De nombreuses technologies nucléaires en développement laissent entrevoir un futur à la fois plus compétitif et sans déchet radioactif. Si ces projets ne sont pas encore pleinement opérationnels, ce nouvel élan est notamment dû aux progrès de la recherche, qui pourraient, à moyen terme, résoudre la gestion des déchets, le principal obstacle sur lequel butte la filière.
« La transition énergétique ne se fera pas sans l’atome. Les renouvelables intermittents ne suffiront pas ». S’il n’est pas étonnant que Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), milite en faveur de l’atome, son constat s’inscrit dans un climat de retour en grâce plus large du nucléaire, notamment plébiscité par le Groupement intergouvernemental sur l’étude du climat (GIEC), qui y voit, en complément des ENR, la solution la plus propre et économique pour lutter contre le réchauffement climatique dans les pays disposant déjà de centrales en fonctionnement, dont il faudra assurer la prolongation.
Si un consensus scientifique se dessine autour du développement d’un duo nucléaire-renouvelables pour électrifier nos usages, des contraintes perdurent pour envisager un renouvellement du parc nucléaire, aux premiers rangs desquels le coût de lancement des nouveaux réacteurs et la gestion des déchets qu’ils produisent.
La filière nucléaire contemporaine reste limitée par ses déchets
L’allongement progressif de la durée de construction des centrales nucléaires, lié à la multiplication des mesures de sécurité développées à la suite de l’accident de Fukushima en mars 2011, a pour corollaire une hausse radicale de leur coût de construction. En Europe, la durée moyenne de mise en activité a ainsi doublé de cinq à dix ans, portant un coup à la compétitivité de la filière. Le coût actualisé médian de l’électricité nucléaire était ainsi de 69 dollars mWh en 2020, contre respectivement 50 et 56 dollars/ mWh pour l’éolien terrestre et le solaire selon l’Agence Internationale de l’Énergie. Mais, selon l’AIE, le coût du nucléaire, comme des renouvelables, est appelé à baisser drastiquement d’ici 2050. En revanche, selon un rapport du gestionnaire du réseau électrique français RTE, le nucléaire reste « le plus pertinent du point de vue économique », s’il est associé au développement des renouvelables, qui demeurent associées à de nombreuses externalités négatives, à savoir le déploiement d’unités de stockage, la gestion de leur intermittence ou encore le pilotage de la demande.
Le deuxième enjeu, bien plus épineux sur le plan politique et face à l’opinion publique, reste la gestion des combustibles usagés, dont une partie infirme reste dangereusement radioactive sur le très long-terme. Alors que la Finlande doit ouvrir un centre de stockage en 2025 et que la France et la Suède en sont encore à l’étape du projet, en France, les capacités d’entreposage demeurent limitées, et pourraient arriver à saturation dès 2030. Face à cette situation, la France a lancé le projet Cigéo, un centre de stockage profond de déchets radioactifs, censé stocker les déchets hautement radioactifs à durée de vie longue. Validé par la communauté scientifique comme la solution la plus viable, elle fait pourtant l’objet de vives résistances, portées notamment par des activistes écologistes.
La fin des déchets nucléaires ?
Pourtant, plusieurs pistes explorées par la recherche laissent espérer une résolution à moyen terme du très sensible problème des déchets. Plusieurs technologies dites de Génération IV sont en cours de développement afin de répondre aux principales faiblesses de la filière. Ces nouveaux générateurs, dont les premières études remontent désormais à 20 ans, doivent produire des systèmes nucléaires capables d’utiliser l’uranium naturel ou appauvri, afin de produire 50 à 100 fois plus d’énergie pour une quantité équivalente de matériau fissile.
Les bénéfices de ces nouvelles technologies, dont la mise en exploitation est estimée d’ici 8 ans dans les meilleurs scénarios, ne s’arrêtent pas à la production : selon certains spécialistes, les réacteurs de génération IV pourraient régénérer des combustibles usés des centrales actuelles. Ils pourraient en effet recycler le plutonium, et brûler les actinides mineurs, réduisant le volume et la radio toxicité des déchets de longue durée à 300 ans.
Une nouvelle génération de réacteurs pour transformer la filiale nucléaire
Deux technologies font aujourd’hui figure de tête de proue. En premier lieu, les réacteurs dits à neutrons rapides, qui ont l’avantage de fonctionner sans modérateur (comme l’eau légère). Plusieurs prototypes sont fonctionnels en Russie, en Chine et aux États-Unis, et une autre unité pourrait bientôt être raccordée en Inde.
Les réacteurs à sels fondus sont, sur le marché, leurs principaux concurrents. Leur principal bénéfice repose sur leur coût, minime grâce à l’emploi d’un uranium et d’un plutonium dissolus dans des sels liquides, évitant tout risque d’explosion (et réduisant automatiquement le coût des mesures de sécurité). Plusieurs projets sont actuellement en développement au Canada, aux États-Unis et au Japon. En France, la start-up Naarea développe notamment un mini réacteur à sels fondus de 40 MW fonctionnant sans déchets, dont la mise en production est espérée d’ici 2040.
L’ultime solution repose néanmoins sur la fusion nucléaire, pour remplacer la fission actuellement employée. La fusion à une température extrêmement élevée (similaire au centre du soleil) des atomes pourrait en effet permettre de dégager une énergie de près de quatre millions de fois supérieure à celle d’une réaction chimique telle que la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz, et quatre fois supérieure à celle des réactions de fissions nucléaires à masse égale. Un démonstrateur coréen est parvenu début 2021 à maintenir un plasma à 100 millions de degrés pendant trente secondes. Autre avantage : les combustibles de fusion sont quasiment inépuisables ; le deutérium peut ainsi être obtenu à partir d’eau. Mais surtout, la fusion ne dégage aucune émission de CO2, ni aucun déchet radioactif à haute intensité à vie longue, et prévient tout risque de prolifération ou de fusion du cœur.
En France, le futur réacteur à fusion nucléaire Iter, développé par 25 pays simultanément, doit être progressivement mis en service à partir de 2026, et pourrait être capable de produire de l’énergie dès 2036 pendant quelques minutes. Iter sera alors remplacé par son successeur, DEMO, qui sera le premier réacteur à fusion nucléaire qui fournira de l’énergie au réseau dans la deuxième moitié du XXIe siècle.
Ces technologies permettent ainsi d’envisager, d’ici vingt à trente ans, une réduction majeure des déchets nucléaires et des coûts de production de l’énergie nucléaire. Une conclusion en accord avec le dernier rapport du GIEC, publié le 5 avril 2022, qui confirme les perspectives technologiques de l’énergie nucléaire et qui renforce les ambitions de la filière, qui tente de se positionner comme l’un des fer-de-lance de la production d’énergie faiblement carbonée.