel type de combustible doit être utilisé, mais à l’industrie, dans le respect de la législation environnementale. Les élus locaux devraient plutôt s’efforcer de rendre les transports en ville beaucoup plus fluides afin d’éviter la pollution. Je réalise que dans l’état d’esprit actuel, ma proposition n’a aucune chance d’être suivie, mais je ne peux pas m’empêcher de dire ce que j’ai appris de ma longue expérience d’ingénieur, d’universitaire et de conseiller politique.
L’épreuve à venir pour les politiciens de l’énergie
Mon collègue spécialisé en énergie nucléaire, le professeur Ernest Mund, et moi-même avons récemment écrit un article sur la transition énergétique. La figure 2 montre qu’une transition énergétique ne s’est produite que lorsque nous avons utilisé de faibles quantités d’énergie renouvelable. Elle montre que la mise en œuvre de la transition énergétique de l’UE (partie droite du graphique) est plus que difficile. Nous concluons que les efforts déployés pour mettre en œuvre la transition énergétique en cours seront ruineux sur le plan économique et entraîneront des échecs. Dans un monde isolé, cela serait déjà douloureux pour ses États membres. Mais dans un monde globalisé et fondé sur le marché, où les concurrents se tournent instinctivement vers les sources de progrès, les conséquences dramatiques pour les économies européennes d’une telle stratégie pourraient bien inciter certains États membres à relâcher leurs liens avec l’UE pour survivre, ce qui serait très dommageable pour celle-ci.
Figure 2 Évolution de la part de marché de l'énergie primaire sur la base d'une consommation annuelle de Mtep/an (données de l'AIE et de BP pour le monde)b.
Rappelons une fois de plus que l’UE est née du désir de fournir aux économies de ses États membres une énergie « abondante et bon marché » (résolution de Messine en juin 1955). Aujourd’hui, l’UE, par sa volonté d’imposer le bouquet énergétique par une législation européenne et par un financement sélectif, joue son avenir sur le slogan de la transition énergétique. Cette transition sera difficile à réaliser dans les délais annoncés ; en particulier, il est tout simplement impossible de réduire les émissions de CO2 de 55 ou 60 % d’ici 2030 (voir ma tribune dans The European Scientist d’octobre 2020), à moins que l’UE et ses États membres ne décident d’un confinement quasi permanent. Le tableau 1 donne la variation des émissions de CO2 pour quelques États membres de l’UE et de l’Union européenne ainsi que l’effort restant exprimé en Mt CO2 pour atteindre l’objectif de -60 % en 2030 demandé par le Parlement européen le 7 octobre 2020. Les chiffres sont effrayants pour la plupart des États membres. Pour l’UE-27, il faudrait que la réduction annuelle réalisée depuis 1990 soit multipliée par cinq. C’est tout simplement impossible vu l’ampleur de l’effort, d’autant plus que les solutions les plus simples — les « fruits à portée de main » — ont déjà été mises en œuvre. C’est tout simplement irréalisable. La politique de l’UE en matière de CO2 sera un fiasco total. Beaucoup diraient que le remède est pire que la maladie.
Tableau 1 Ce que les décideurs politiques ont décidé concernant les émissions de CO2 (données d'Eurostat juin 2020)
État membre | Réduction par an de 1990 à 2018 (Mt CO2) | Réduction par rapport à 1990 | Réduction par an pour atteindre -60 % en 2030 (Mt CO2) | Ratio des efforts futurs pour atteindre -60 % par rapport aux résultats passés (%) |
Allemagne | -9,96 | – 26 % | -29,97 | 301 |
Autriche | + 0,22 | +10 % | -3,67 | 1647 (négative) |
Belgique | -0,65 | -15 % | -4,66 | 732 |
Espagne | + 1,84 | +22 % | -16,09 | 875 % (négative) |
France | -2,14 | -15 % | -15,47 | 723 |
Italie | -2,95 | -19 % | -15,23 | 517 |
Pays-Bas | +0,17 | +3 % | -8,80 | 5068 (négative) |
Pologne | -1,30 | -10 % | -15,82 | 1213 |
EU27 | -26,47 | -19 % | -134,49 | 508 % |
En 2010, Vaclav Smil, un économiste américain très respecté, a démontré dans son livre « Energy Transitions » qu’une transition énergétique ne pouvait pas se faire facilement ni du jour au lendemain, c’est-à-dire dans les délais fixés à l’époque par l’administration Obama. C’est encore plus vrai dans le cadre de l’UE.
L’UE doit rapidement se ressaisir, sinon elle échouera, ses entreprises et ses citoyens souffriront à long terme du retard qu’elle accumule en matière d’innovation (notamment dans le domaine de l’énergie nucléaire) par rapport aux États-Unis, à la Russie, à la Chine et même à l’Inde.
Une transition de l’ampleur dont il est question suppose une compréhension des enjeux, une absence de préjugés idéologiques et une approche cohérente. Et surtout, malgré l’urgence revendiquée par les militants, elle requiert du temps. Les gouvernements, qui ont un horizon de quatre ou cinq ans, n’y sont pas aptes. L’énergie est une question qui concerne la science et la technologie, et non les politiciens du court terme.
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Pour plus de détails : voir le livre en deux volumes ( 1200 pages) de Samuele Furfari intitulé « The changing world of energy and the geopolitical challenges ». Voir furfari.wordpress.com
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Vrai, concernant l’énergie, mais valable pour maints autre domaines, l’article rappelle a profit ce que serait un schéma rationnel :
Où les politiques, à l’écoute critique de leurs ouailles, définiraient ce qui est souhaitable.
Où les scientifiques proposeraient en regard les moyens pour satisfaire cette demande, en indiquant ce qui est effectivement possible et ce qui ne l’est pas (ou très relativement).
Où les hommes de l’art pratique (les ingénieurs, les agronomes, les médecins, les architectes…) concevraient les moyens (machines, systèmes, méthodes…) pour concrétiser ces orientations.
Où la société, en feed-back, par son acceptation, son appel à
modifications, ou son rejet, fermerait une vraie boucle logique.
L’article constate que tout au contraire, cette chaîne logique est le plus souvent inversée ou dévoyée, le domaine de l’énergie illustrant ces désordres de manière probante.
On peut ralentir notre impact écologique de 50%, mais le covid19 le démontre, si on ne traite pas l’aspect social en donnant à l’humanité entière de quoi vivre au minimum via un revenu, les plus pauvres crèveront, où il vendront leur force de travail pour une bouchée de pain,… et rien ne changera…
Le système économique actuel gouverne le monde, il doit être complètement revu pour s’adapter à l’effort écologique, écologie qui devra prendre la gouvernance du monde, car autant elle est réelle alors que l’économie n’est que virtuelle.
https://lejustenecessaire.wordpress.com/2018/08/06/premier-article-de-blog/