Après que le charbon allemand aura contribué à faire condamner l’État français pour dépassement du seuil de particules fines PM10, le chauffage individuel au bois, première source d’énergies renouvelables en France, ne sera plus autorisé que sous certaines conditions dans 167 communes du Rhône de l’Isère et de l’Ain dès le premier avril prochain. La lutte contre les émissions polluantes de cette énergie renouvelable vient s’ajouter aux différentes mesures qui pénaliseront surtout les plus modestes.
Un seuil dépassé malgré des émissions réglementaires
Le 4 août 2021, le Conseil d’État condamnait la France [1] à verser 10 millions d’€ à l’association « Les Amis de la Terre », qui l’avait initialement saisi, pour n’avoir pas respecté les seuils limites de qualité de l’air, notamment ceux des particules fines PM10.
Un an plus tard, la France était condamnée par la Cour de justice européenne (CJUE) [2] pour n’avoir pas respecté les valeurs limites de concentration (VLC) de ces PM10 fixées par la Directive 2008/50/CE, qui sont de 40 µg/m3 en moyenne annuelle, et 50 µg/m3 en moyenne journalière à ne pas dépasser plus de 35 fois par année civile.
Dans son arrêt [3], la CJUE condamne la France pour « dépassement de manière systématique et persistante la VLC journalière pour les PM10 depuis le 1er janvier 2005 dans l’agglomération et la zone de qualité Paris », ainsi que celle de Martinique/Fort de France.
Plafond d’émissions et seuil réglementaire : 2 notions bien distinctes
Selon les données statistiques du Gouvernement [4], « La législation européenne impose, pour certains polluants atmosphériques, des plafonds d’émission par État membre, ainsi que des seuils réglementaires communs de concentration dans l’air ambiant pour la protection de la santé humaine. En 2020, treize pays dont la France respectent l’ensemble de leurs plafonds d’émission pour les cinq polluants concernés. En revanche, les seuils réglementaires de qualité de l’air pour la protection de la santé fixés pour les PM10, les PM2,5, le NO2 et l’O3 ne sont totalement respectés que par sept pays de l’Union européenne. Quatre États membres, dont la France, sont concernés par des dépassements pour les PM10, le NO2 et l’O3».
Le Programme de l’Union Européenne « Copernicus» [5] permet le suivi de la concentration des principaux polluants ainsi que leur origine, en fonction des données sur les émissions et celles de la météo. C’est ainsi qu’elle permet notamment de visualiser le dépassement des seuils, ainsi que la contribution de chaque pays dans les concentrations locales.
L’illustration ci-dessous représente la journée du 2 mars à Paris. Sur ce dépassement de seuil correspondant à 54,99 µg/m3, (en rouge) 6,15 µg/m3 provenaient de Paris même, 4,34 µg/m3 du reste de la France, soit un total de 10,49 µg/m3 pour toute la France … et 17,27 µg/m3 en provenance d’Allemagne.
Ces situations ne sont pas rares dès qu’un épisode de froid anticyclonique affecte l’Europe, dont le vent d’Est nous ramène les émissions des centrales charbon/lignite d’Outre Rhin.
Le site Energy Charts tient à jour notamment les émissions annuelles de ces PM10 des centrales au lignite allemandes, et les chiffre à 1117,20 tonnes pour 2021 [6].
Une amélioration constante dans un contexte d’allongement de l’espérance de vie
Les données statistiques du Gouvernement [4] établissent cependant que la qualité de l’air ne cesse de s’améliorer en France depuis 20 ans (2000-2021), tandis que l’espérance de vie ne fait que s’allonger, notamment en France, où elle est la plus élevée de l’Union Européenne [7] pour les femmes de plus de 65 ans. En dehors de l’année 2020 dont l’effet Covid a légèrement impacté l’espérance de vie, celle-ci continue en effet de progresser depuis 2008, et plus particulièrement l’espérance de vie sans incapacité (EVSI), en grande progression, qui a encore bondi en 2021.
La qualité de l’air représente un réel enjeu de santé publique. Pour autant, le caractère anxiogène de certains chiffres fantaisistes entretient une certaine confusion qui a fait écrire à Philippe Stoop un spirituel article : « Pollution de l’air : 38 000 morts par an dans le monde, dont 48 000 en France…» [8].
Contexte climatique
Le GIEC vient de publier, ce lundi 20 mars 2023, le rapport de synthèse [9] de 8 ans de travaux, dans lequel il exhorte les gouvernements à amplifier d’urgence leur action pour conserver un espoir ténu d’éviter l’emballement climatique qui menace.
Lors des conférences des Parties sur le climat (COP) les différents États signataires – Union Européenne plus 196 pays lors de la COP 26 – prennent des engagements en matière climatique dont la trajectoire s’avère souvent difficile à tenir.
La jurisprudence Urgenda du 12 novembre 2012 [10], a ouvert la porte à pas moins de 1550 recours dans 38 États différents, visant à condamner une action insuffisante en regard de ces engagements.
Et la France, qui a été condamnée, est bien loin d’être la seule devant les tribunaux pour l’excès de ses émissions de gaz à effet de serre (GES).
Parallèlement à ces contentieux fondés sur le résultat, la France a également été menacée de condamnation [11] par la Commission européenne pour la contraindre à respecter l’objectif qu’elle s’était fixée en termes de moyens, c’est-à-dire en part d’énergies renouvelables dans sa consommation finale d’énergie. Part qu’en 2009 elle avait négociée à 23% à horizon 2020 (Directive 2009/28/CE annexe 1) [12].
Quand un clou chasse l’autre
Le chauffage individuel au bois représente la première source d’énergie renouvelable [13] en France, (devant l’hydraulique, qui arrive en seconde position) ; il représentait à lui seul, en 2014, près de
60 % de la chaleur renouvelable sur le territoire, et environ deux tiers de la production d’énergie renouvelable à partir de biomasse solide ou gazeuse.
Selon les chiffres du Gouvernement [14], la consommation de bois des ménages s’élève en effet à 81,1 TWh en 2022, contre 38,3 TWh pour l’éolien.
Or, dans l’objectif de réduire la pollution aux particules fines, les foyers ouverts seront interdits à partir du 1er avril prochain [15] dans 167 communes du Rhône de l’Isère et de l’Ain, et les nouveaux appareils devront respecter la norme « flamme verte » durcie en 2020. Selon le Ministère [16], il y avait 50000 foyers ouverts en 2019. Selon l’ADEME [17] ces foyers représentaient 13% du chauffage résidentiel au bois en 2017.
Quelle que soit la faible efficacité de ces foyers ouverts, ce conflit entre la cause climatique, celle de la qualité de l’air et celle de part d’EnR rappelle, si besoin était, le caractère ambigu et trompeur du label « renouvelable » [18]. Et interroge sur la cohérence des priorités qui préside à la multiplication des Directives européennes en regard du caractère d’urgence angoissante [19]qui accompagne chaque communication sur le climat, tandis que la qualité de l’air s’améliore régulièrement.
Directives et France d’en bas
Malgré les subventions prévues par l’État, l’interdiction de cette énergie renouvelable en foyer ouvert et hors label « flamme verte » stigmatise à nouveau la France d’en bas en imposant de nouvelles normes de calibrage d’arrivée d’air, de tubage de cheminée et de gamme d’appareil de chauffage.
Cette France d’en bas, qui se voit aujourd’hui dans l’obligation de rénover [20] ses « passoires thermiques » dès lors qu’elle doit les vendre, ou supporter une lourde décote sur son maigre patrimoine.
Cette France d’en bas qui s’est laissée convaincre par le diesel dont les émissions lui interdisent déjà l’accès à nombreux centres et est appelé à disparaître, tandis qu’on sait depuis des années que les pneus polluent plus de 1000 fois plus que les moteurs [21].
Cette France d’en bas dont la contribution inégalitaire à la transition énergétique [22] des 20% les plus modestes représente en moyenne 4,5% du revenu total, contre 1,3% pour les 20% des ménages les plus aisés.
Les ruraux étant les plus pénalisés, avec une charge annuelle moyenne de 1160€ en 2019, contre 665€ pour un ménage parisien, selon le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État [23] destiné à éclairer le projet de loi de finance 2021.
En tout état de cause, cette France d’en bas qui pâtit déjà de la dégradation de son cadre de vie par la multiplication d’éoliennes de 200m de haut à quelques 500m de ses habitations est désormais priée de se passer des soirées au coin du feu.
Sources
Pour aller plus loin sur la qualité de l’air, mentionnons le dernier rapport suisse sur le sujet et son intéressante carte interactive à partir de 30 000 stations de surveillance dans le monde entier
https://www.iqair.com/fr/world-air-quality-report
2 https://www.citepa.org/fr/2022_05_a06/
3 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62021CJ0286&from=EN
8 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/pollution-de-lair-38-000-morts-par-an/
9 https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/
10 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/le-contentieux-climatique-devant-le-juge-administratif/
11 http://lemontchampot.blogspot.com/2022/11/lamende-de-trop.html
12 https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:140:0016:0062:FR:PDF
13 https://www.ecologie.gouv.fr/biomasse-energie
15 https://www.rhone.gouv.fr/Actualites/CHAUFFAGE-AU-BOIS-ce-qui-change-a-partir-du-1er-avril-2023
16 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Plan%20d%27action%20chauffage%20au%20bois.pdf
22 https://www.lemondedelenergie.com/eoliennes-france-tribune/2020/11/11/
23 https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/276480.pdf
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