Ce qu’il se passe en Europe et en France est gravissime dans le domaine de la production électrique, un bien de consommation vital aujourd’hui, et donc en même temps dans les domaines énergétique, économique, et géopolitique, du budget des ménages, de l’écologie, de la satisfaction des besoins des nations, de la qualité et de la continuité du service au public, de la préservation du patrimoine industriel, matériel et humain.
La politique européenne, et française donc, sur fond d’idéologie VERTE depuis 20 ans et plus précisément depuis le 11 mars 2011, date de la catastrophe de Fukushima, nous mène au bord de la falaise. A la manière de l’effondrement d’un château de cartes qui amène au black out électrique comme le dernier en date, le 9 Août 2019 dans le sud du Royaume uni, les états sont dans une fuite en avant perpétuelle en surfant sur la peur et la méconnaissance du grand Satan nucléaire.
Comment en sommes-nous arrivés là et quelles sont les dernières mesures en France notamment qui enfoncent encore plus le clou de notre déchéance annoncée au profit de l’intérêt économique et géopolitique d’autres états ?
En 1974, la France, « qui n’avait pas de pétrole mais des idées », s’était détournée de la dépendance des énergies fossiles pour sa production d’électricité, pétrole, gaz, fuel et charbon par voie de conséquence. Par volonté politique, en 22 ans, de 1977 à 1999, la France a construit un parc électronucléaire de 59 réacteurs, 58 REP et Creys Malville, soit la construction et le démarrage de 2,7 réacteurs par an pendant 22 ans. Pour sa production d’électricité, le mix énergétique nucléaire et hydraulique a réduit à moins de 5% le recours aux énergies fossiles à fort impact carbone et a assuré en même temps, la sûreté, un des plus faibles impact carbone européen, une qualité et continuité de service sans black out national depuis le 19 décembre 1978, une rentabilité économique et un coût de l’électricité parmi les plus bas d’Europe, malgré un remboursement de l’emprunt d’état. Les faits sont là depuis 45 ans.
Depuis maintenant 10 ans, aussi bien en Europe qu’en France, sur fond de peur et de méconnaissance savamment entretenue et par calcul électoraliste à court terme, l’idéologie anti nucléaire n’a eu de cesse d’ébranler ce service au public bâti par un personnel politique français qui avait de la vision à long terme et l’intérêt général comme fondement. A coup (coût) de 500 Milliards d’euros de subventions publiques, l’Allemagne, en tête de pont de cette idéologie, a massivement investi dans les énergies renouvelables. Avec 120GW cumulée de puissance installée solaire et éolien, elle a arrêté une bonne partie de son parc nucléaire, 3 centrales encore dernièrement le 31 décembre 2021, tout en démarrant en même temps une centrale à charbon flambant neuve de 1100MW à Datteln en juin 2020. Malgré cet investissement colossal dans les ENR, l’Allemagne reste en quantité de CO2 rejeté, LE pays européen le plus émetteur, le double de la Pologne, et donc le plus impactant du climat.
Très influente à la commission européenne, l’Allemagne imprime sa vision idéologique sur les autres états qui appliquent, à plusieurs niveaux.
- L’arrêt dogmatique de réacteurs nucléaires comme en Allemagne. Sur cette logique, la France a arrêté deux réacteurs à Fessenheim sur fond d’accord électoral PS/EELV comme en Allemagne. Ces 2 réacteurs étaient sûrs d’après l’Autorité de Sûreté Nucléaire indépendante et donc en parfait état de marche. Ils nous font aujourd’hui cruellement défaut. La preuve, en ce début d’année 2022, l’état a autorisé les centrales au charbon françaises à produire plus et donc à impacter le climat encore plus, comme en Allemagne. Et comme si cela ne suffisait pas, la France construit une centrale au gaz méthane, un puissant gaz à effet de serre, de 446MW à Landivisiau en Bretagne. Elle démarrera en février 2022. La France s’aligne sur l’Allemagne qui a recours au gaz pour pallier l’intermittence des ENR après avoir arrêté son parc nucléaire. En pleine lutte contre le réchauffement climatique, la Belgique emboite aussi le pas dans cette logique idéologique de sortie du nucléaire en se privant d’un moyen de production sûr et bas carbone.
- L’investissement massif dans la construction des ENR, par subventions publiques comme en Allemagne. Dans un rapport de mars 2018, la cour des comptes a identifié, page 46, à hauteur de 121 milliards d’euros (1) à l’horizon 2046 les engagements réalisés pour la construction de parcs éoliens et solaires français. Ces engagements sont financés par prélèvement de taxes sur les carburants de l’ordre de 11c€/litre de carburant (2 – détail du calcul des 11c€/litre de carburant). Contrairement au parc nucléaire français qui a été financé par emprunt d’état qu’EDF à remboursé, les ENR sont, elles, financées par subventions publiques que les promoteurs n’ont pas à rembourser. Si les 31GW cumulés de puissance installée de parcs solaires et éoliens en 2022 permettaient encore de réduire l’impact carbone, ces subventions publiques ne seraient pas vaines. En France, ce n’est pas le cas puisque notre production électrique est déjà historiquement bas carbone, avec le nucléaire français qui a un impact carbone de 6g CO2/kWh, plus faible que l’éolien à 11g CO2/kWh et que le solaire à 55g CO2/kWh (2). Autrement dit, notre transition énergétique française a été faite entre 1977 et 1999. Dans ce domaine nous sommes bien en avance sur l’Allemagne.
- Le mécanisme de l’ARENH, sur fond de libéralisme écolo. L’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique est un dispositif imaginé par les pouvoirs publics français qui oblige EDF, à vendre, à prix cassé de 42€/MWh, 100TWh d’électricité bas carbone, soit le tiers environ de sa production annuelle, à ses concurrents, des fournisseurs alternatifs qui, pour certains, ne produisent pas d’électricité et n’ont donc aucun investissement à réaliser. La plupart ne fait qu’acheter de l’électricité au quart du prix du marché et le revendent en spéculant. Par contre, lorsqu’EDF a à acheter de l’électricité, elle l’achète au prix fort du marché, à minima 4 fois plus que ce qu’elle vend à ses concurrents. C’est une double peine. L’actionnaire majoritaire, l’état, plombe les comptes d’EDF et l’oblige à subventionner ses concurrents. Il faut ajouter le poids de l’investissement matériel et humain et la mission de service au public qui incombe au seul groupe EDF. Et comme si cela ne suffisait pas, le 14 janvier 2022, l’état surenchérit cette obligation de vente d’EDF aux fournisseurs alternatifs de 20TWh supplémentaires réévalués à 46,2€/MWh. Cette mesure asphyxie encore plus les comptes de l’opérateur historique de service au public, EDF. Le coût interne subi par EDF est estimé à 8 milliards d’euros, soit la moitié de l’investissement d’un prototype EPR qui permettrait de fournir 1700MW d’électricité sûre, bas carbone et pilotable. L’état français contribue à l’affaiblissement d’EDF voulue l’Allemagne. Mais dans quel but ?
- Le remplacement du nucléaire par du gaz russe vendu aux pays européens par l’Allemagne. L’Allemagne s’est doté de 2 gazoducs nommés Nord Stream 1 et 2 qui acheminent le gaz russe en Allemagne puis en Europe. La commission européenne vient de valider l’intégration du gaz dans la taxonomie dite VERTE dans l’optique de remplacer les centrales au charbon par des centrales au gaz, ce qui va effectivement réduire l’impact carbone. Néanmoins, comme l’Allemagne est dans une idéologie de sortie du nucléaire bas carbone à 6g CO2/kWh (3), son remplacement par du gaz à 418g CO2/kWh (3), fait perdre le bénéfice écologique du nucléaire. Autrement dit, on ne gagne rien sur ce que représente la lutte vitale contre le réchauffement climatique pour la biodiversité et la pérennité de l’espèce humaine. L’Allemagne, elle, y trouve un intérêt commercial, la vente de gaz, et la maîtrise de la dépendance des pays européens qui choisissent le gaz en remplacement du nucléaire, comme la Belgique aujourd’hui.
Il y a néanmoins une porte de sortie à cette guerre énergétique que l’Allemagne fait à la France et aux autres pays européens par la commission européenne interposée. L’explosion du coût de l’électricité à cause des prix du gaz est une opportunité politique.
Le prix du marché de l’électricité est aujourd’hui de l’ordre à 300€/MWh parce qu’il est indexé sur le prix du gaz actuellement très élevé, même si l’électricité est produite par un autre moyen de production. Ceci explique la perversion du mécanisme de l’ARENH développé ci-dessus. EDF produit de l’électricité nucléaire bon marché qu’elle vend à ses concurrents à 46€/MWh et l’achète au prix fort sur le marché à 300€/MWh. Encore une fois, la France a choisi la fuite en avant avec la rehausse de 20TWh du dispositif ARENH plutôt qu’une prise de conscience d’une situation ubuesque et une rupture dans sa politique énergétique, économique et géopolitique.
L’explosion du prix de l’électricité met en lumière l’intérêt de l’électricité d’origine nucléaire historique dans tous les domaines en même temps économique, écologique, développement durable, indépendance énergétique de la France. Elle illustre l’aberration de l’obstination de la politique suivie depuis 10 ans et la fuite en avant des politiques qui ne veulent pas reconnaître les erreurs du passé, par pur calcul électoral. La réalité de la situation doit prendre le pas sur la vérité des dogmes quels qu’ils soient. Ce sont de responsables politiques pragmatiques dont nous avons besoin. Comme le disait le Général de Gaulle dans une interview du 14 décembre 1965 (4), « Il faut prendre les choses telles qu’elles sont. On ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. » Autrement dit, en politique, le pragmatisme doit prendre le pas sur les idéologies, quelles qu’elles soient.
Que faire ?
Les mesures prises depuis de nombreuses années dans le domaine de l’énergie proviennent des règles imposées par l’Europe. Elles nous rendent dépendant de nos voisins et du gaz, une énergie fossile. Le dispositif de l’ARENH décrit ci-dessus et la hausse des tarifs de l’électricité en sont des tristes exemples. Les dernières mesures de l’état français ne sont que les conséquences de l’application d’un dispositif qui a manifestement d’autres objectifs que de favoriser la concurrence et faire baisser les prix. Dans ces conditions, quelles solutions sont possibles ?
- Le premier réflexe est de dire que puisque le problème vient de l’Europe, il faut en sortir pour instaurer NOS règles nationales. C’est un raisonnement simpliste propre au populisme qui sert le nationalisme en ciblant l’ennemi responsable de tous les maux. Mais comme toutes les règles, elles apportent des contraintes certes mais aussi des garanties. Et dans le domaine de l’énergie, la garantie de fourniture lorsque nous avons besoin d’électricité pour faire marcher l’économie, c’est le cas en ce moment. L’absence de décisions pragmatiques en France depuis de nombreuses années dans le domaine de la production électrique nous rend dépendant de nos voisins. Sous la pression VERTE, l’arrêt de Fessenheim centrale sûre et en parfait état de marche en est un exemple. C’est un fait.
- L’autre solution est de rester dans l’Europe en faisant évoluer les règles de l’intérieur, notamment celle de l’ARENH. Le bon sens pragmatique en même temps économique, écologique et géopolitique plutôt que l’idéologie doit redevenir la règle. Mais pour cela, il faut deux conditions. Avoir une France suffisamment forte pour une voix audible et ainsi insuffler cet élan de réforme et trouver des alliances chez les autres pays européens pour contrer l’hégémonie allemande qui régit la commission européenne. Mais les politiques VERTES européennes ont fragilisé la force constituée par notre mix énergétique français à 95% bas carbone de 43 ans d’âge et nous rendent vulnérables. Il convient donc au préalable de reconsolider ce mix énergétique bas carbone qui est notre force française et donc de prendre des décisions courageuses, en dehors de toutes considérations électoralistes.
L’énergie est un domaine régalien. Qui chez les candidat(e)s à l’élection présidentielle relèvera le défi ?
(1) Rapport de la cour des comptes de Mars 2018 page 46
(2) Détail du calcul des 11c€/litre de carburant qui financent la construction des ENR
– Sur 1 litre de carburant, la TICPE, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, prélève en moyenne 60c€. (Source : https://www.economie.gouv.fr/entreprises/taxe-interieure-consommation-sur-produits-energetiques-ticpe
– 45% environ de cette somme sont versés au budget de l’Etat. (Source : http://www.financespubliques.fr/glossaire/terme/TICPE/)
– 40% environ de la part de TICPE de l’état finance le CAS-TE, Compte d’Affectation Spécial-Transition Energétique, pour promouvoir le développement des ENR de production d’électricité. (Source : http://www.senat.fr/rap/a17-113-1/a17-113-15.html)
Donc, les subventions publiques à la construction des ENR en France est de 11c€/litre de carburant, d’après le calcul 60c€ x 45% x 40% = 11c€.
(3) Site de l’ADEME qui donne l’impact carbone des moyens de production après s’est enregistré sur le site.
https://bilans-ges.ademe.fr/fr/basecarbone/donnees-consulter/choix-categorie/categorie/69
(4) Interview du Général de Gaulle https://www.youtube.com/watch?v=zufecNrhhLs
Merci de cet historique bien décrit.
L’avenir reste plein d’incertitudes :
– la spoliation d’EDF, qui bloque à 4 % l’augmentation d’un TRV défini par un décret ministériel (signé S. Royal !), pourrait être déclaré illégal par le Conseil d’Etat.
– même s’il est remplacé par un autre décret qui légitimerait la spoliation d’EDF, la constitution interdit de priver une entreprise (EDF est un SA de droit privé) de ses revenus, comme à FSH l’Etat pourrait donc être contraint à indemniser EDF des milliards perdus à cause du blocage des tarifs à des 20 TWH à 46 € que sa tutelle lui a imposés. Au final, au lieu d’être le consommateur ce serait le contribuable qui casquerait.
– Ces mesures destinées à « protéger le pouvoir d’achat des français » sont excessives par ce que l’Etat n’est pas responsables de l’envolée des prix du gaz. En supprimant la taxe sur l’électricité il avait fait le maximum (il restait quand même la TVA à enlever). La crainte de GJ, incapables de percevoir la réalité de la situation, a conduit le président inquiet par sa réélection à poignarder EDF pour éviter d’être soumis au même sort : les français en sont-ils conscients, et le seront-ils au moment de voter ?
– Le Maire jure qu’il ne laissera jamais tomber EDF si elle est en difficultés : il oublie de dire que dans 4 mois il ne sera plus aux manettes et son successeur ne sera pas tenu d’honorer ses promesses. Pire il pourra toujours dire que la spoliation d’EDF était malhonnête, mais qu’il n’en est pas responsable et ne se sentira pas tenu de corriger le tir.
Merci Gérard pour votre commentaire. Oui, en effet et … malheureusement pour nous, dirais-je, vous avez raison. Les mesures actuelles n’engagent pas ceux qui les prennent puisqu’ils ne seront plus là pour les assumer. Et l’état dit qu’il sera à coté d’EDF au cas où ? Est-ce que cela a été le cas dans le passé ?
Et puis … l’état aurait-il toujours été aux cotés d’EDF ? L’assassinat politique d’EDF, qui l’a commandité ? La PPE, avec la condamnation à mort de 12 réacteurs supplémentaires comme Fessenheim en parfait état de marche, qui l’a rédigée ? La mort du projet ASTRID, qui l’a décidée ? L’ARENH et son élargissement décidé de manière unilatérale, qui l’a imaginé ? Etc.
N’est-ce pas plutôt l’inverse, EDF qui a toujours été aux cotés de son actionnaire, en bon soldat ? Depuis 50 ans, l’état s’octroie les impôts sur les bénéfices d’EDF avec ses comptes systématiquement excédentaires. Le parc nucléaire est depuis 40 ans fortement exportateur d’électricité ce qui contribue grandement à la balance du commerce extérieur. Sans aucun apport de l’état qui n’a fait que prêter l’argent par emprunt d’état, EDF a construit et démarré un parc nucléaire de 58 réacteurs + Creys Malville en 22 ans, a remboursé son emprunt, tout en garantissant un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe, près de la moitié moins que l’Allemagne, tout en donnant 1/3 de son électricité à ses concurrents à prix cassé.
Quel est l’industriel qui est à ce point zélé vis à vis de son actionnaire ?
Et puis, tant que c’est rentable, comme le nucléaire, on finance par emprunt d’état. Quand ça n’est pas rentable, comme les ENR, on finance par subventions publiques massives, 121 milliards d’€ d’après la cour des comptes, sur le dos des contribuables, pour pas 1gramme de CO2 en moins pour la planète.
Non, à l’évidence, l’état ne joue pas le jeu. Les dés sont même pipés.