Alors que certains de nos auteurs nous ont déjà alerté sur la possibilité de black-out à venir en cas d’hiver rude, Philippe Charlez, expert en questions énergétiques à l’Institut Sapiens, vient de publier « L’Utopie de la croissance verte: Les lois de la thermodynamique » (Laffont). Dans cet ouvrage il pose la question : « Quelle croissance pour quel mix énergétique à l’horizon 2050 ? » ce qui sous-tend la question de savoir ce qu’il faut faire « pour que nos hôpitaux et nos écoles ne soient pas éclairés un jour sur cinq », une tribune exclusive rédigée pour Europeanscientist.
La transition énergétique sera électrique
La transition énergétique vers une société bas carbone sera d’abord et avant tout une transition électrique. Elle reposera sur le « grand remplacement » des équipements thermiques par des équipements électriques : véhicules électriques et hydrogène vert fabriqué à partir d’électricité en lieu et place de la mobilité au pétrole, pompes à chaleur, chauffe-eaux thermodynamiques pour remplacer les chaudières thermiques et les chauffe-eaux au gaz dans l’habitat, hydrogène vert pour réduire le minerai de fer en lieu et place du charbon dans la sidérurgie ou encore four à arc électrique haute température en sidérurgie ou en cimenterie.
Ces équipements ont pour la plupart été découverts durant la première moitié du XIXe siècle. Nicholson et Carlise identifièrent l’électrolyse de l’eau en 1800, Perkins construisit la première pompe à chaleur en 1834, Stratingh la première voiture électrique en 1835 et Shoenbein la première pile à combustible en 1839 30 ans avant que Diesel, Otto et Beau de Rochas mettent au point le moteur à combustion. C’est aussi l’électricité qui permit à la célèbre « jamais contente » de dépasser le cap des 100 km/h. Quant au stockage électrochimique de l’électricité, Volta en dessina les prémices en inventant la pile en 1800 et Gaston Planté la convertit en batterie en 1849. Tout aussi mature mais un peu plus récents, les fours à arc électrique sont utilisés dans la sidérurgie depuis les années 1950. Si la R&D peut en améliorer incrémentalement l’efficacité (électrolyse haute température, batteries à électrolyte solide), ces équipements ne représentent en rien une percée technologique.
De ce grand remplacement résultera un accroissement significatif de la consommation d’électricité. En France, elle devrait presque doubler passant de 450 TWh en 2019 à près de 800 TWh en 2050. Le rêve de tout un chacun est évidemment de produire principalement cette électricité à l’aide d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Des technologies qui au passage ne sont pas davantage novatrices que les équipements qu’elle nourriront : l’éolienne n’est que le couplage du moulin à vent inventé en 2000 ans avJC et du générateur électrique conçu par Faraday en 1838 tandis que le panneau photovoltaïque repose sur l’effet photoélectrique théorisé par Hertz, Planck et Einstein à la fin du XIXe siècle. Quant à la biomasse qui devrait intervenir en appoint de l’électricité, elle n’est pas davantage novatrice : Rudolf Diesel utilisa l’huile d’arachide pour tester son moteur et Henry Ford l’alcool pour alimenter sa fameuse « Ford T ». Le principal défi de la transition énergétique n’est pas fondamentalement technologique : il réside dans le remplacement des « énergies de stock » par des « énergies de flux ».
Comment échapper aux caprices de dame nature ?
Les énergies de stock (charbon, gaz, pétrole, uranium) sont disponibles dans la nature sous forme de « matière énergétisable » alors que les énergies de flux (éolien, solaire) nous parviennent directement sous forme d’énergie. Or, contrairement à la matière qui est stockable, transportable et concentrée, l’énergie ne se stocke pas, se transporte très mal et se disperse rapidement. Et cela fait toute la différence. Alors que les énergies de stock peuvent produire de l’électricité « où je veux » « quand je veux » et « combien je veux », pour les énergies de flux c’est Dame Nature qui décide où, quand et combien.
Ainsi en France alors que le nucléaire ou le gaz peuvent fournir de l’électricité entre 80% et 90% du temps, l’éolien terrestre n’en produira que 20% du temps et le solaire un peu plus de 10%. En d’autres termes supprimer une unité de puissance de gaz ou de nucléaire, demandera de la remplacer par 4 unités de puissance de vent et 7 de soleil. En termes de quantité d’équipements, les conséquences sont décisives : à production équivalentes, les 58 réacteurs nucléaires français demanderaient la mise en œuvre de 125 000 éoliennes terrestres de 2MW ou une surface de panneaux solaires équivalente à celle d’un département comme la Haute Loire. Un tel délire d’équipements ne protégerait pas pour autant le citoyen des intermittences : il devrait quoi qu’il en soit adapter sa consommation électrique aux aléas de la nature
D’autres analogies peuvent parfois paraître irréelles : un puits de pétrole moyen occupant en surface un hectare produira l’équivalent de 10 000 hectares de forêt ; faire voler un airbus A380 au solaire demanderait des ailes dont la surface serait équivalente à 90 terrains de football ; remplacer le pétrole consommé en France dans les transports par de l’hydrogène vert demanderait 60 réacteurs nucléaire ou 125 000 éoliennes supplémentaires ; la bio-séquestration des 350 millions de tonnes émises par la France chaque année demanderait de planter 8 milliards d’arbres.
Ces chiffres souvent stratosphériques ne dépendent pas fondamentalement de la technologie mais de données naturelles : heures de vent et de soleil, capacité d’absorption des arbres. La technologie pourra certes améliorer la situation de façon incrémentale. Mais, fondamentalement la transition d’une économie brune vers une économie verte n’est pas un défi technologique ; c’est avant tout un effet d’échelle.
Une croissance 100% verte consistant éclairer Lille et Strasbourg avec le vent d’Aquitaine et le soleil de Nice relève de l’utopie et ne pourrait que nous entraîner vers un monde de sobriété imposée synonyme de décroissance économique. Qui accepterait de renoncer à deux siècles de développement, de calquer sa consommation d’électricité sur le vent et le soleil, d’accepter un monde dans lequel les hôpitaux et les écoles seraient énergétisés un jour sur cinq ?
Recette pour un développement durable et neutre en carbone
Le secret d’un développement durable neutre en carbone et reposant sur une croissance soutenable se trouve dans un mix énergétique arc-en-ciel équilibrant de façon pertinente les énergies les plus propres. En France, les 800 TWh d’électricité peuvent être raisonnablement atteints avec 35% de renouvelables intermittents (au-delà desquels des instabilités son observées dans le réseau), 10% d’hydroélectricité et 55 % de thermique qui, dans la mesure où l’on exclut le charbon, ne pourront venir que du gaz et du nucléaire.
Le carénage du parc nucléaire existant (56 GW – 1 milliard d’euros par réacteur) qui permettra de prolonger sa durée de vie de 20 ans est une priorité absolue. Pour un coût dérisoire (+7,5€/MWh) il accompagnera sans douleur la montée en puissance des renouvelables. Mais, si la France veut accéder à la neutralité carbone à l’horizon 2050, elle devra mettre en œuvre une stratégie semi décentralisée en utilisant astucieusement les meilleurs gisements de vent et de soleil soutenus par des petites unités thermiques (gaz ou nucléaire – les fameux SMR) de quelques dizaines de MW. Elle devra aussi construire de nouvelles centrales nucléaires centralisées de type EPR (probablement une dizaine) ou éventuellement à surgénération au plutonium en relançant sans tarder le projet Astrid maladroitement arrêté pour des raisons purement politiques.
La part du gaz dans le mix électrique 2050 dépendra en grande partie de la « volonté nucléaire » et devra dans la mesure du possible être optimisée pour des raisons climatiques mais aussi et surtout pour des raisons à la fois économiques et géostratégiques. Pour ce qui est de la génération gazière, le coût des installations ne représente qu’une partie infime du coût du MWh alors que le coût du combustible en couvre plus de 95 %. Pour le nucléaire ce sont au contraire les installations qui font le prix alors que le combustible (l’Uranium) ne compte que pour quelques pourcents. Il n’y a donc aucune comparaison entre les risques inflationnistes liés à la volatilité des prix du gaz et de l’uranium.
Depuis 2018, on assite sur les marchés du gaz à une baisse de l’offre liée à la faiblesse des investissements mais surtout à une augmentation frénétique de la demande à la fois en Europe et dans le Sud-Est Asiatique. En conséquence (1) depuis début 2021 les cours du gaz ont flambé sur les marchés européens dépassant lors des dernières semaines le seuil fatidique des 100 €/MWh. Si certains économistes considèrent cette hausse comme conjoncturelle, tous les indicateurs (réserves, production, demande) montrent que le prix moyen du gaz ne devrait pas baisser au cours des prochaines années. Parallèlement au gaz, les marchés du carbone se sont aussi envolés. Mécaniquement le MWh électrique gazier qui s’achetait à 30€ sur le marché de gros atteint aujourd’hui 180 €. Un prix à comparer aux 55€ du nucléaire existant caréné ainsi qu’à celui de l’EPR qui malgré l’explosion des coûts devrait converger à terme autour de 100€.
Bien que la présence du gaz soit incontournable dans le futur mix électrique français, elle devra être autant que possible minimisée au profit de la part du nucléaire. Il en va à la fois des enjeux climatiques, de la sécurité énergétique mais aussi de la balance commerciale de l’Hexagone.
(1) https://www.contrepoints.org/2021/06/29/400554-prix-du-gaz-attention-danger
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