Un secret de Polichinelle : Le suivi de charge imposé aux centrales thermiques par les énergies renouvelables intermittentes (EnRi) augmente leurs facteurs d’émission.
Une réalité qu’aucun énergéticien n’ignore, mais dont personne ne parle. Son ampleur interroge sur la réalité même des émissions réputées évitées par les EnRi françaises.
Rappel
L’efficacité énergétique, ou rendement, d’une centrale thermique s’évalue par le rapport entre l’énergie électrique produite et l’énergie du combustible consommé, généralement exprimée en PCI, ou pouvoir calorique inférieur. Ce rendement peut notamment être amélioré par l’augmentation des températures et des pressions, et le recours aux cycles combinés [1]. Une centrale à charbon offre généralement un rendement compris entre 35% et 45%.
Avec ses 605 MW de cycle combiné à gaz, la centrale de Bouchain est inscrite au Guiness Book des records avec un rendement de 62,2% [2]. Au-delà de 62% de rendement, ses émissions sont chiffrées à moins de 330gCO₂/kWh, selon un calcul cité ci-après.
L’effet yo-yo
Selon EDF [3]: « Flexible et réactive, une centrale à cycle combiné a un rendement supérieur à celui des centrales thermiques classiques. Capable de monter à pleine puissance en moins d’une heure, elle répond aux fortes variations de consommation, notamment pendant les jours de grand froid. »
Le facteur de charge d’une centrale thermique correspond en effet au rapport entre l’énergie électrique réellement produite et l’énergie qu’elle aurait produit à sa puissance nominale pendant la même période. La variation de ce facteur de charge est permise par celle des températures et des pressions, mais cette perte d’efficacité modifie les facteurs d’émission, notamment celle du CO et des NOx [4] qui augmentent en valeur absolue en dessous de 50% de facteur de charge, comme l’illustre, pour le CO, l’illustration de General Electric ci-dessous [5].
Effet sur le CO2
Jean Snoeck [6], Senior expert en thermodynamique est consultant chez XRGY Consulting, après 30 ans de carrière au sein du groupe Engie. Il a modélisé le fonctionnement de différentes centrales thermiques à partir de la composition spécifique de chaque combustible et du rendement du processus de chaque centrale. Jean Snoeck a présenté ses calculs le 21 mars 2019 lors d’une conférence donnée à Louvain-la-Neuve [7].
Pour la centrale de Bouchain, qu’il avait retenue pour le gaz, les émissions de chaque % de rendement sont calculées avec précision et regroupées dans un tableau [8]. Elles varient notamment entre 326,0 g de CO₂ pour un rendement (net generation efficiency) de 62%, et 2020,9 g de CO₂ pour un rendement de 10%. Les bilans de chaque centrale retenue sont regroupés dans l’infographie ci-dessous.
Il apparaît ainsi qu’à 10% de rendement, chaque kWh produit émet 6 fois plus de CO₂ qu’à puissance nominale.
D’ailleurs tous les énergéticiens le savent et tout thermodynamicien peut le vérifier. Cette réalité illustre la remarque du CITEPA [9], organisme officiel chargé de l’inventaire des émissions françaises, qui fait état d’une marge d’incertitude entre ± 1 % et ± 300 % concernant les facteurs d’émission (Rapport 2022 p 33) [10].
En effet RTE retient notamment le chiffre de 352 gCO2/kWh [11], par défaut pour tous les cycles combinés à gaz, quels que soient les facteurs de charge, et donc d’émission des centrales concernées. Notons que ces 352 gCO₂/kWh correspondent à un rendement d’environ 57% qui est typique de la première génération de centrales TGV à pleine charge.
Mais lorsque la sénatrice Loisier demande quelle étude d’impact de terrain [12] aurait validé la réalité de ces calculs théoriques de RTE, le ministère n’a d’autre source à proposer que celle de … RTE.
Un suivi de charge croissant
Les centrales pilotables sont désormais contraintes d’équilibrer une variation de production d’EnRi bien supérieure à la variation inévitable de la consommation. Notamment un grand écart de 30,4 GW entre le 14/03 à 4h30 et le 15/03 à 19h30, alors que la variation de la consommation n’était que de 17,5 GW, ainsi que montré dans la 2ème partie de l’article « EnR et CO2 évité »[13]
C’est ainsi que le développement des énergies renouvelables entraîne, d’une part, une augmentation du suivi de charge des centrales thermiques, et d’autre part des contraintes croissantes imposé au nucléaire, ainsi que c’est mis en évidence dans ce même article.
Ces deux points doivent interroger sur la réalité des émissions réputées évitées par les EnRi, compte tenu du fait que le mix français a émis en moyenne 45 gCO₂kWh en 2023, selon Electricity maps [14], dont la méthodologie [15] intègre le cycle complet de vie de chaque filière, et que selon la base empreinte de l’Ademe [16], le nucléaire français émet 3,7g de CO₂/kWh, l’éolien terrestre 14,1 gCO₂/kWh, 32,3 gCO₂/kWh pour le photovoltaïque fabriqué en Europe et 43,9 g pour les panneaux fabriqués en chine.
Or le nucléaire s’efface manifestement de plus en plus devant les productions intermittentes ainsi que cela apparaît lors de chaque pic solaire estival. Comme l’illustre ci-dessous l’Institut Fraunhofer pour mai 2024 [17], où chaque creux de production nucléaire, en rouge, s’efface devant chaque pic solaire, en jaune.
Ce remplacement du nucléaire par les EnRi apparaît particulièrement marqué chaque weekend en raison de l’effondrement des cours du MWh lié à la faible consommation.
Gouverner c’est prévoir
A long terme, le développement des énergies intermittentes compromet ainsi le modèle économique du nucléaire qui, de plus, aurait pu fonctionner de façon optimum si les investissements dans la flexibilité et le stockage avaient été destinés à cet effet, et non au service du lissage des productions intermittentes dont les records, et par là même les écarts, progressent de façon exponentielle, pérennisant ainsi le recours aux centrales thermiques.
Une information du public tronquée
L’information objective de la population, qui évoque les dangers du réchauffement climatique pour l’inciter à accepter les inconvénients de chaque projet éolien au nom de la réduction des émissions, ne semble pas compatible avec les seuls chiffres de l’Ademe qui mentionnent plus de 300 g de CO2 évités par chaque kWh éolien produit [18], voire entre 500 g et 600 g [19], selon les sources qui la citent.
Sources
1 https://www.ax-system.com/fr/comment-ameliorer-le-rendement-dune-centrale-thermique/
2 https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/dp_ccg_bouchain_2020.pdf
3 https://www.edf.fr/groupe-edf/comprendre/production/thermique/fonctionnement-centrale-thermique
6 https://www.linkedin.com/in/jean-snoeck-64ba54164/?originalSubdomain=be
7 https://drive.google.com/file/d/12ilFTmxxjIvnB8RsYHo6BzxnR8UsXjf4/view
8 https://drive.google.com/file/d/12cCtX78xlmZiVcVHPb9HMQlG4ZvwWO-t/view
9 https://www.citepa.org/fr/presentation/
10 https://www.citepa.org/wp-content/uploads/Citepa_Rapport-Secten-2022_Rapport-complet_v1.8.pdf
11 https://www.rte-france.com/eco2mix/les-emissions-de-co2-par-kwh-produit-en-france
14 https://app.electricitymaps.com/map?lang=fr
16 https://base-empreinte.ademe.fr/auth/access-restricted
18 https://www.lemoniteur.fr/article/l-eolien-contribue-a-la-diminution-des-emissions-de-co2.834444
19 https://www.doubs.gouv.fr/contenu/telechargement/39155/266276/file/2_Note_non_technique_Lomont.pdf