Tout d’abord, pour autant que l’hypothèse soit techniquement vraisemblable et économiquement viable, couvrir les quelque 500 TWh de notre consommation électrique annuelle avec la seule production éolienne nécessiterait d’allouer sans partage à cette dernière 5 % du territoire métropolitain, soit, selon Jean-Marc Jancovici, la surface totale occupée par nos routes, nos villes et nos parkings. Ajoutons à la démesure que, à raison de 20 à 40 MW installés par fermes éoliennes, les quelque 230 000 MW correspondants, répartis en 6 000 à 12 000 sites, nécessiteraient de relier ces derniers au foisonnement des postes-sources et sous-stations requis, à l’aide de dizaines de milliers de Km de lignes haute et très haute tension.
Prix commercial de l’éolien : une prévarication d’état
On imagine avec effroi ce qu’un tel maillage métallique, tendu entre les innombrables « têtes de chat », à quelque 40 à 50 mètres au-dessus d’un pays par ailleurs constellé de candélabres cyclopéens pourrait produire sur le biotope et sur l’esthétique du patrimoine naturel et architectural de la France, de même que sur la santé physique et mentale des créatures qui l’habitent ou la traversent périodiquement.
Le réquisitoire mérité par une telle ineptie technico économique, hélas déjà bien entamée, peut ensuite être formulé par Marcel Boiteux (1) qui, voilà une quinzaine d’années, l’avait introduit par la métaphore suivante : vendre le KWh éolien recueilli aux bornes de ses générateurs électriques comme un produit énergétique fini et garanti en toute circonstance, c’est comme vendre au consommateur de ce KWh des planches brutes au prix des étagères montées dans son salon ou la viande d’un bœuf sur pied au prix du beefsteak qu’il achète au boucher.
Du temps jadis de l’opérateur historique, EDF expliquait à tel petit producteur non nationalisé lui vendant ses KWh que quand il n’y avait pas d’eau dans son installation c’était le moment précis où le système électrique avait besoin de lui parce qu’il n’y avait pas d’eau non plus dans les grandes usines voisines dépendant du même bassin. En revanche, en période de forte hydraulicité, quand les usines « au fil de l’eau » débordaient et déversaient – d’où une valeur nulle de leurs KWh – la vraie valeur du KWh qu’EDF était bien forcée de lui acheter au tarif homologué était nulle elle aussi. Par la force des choses, s’étaient alors développées des méthodes d’appréciation, spécifiques à l’électricité, reposant essentiellement sur la distinction entre, d’une part, la puissance garantie d’une installation – c’est-à-dire le débit d’électricité exprimé en KW, sur lequel on pouvait compter quoi qu’il arrive, dans les hivers difficiles – et, d’autre part, l’énergie exprimée en KWh plus ou moins prévisibles, produite à différentes époques. Ainsi, à toute nouvelle installation de production d’électricité était attachées deux caractéristiques essentielles : son coût (annuel) par kW garanti, son coût (unitaire) par KWh produit. Et l’utilité économique de toute nouvelle installation se mesurait par comparaison, en appréciant :
- d’une part, le coût par KW garanti de la meilleure installation thermique qu’on aurait dû réaliser en son absence n ;
- d’autre part, la valeur du charbon, du pétrole ou de l’uranium que les KWh produits allaient permettre d’économiser, selon les époques, par substitution à la production des centrales existantes.
Avec la prépondérance progressive d’une production thermiques servilement pilotables – l’aménagement hydroélectrique étant achevé – l’EDF d’autrefois s’habitua donc, peu à peu, à parler d’un coût du KWh, total du coût proportionnel et du quotient des charges fixes par la durée annuelle probable d’utilisation (cette durée étant sous-entendue), sans se soucier des aléas de la nature : le nucléaire coûte tant par MWh, pour 7500 heures annuelles probables, le thermique classique forcément plus cher pour 2500 heures probables, la turbine à gaz encore plus cher, avec quelque chose comme 500 heures probables…
Aujourd’hui, permettre à l’éolien d’échapper à semblable procédure marchande d’homologation, dont la salubrité économique n’est contestée ni par le producteur ni par le consommateur, constitue une authentique prévarication d’État. Et sa manifestation la plus inique consiste à faire croire au consommateur et au contribuable que l’évaluation à quelque 80 € du coût du MWh éolien est le prix commercial appliqué au consommateur… tiré de ladite procédure marchande d’homologation.
Les limites du « Pitch Control »
Heureusement, se disent les Français les plus lucides, nos décideurs savent l’hypothèse évoquée au début techniquement invraisemblable, ce qui borne forcément l’étendue de leur prévarication. Que nenni ! Cette dernière est doublée de l’imposture scellée par RTE, lui-même, visant à faire croire que l’aérogénération électrique recèle de considérables marges de progrès n’attendant que les prouesses de la R et D pour en faire jouir tous les Français ; des prouesses dont la fugace et inconsistante écume quotidienne n’est pourtant perçue que par le discours officiel et par une presse complaisante. Il va de soi qu’il en ira indéfiniment ainsi, comme n’a guère de difficultés à le montrer ce qui suit.
Quel que soit le type de machine considéré, le niveau de la puissance électrique demandée à une éolienne ne s’obtient laborieusement que par le réglage électrique de sa vitesse de rotation. Sur les génératrices anciennes dites asynchrones, on y parvient en agissant sur le glissement, la différence entre la vitesse synchrone du réseau et la vitesse de rotation de la turbine, en déchargeant plus ou moins le rotor de la puissance électrique induite. Les possibilités de ce réglage vont de quasi nulle à entre 0,5 et 1,1 de la puissance nominale de la machine, selon sa technologie.
Sur une génératrice synchrone, un alternateur pour faire simple, la variation de puissance s’obtient en faisant varier électriquement le couple résistant à ses bornes. Les machines modernes débitent un courant alternatif transformé dans un premier temps en courant continu, puis reconstitué en un courant alternatif doté des caractéristiques fréquence et tension du réseau local, à l’aide d’un onduleur asservi à un système de régulation sophistiqué.
Pour être complet, les turbines éoliennes dites à vitesse mécanique variable utilisent un dispositif d’orientation des pâles appelé pitch control permettant de limiter leur vitesse de rotation par vents forts à très forts, pour des raisons de sécurité. Sur ces machines synchrones ou asynchrones à rotor bobiné et à double alimentation, l’angle d’orientation des pâles devient fixe pour de faibles vitesses du vent.
Tout le monde aura compris que l’opération de réglage de la puissance d’une éolienne, lorsqu’elle est possible, revient à brider la machine, c’est-à-dire à ne pas exploiter tout le potentiel énergétique éolien du moment, afin de constituer une réserve de puissance plus ou moins modulable. Le simple bon sens avait déjà permis de comprendre qu’un aérogénérateur ne peut créer ex nihilo une énergie que le vent ne lui délivre pas, mais, fait aggravant, il ne coule pas de source que cet aérogénérateur est également incapable de contribuer comme il se doit au maintien de la stabilité du système électrique national, dans le domaine du réglage de la tension.
1000 milliards d’euros dans le vent
Pourtant, Allemands, Belges, Suisses, Italiens, Espagnols et autres Portugais semblent continuer de croire que, dans un avenir raisonnable, la consommation française d’électricité pourrait bel et bien être majoritairement couverte par une production éolienne de surcroît compétitive ; les deux premiers tout particulièrement que rien ne semble arrêter dans la surréaliste fuite en avant : selon le Düsseldorf Institute for Competition Economics (DICE) le coût d’une transition énergétique allemande à dominante éolienne commencée en 2000 se montera à 520 milliards d’euros fin 2025, d’aucuns, au regierung, jugeant même que la facture pourrait dépasser les 1000 milliards, dans la première moitié des années 2030.
Mais le plus surréaliste de ce que vit actuellement notre pays, en la matière, ce sont les 6 scénarios du mix énergétique que l’oracle RTE lui prophétise pour les années 2050 à 2060, marqués par l’ascèse énergétique volontaire, dont aucun n’envisage une participation des EnR inférieure à 24 %, le scénario M0 tant théorisé par l’inénarrable ADEME allant jusqu’à en revendiquer 100 %, sans le moindre complexe. Décidément, en l’absence de remise préalable de doc(s), la sélection électorale du pouvoir politique va devenir un exercice de plus en plus complexe pour le citoyen ordinaire.
(1) Marcel Boiteux est un ancien élève de l’École Normale Supérieure, section sciences (1943 et 1946), agrégé de mathématiques (1946) et diplômé de Sciences Po Paris (1947), successivement directeur des Études économiques à la Direction générale d’EDF, directeur général adjoint, directeur général, puis président du conseil d’administration de l’opérateur historique, de 1979-1987.
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