C’est l’un des États les plus prospères des États-Unis et le symbole de la toute-puissance économique et culturelle américaine. Et pourtant, cet été, la Californie a fait face à une panne de courant d’ampleur inégalée liée à une augmentation substantielle de la demande. Le choix d’un mix électrique très largement tourné vers les énergies renouvelables cristallise aujourd’hui les critiques d’une partie des experts, qui déplorent l’oubli de l’intermittence inhérente aux énergies solaires et éoliennes.
Une transition assumée vers les énergies renouvelables
Le 27 août 2018, le vote de la loi SB-100 acte la transition de la Californie vers les énergies vertes. La loi promet 50 % d’énergies renouvelables en 2026, 60 % en 2030 et, à terme, en 2045, un mix électrique entièrement indépendant des sources d’énergie fossiles. Une appellation qui, de facto, n’exclut pas la production nucléaire. Au premier semestre 2020, la production solaire et éolienne a pesé pour environ un tiers de la production électrique globale, selon les données fournies par le site Connaissance des énergies. Une part largement supérieure à celle des États-Unis, où l’addition de l’éolien et du solaire ne constitue qu’à peine 13 % du mix électrique fédéral. Le nucléaire, en revanche, ne représente que 10 % du mix électrique californien, contre 20,6 % aux États-Unis.
Un choix stratégique, qui semble épouser les impératifs de transition énergétique et de réduction des émissions de CO2 liées à la production électrique, aux conséquences qui apparaissent, à certains analystes, fâcheuses aujourd’hui. Le 14 août dernier, 500 000 foyers, soit 2 millions de Californiens, ont été privés d’électricité du fait d’un black-out de plusieurs heures. En effet, les fortes chaleurs, traditionnelles à cette période de l’année, ont été particulièrement virulentes à l’été 2020. À titre d’exemple, au sein de la fameuse Vallée de la Mort, la canicule a dépassé tous les records jamais enregistrés sur Terre. La température y serait montée à 54,4 °C, soit 130 degrés Fahrenheit, selon le système de mesure américain.
Sur le reste du territoire californien, les températures ont aisément dépassé les 40 °C, obligeant les habitants à recourir plus massivement à la climatisation et, par conséquent, entraînant une saturation du réseau. Face à cette situation, un des responsables du réseau reconnaît prosaïquement devoir « prêter une attention (plus prononcée) au progrès très décevant accompli sur l’adaptation à la demande ».
Les énergies renouvelables — partiellement — en cause ?
Selon certains experts, cette coupure de courant est symptomatique d’un recours irraisonné aux énergies renouvelables. Ainsi, Michel Gay, blogueur et auteur du livre « Vive le nucléaire heureux », affirme au journal Contrepoints que « le solaire photovoltaïque censé produire en phase avec les besoins de climatisation montre ses faiblesses », car « les manques de production ont concerné la plage horaire entre 15 h et 22 h ». Là où la demande est la plus élevée. Quant à la production éolienne, elle prouverait « son absence de corrélation naturelle avec les besoins ». En effet, en pleine période caniculaire, le vent était quasi-inexistant sur le territoire californien, rendant les éoliennes parfaitement inutiles. « Les énergies renouvelables, solaires et éoliennes pour l’essentiel, sont intermittentes », résume Philippe Charlez, Docteur en physique de l’Institut de Physique du Globe de Paris.
Mais imputer ce black-out à la seule intermittence des énergies renouvelables serait insuffisant. En effet, des facteurs conjoncturels sont aussi intervenus. Les États voisins, desquels la Californie importe régulièrement de l’électricité, n’ont ainsi pas pu assumer leur rôle. « Une baisse de 25 % des importations des États voisins, eux aussi soumis aux fortes chaleurs et ayant besoin de leur propre production d’électricité » a été constatée, selon Michel Gay.
Sans remettre en cause les choix stratégiques de développement des énergies renouvelables, l’opérateur déplore, dans un communiqué de presse daté du 15 août, « une hausse de la demande d’électricité, la perte inattendue d’une centrale de 470 mégawatts, et la perte de presque 1 000 Mégawatts d’éoliens ».
En Europe, l’épisode californien a fait bondir certains experts, qui ont interpellé les pouvoirs publics occidentaux sur les dérèglements possibles des systèmes électriques en cas de transition massive vers le tout-renouvelable sans support pilotable viable. « Que ce serait-il passé si l’éolien dans le mix électrique avait atteint en Californie le niveau danois ? » s’interroge Jean-Pierre Schaeken Willemaers, universitaire belge et Président du pôle Énergie, Climat, Environnement à l’Institut Thomas More.
Un abandon très prématuré du nucléaire ?
Dans le cadre de sa transition vers les énergies renouvelables, la Californie a très fortement abaissé la part du nucléaire dans son mix électrique. La production nette d’électricité de source nucléaire était ainsi de 32 693 GWh en 1990 pour chuter à 18 214 GWh en 2018, soit une variation de 44 % et une baisse de plus de 10 points du nucléaire dans le mix électrique californien, selon les données fournies par l’Energy Information Administration.
En 2012, une centrale nucléaire dotée de deux réacteurs de 1 000 MW chacun a été fermée et remplacée par une centrale à gaz, dont les émissions de CO2 sont sans commune mesure avec les anciennes infrastructures. En effet, selon l’opérateur San Diego Gas & Electric, le site était situé sur une zone sismique. La crainte d’un destin similaire pour la dernière centrale actuellement en fonctionnement, Diablo Canyon, inquiète les spécialistes. Impossible, selon eux, de garantir la stabilité de la fourniture d’électricité et des émissions bas carbone sans recours au nucléaire. « Seul le nucléaire peut conduire à la neutralité carbone souhaitée par tous en 2050 » abonde Philippe Charlez qui précise que « le GIEC et l’AIE l’ont bien compris en stipulant que “sans nucléaire les objectifs d’électricité verte étaient inatteignables” ». De son côté, Jean-Pierre Schaeken Willemaers explique qu’il « faudrait plafonner la part du renouvelable intermittent dans le mix électrique à un niveau tel que l’intermittence ne menace plus la sécurité d’approvisionnement électrique ».
En Californie, certains industriels promeuvent la mise en œuvre de stockage d’électricité par batteries pour combler l’intermittence des renouvelables. Au sud de San Diego, un immense système de stockage par batteries lithium-ion est par exemple en cours de développement. Une approche qui, à grande échelle, souffre encore de failles notables dans sa faisabilité, notamment au niveau technique, scientifique et financier.