Auteur l’année passée d’un article remarqué opposant les productions électriques française et allemande, Benoit Humbert, expert énergéticien, revient avec un bilan des productions électriques étendu à tout le continent européen : une mine de données et de comparaisons qui permettent de tirer des conclusions sur l’efficience énergétique et ses conséquences environnementales.
En ce début d’année 2024, regardons ce qu’il s’est passé sur la production d’électricité en Europe.
- L’Energiewende allemande porte-t-elle ses fruits ?
- Le nucléaire français a-t-il eu un impact sur les émissions de CO2 ?
- La mise en service de nouveaux moyens de production bas carbone participe-t-elle à la lutte contre le changement climatique ? (*)
Résumé
La production électrique de l’Union Européenne et la consommation ont diminués de 3% entre 2022 et 2023. La production nucléaire est restée stable, les énergies renouvelables ont augmenté et les énergies fossiles ont baissé. Les émissions de CO2 sont de 681,5 millions de tonnes et ont diminués de 22%.
Production d’électricité
Pour l’union européenne, la production s’est établie à 2398 TWh pour 2023, une baisse de 3% similaire à la baisse de la consommation. Mais quand on regarde les 4 premiers pays producteurs, seule la France augmente sa production de 10% alors que les 3 autres baissent notablement.
Le nucléaire reste le premier moyen de production d’électricité en Europe, suivi par l’hydro-électricité, l’éolien puis le gaz et le charbon, et enfin le solaire.
- Par rapport à 2022, le nucléaire maintien sa production en 2023 malgré la fermeture des 3 derniers réacteurs allemands et de 2 réacteurs belges. Merci à la mise en service d’Olkiluoto 3 en Finlande et au parc nucléaire français qui a retrouvé une meilleure performance en 2023.
- L’hydro-électricité a augmenté sa production en 2023 lié à une plus importante pluviométrie et moins de sècheresse qu’en 2022.
- L’éolien et le solaire ont augmenté, à la fois par l’augmentation des capacités notamment côté solaire (+22%) et par des conditions météorologiques favorables côté éolien terrestre.
- Le charbon et le gaz chutent respectivement de 28% et 18%
Émissions de CO2
Au niveau européen, les émissions de CO2 ont diminué de 22%, bien plus que la baisse de consommation de -3%. Ceci s’explique par un nucléaire qui se maintien malgré la fermeture de réacteur en Allemagne et en Belgique et par des énergies renouvelables en augmentation. Les principaux pays émetteurs ont diminué fortement leurs émissions.
Près de la moitié des émissions de CO2 sont dues à l’Allemagne (31%) et à la Pologne (18%), pays gros producteurs d’électricité et avec une part d’énergie fossile importante
Zoom sur quelques pays
- Allemagne
Pour la première année depuis longtemps, l’Allemagne est importatrice nette d’électricité (8 TWh) sur l’année 2023. Ceci est à la fois dû à la baisse de la consommation des gros industriels qui ont beaucoup d’installation d’autoconsommation fossiles, mais aussi pas la fin de la production d’électricité nucléaire bas carbone, qui est prioritaire sur le marché de l’électricité en « merit order » sur les énergies fossiles.
Les importations, la baisse de la production d’origine fossile et l’augmentation de la production du solaire et de l’éolien font que l’intensité carbone du mix allemand est de 430 gCO2/kWh en 2023, une baisse de -13% par rapport à 2022.
A savoir que si l’Allemagne avait gardé toutes ses centrales nucléaires depuis 2011, elle aurait pu se passer totalement de sa production à base de lignite et de charbon.
- France
La meilleure production nucléaire après les arrêts pour contrôles lié à la corrosion sous contrainte découverte sur certains circuits de sauvegarde, ainsi qu’une meilleure pluviométrie pour l’hydro-électricité ont permis à la France de battre le record d’exportation d’électricité vers ses voisins avec 50 TWh.
Cela permet aussi à la France d’avoir une intensité carbone de son mix électrique de 50 gCO2/kWh, dans le même ordre de grandeur que la Suède (42 gCO2/kWh). Hors Union Européenne, la Suisse est en première place (10 gCO2/kWh) suivi par la Norvège (19 gCO2/kWh) dont les quelques installations fossiles (gaz et déchets) plombent les bons résultats par rapport à la Suisse.
- Finlande
En 2023, la Finlande a mis sur le réseau son réacteur nucléaire EPR Olkiluoto 3. Ceci lui a permis d’augmenter de 6% la part du nucléaire dans son mix et d’en diminuer d’autant sa part de fossile. L’intensité carbone est ainsi passé de 188 gCO2/kWh à 111 gCO2/kWh en 2023, soit une baisse de 41%, la plus forte baisse en Europe.
- Belgique
La production des ENR a augmenté en passant de 23% à 30% du mix au détriment du nucléaire qui lui est passé de 47% à 41%. La part de fossile est resté stable aux alentours de 30%. Il en résulte que l’intensité carbone du mix n’a quasi pas bougé à 190 gCO2/kWh.
- Pologne
La Pologne, dont la majorité de la production est historiquement basée sur le charbon, a énormément investi dans le développement du solaire et de l’éolien terrestre. 20% d’éolien en plus entre début 2022 et fin 2023, 114% en plus de solaire sur la même période. La part du fossile est ainsi passée de 81% à 74%, faisant tomber l’intensité carbone à 821 gCO2/kWh soit -10%.
- Pays-Bas
Les Pays-Bas qui, comme la Pologne, ont un mix principalement fossile basé sur le gaz, ont investi fortement dans les capacités solaire et éolienne entre 2022 et 2023. Ainsi l’éolien en mer a vu ses capacités augmenter de 31%, l’éolien terrestre de 16% et le solaire de 50%. Ceci a permis de faire passer la part de fossile de 81% à 76% et baisser l’intensité carbone à 554 gCO2/kWh soit -9%.
Intensité carbone en 2023 (gCO2/kWh)
Production bas carbone en 2023
Production d’origine renouvelable en 2023
Production d’origine fossile 2023
Conclusion
L’ensemble des moyens de production bas carbone permettent de réduire les émissions de CO2, qu’ils soient d’origine nucléaire ou renouvelable.
Vouloir remplacer le nucléaire par les ENR comme l’a fait l’Allemagne, le fait la Belgique ou projette de le faire l’Espagne n’est pas efficient : cela prendrait trop de temps et coûte cher en adaptation du réseau de transport et l’investissement dans des capacités de stockages types stations de pompage (STEP), batteries ou systèmes Power2Gas.
La COP28 a rappelé qu’il fallait substituer les énergies fossiles par toutes les énergies bas carbone et non pas que le nucléaire remplace les ENR ou vice et versa.
Les objectifs européens et gouvernementaux devraient être basés sur la réduction des émissions de CO2 et pas sur telle ou telle part d’ENR ou autres.
Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7981531
(*) NB : Cet article ne traitant que de l’électricité, il n’est pas représentatif de l’ensemble de l’énergie utilisée en Europe. L’électricité ne représente qu’un quart de l’énergie consommée aujourd’hui. De même pour les émissions de CO2, ni les émissions des autres énergies, ni les émissions liées aux importations ne sont abordées.
Les données proviennent :
- energy-charts.info : données de production, consommation…
- electricitymaps : données d’intensité carbone des moyens de production
- ENTSOE : données de capacité de production
La compilation des données se base sur celles de l’Union Européenne (27 pays) quand précisé spécifiquement et sur les principaux pays européens suivant sinon : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Suède, Suisse
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Merci Benoit Humbert ! La phrase qui le semble la plus marquante je cite « si l’Allemagne avait gardé toutes ses centrales nucléaires depuis 2011, elle aurait pu se passer totalement de sa production à base de lignite et de charbon »
L’Allemagne a résolument fait le choix de la logique écolo à défaut d’être éco-logique.
Bonjour,
Synthèse factuelle et intéressante, mais je note deux faits surprenants:
1) Vous affirmez que l’Allemagne a importé en 2023 8 TWh, mais le tableau en début d’article indique l’inverse (production de 493,1 TWh et consommation de 486,7).
2) Vous attribuez un bilan carbone à la Suisse en désaccord avec ElectricityMap. Vous affirmez 10 g/kWh alors que c’est beaucoup plus avec EM : 51g en production et 91g en consommation.
Cordialement,
DM