Il ne se passe pas un seul jour sans voir « l’opinion publique » s’indigner du « scandale » des déchets nucléaires. Si l’on admet volontiers que l’énergie nucléaire civile possède quantité d’avantages, une bonne partie de la population mondiale reste convaincue que le « problème » des déchets hautement radioactifs est insoluble. Les solutions proposées jusqu’ici, notamment l’enfouissement des déchets, ne sont acceptables ni sur le plan technique (nombre de sites limité, stockage complexe, longue durée de vie, etc.), ni sur le plan moral (on lègue le problème aux générations futures).
Pourtant, cette situation pourra complètement changer avec le projet MYRRHA (Multi-purpose hybrid research reactor for high-tech applications), un projet d’1,6 milliards d’euros du Centre d’étude de l’énergie nucléaire (SCK-CEN) de Mol, à une cinquantaine de kilomètres d’Anvers en Belgique. Ce projet belge d’envergure qui attire des chercheurs du monde entier, sera opérationnel dans une dizaine d’années. Il s’agit du premier prototype au monde à être alimenté par un accélérateur de particules. MYRRHA servira à la recherche fondamentale et appliquée, la production de radio-isotopes médicaux, l’étude de nouveaux matériaux, des solutions innovantes pour les déchets nucléaires et la fusion nucléaire…
Plusieurs centaines de millions d’euros ont déjà été investis dans les études et des éléments majeurs du dispositif. La bonne nouvelle, c’est qu’après des années de discutailles, de sabotages et de vérifications, dans un pays qui officiellement a choisi d’acter sa sortie du nucléaire, le vendredi 9 décembre 2022 entrera dans les livres d’histoire comme le jour où l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) belge a accordé son approbation officielle pour un projet qui va modifier substantiellement la perception du nucléaire auprès du grand public.
Ainsi, les travaux d’agrandissement du site, indispensables pour y installer les équipements, peuvent désormais commencer.
A noter également, le fait que MYRRHA a été inscrit sur la liste du Forum stratégique européen pour les infrastructures de recherche (ESFRI), qui recense les projets considérés par les chercheurs comme étant à la pointe du progrès, et le Comité de collaboration européen pour la physique nucléaire (NuPECC) a inclus le dispositif « isol@myrrha » dans son plan à long terme concernant les principales installations européennes de physique nucléaire. Enfin, le Plan stratégique européen pour les technologies énergétiques (plan SET), destiné à promouvoir les technologies bas carbone, mentionne également MYRRHA, ce qui permet au projet de recevoir un financement de la Banque européenne d’investissement.
Transmutation ?
Un des objectifs de MYRRHA c’est de démontrer la faisabilité technique, via la fission nucléaire, de la « transmutation » (terme emprunté aux alchimistes) des déchets radioactifs à longue durée de vie en déchets à durée de vie écourtée ou en atomes stables inoffensifs, voire, en ressources nouvelles !
Rappelons que les découvertes des isotopes et de la transmutation datent du début du XXe siècle. Les noyaux des atomes d’un même élément de la table de Mendeleïev ont le même nombre de protons, mais un nombre différent de neutrons. On dit alors qu’ils sont des isotopes de l’élément en question. Il s’agit d’atomes identiques du point de vue de la chimie, mais différents du point de vue nucléaire. Par exemple, les carbone-12, carbone-13 et carbone-14 sont trois isotopes du carbone. Le 12 représente les six protons et six neutrons du noyau, le 13 représente six protons et sept neutrons et le 14 correspond à six protons et huit neutrons. Les six protons définissent ces trois entités comme étant des isotopes de carbone, et c’est leur nombre de neutrons qui les différencie.
A la même époque on découvre que l’émission d’un rayonnement à partir de l’uranium s’accompagne de l’apparition de nouveaux éléments chimiques, notamment du thorium qui a sa place propre dans le tableau de Mendeleïev. Dans ce cas là on parle de transmutation.
Avec le réacteur MYRRHA, une première catégorie de déchets, importante, pourra être traitée : les actinides (terres rares) plutonium, neptunium, américium et curium. Si ces éléments sont irradiés, ils « disparaissent » par la réaction de fission, et une palette de « nouveaux » produits de fission radioactifs à durée de vie plus courte (3 à 7 ans) apparaît. Cette transformation change entièrement la donne en ce qui concerne le stockage des déchets, car tant leur volume que la durée de leur toxicité sont totalement altérés. En clair, en réduisant la radio-toxicité, on pourrait réduire le volume des déchets radioactifs de haute activité de 99 % et ramener la durée d’entreposage nécessaire à seulement 300 ans.
Mieux encore : en bombardant, par exemple avec des neutrons, deux radio-isotopes, le technétium-99 et l’iode-129, dont la demi-vie est respectivement de 200 000 et de 16 millions d’années, le premier se transmute en technétium-100, dont la demi-vie n’est que de quelques secondes, et le second en gaz rare : le xénon, stable et très demandé !
Tel le roi Midas capable de transformer le plomb en or, Myrrha pourrait transmuter des déchets hautement radioactifs en matières plus faciles à gérer, voire en ressources précieuses pour l’homme et son développement.
Jusqu’à présent, les technologies associées au projet MYRRHA ont été prouvées individuellement en laboratoire dans des installations expérimentales. MYRRHA est donc une centrale pilote pré-industrielle destinée à intégrer et à tester les technologies à grande échelle tout en augmentant sensiblement la fiabilité. Il est certain qu’à l’avenir, la transmutation d’une grande partie du combustible usé dans le monde nécessitera un réseau conséquent d’installations industrielles.
Avantages supplémentaires
Pour réduire au minimum le risque d’emballement d’une réaction en chaîne de fission nucléaire de ce type d’éléments, le réacteur fonctionne avec une nouvelle catégorie de systèmes nucléaires appelés « Systèmes pilotés par accélérateur » (SPA, en anglais : Accelerator Driven Systems ou ADS). Cet ADS fonctionne en mode « sous-critique », ce qui signifie qu’il ne peut pas entretenir par lui-même la réaction et dès que l’accélérateur est mis à l’arrêt, la réaction de fission en chaîne s’arrête et le réacteur s’éteint. Mesure de sûreté supplémentaire, le réacteur est conçu de telle façon que la chaleur de décroissance résiduelle puisse être dissipée par la circulation naturelle, sans système actif ni intervention.
L’ADS mis en œuvre est constitué d’un accélérateur de protons de haute puissance (baptisé MINERVA et long, pour commencer, de 150 mètres) et d’une cible constituée d’un matériau lourd comme le plomb (Pb), le tungstène (W) ou l’uranium (U) : c’est le bombardement de la cible par les protons qui génère (par « spallation ») les neutrons rapides, indispensables pour fissurer les actinides mineurs.
Cette configuration fait de MYRRHA une installation de recherche polyvalente, capable de répondre aux besoins de la recherche scientifique sur les matériaux nécessaires à la fabrication des réacteurs de nouvelle génération (fission et fusion), laquelle nécessite des infrastructures nucléaires pouvant produire beaucoup de neutrons rapides, ou encore sur des matériaux avancés pour des utilisations spatiales et dans les télécommunications. De nombreux pays étrangers s’impatientent de pouvoir tester leurs innovations grâce à MYRRHA.
MYRRHA, nous affirme un spécialiste qui adore mettre les écologistes devant leurs propres paradoxes, permettra aussi « de garantir la disponibilité de lingots de silicium dopé par irradiation, un composant essentiel des circuits électroniques de puissance utilisés dans les applications d’énergies renouvelables (panneaux solaires, éoliennes, voitures hybrides, etc.) ».
Médecine nucléaire
Autre avantage immédiat : la production de radio-isotopes dont on manque cruellement aujourd’hui pour traiter certains cancers et qui ne peuvent être produits dans les systèmes actuels. Si la médecine nucléaire existe, on attend toujours la médecine éolienne… Rappelons que suite au non remplacement d’un certain nombre de réacteurs nucléaires de recherche (Notamment Osiris en France), le monde est confronté à une pénurie aiguë de radio-isotopes à usage médical, produits à 80 %, non pas par dame nature, mais par les réacteurs de recherche ! Chaque année, quelque 30 millions de personnes bénéficient des développements de la médecine nucléaire pour plus de 60 pathologies.
Or, le Centre belge de recherche nucléaire est l’un des cinq plus grands producteurs mondiaux de différents types de radio-isotopes médicaux et industriels. En raison des progrès technologiques en médecine nucléaire, on s’attend à une augmentation supplémentaire de l’utilisation des radio-isotopes médicaux. La Belgique produit actuellement ces radio-isotopes dans le réacteur de recherche BR2 (en fin de vie…). Ce dernier produit à lui seul 20 à 25 % des radio-isotopes utilisés dans le monde et sa capacité hebdomadaire peut être portée à 65 % si nécessaire.
On peut donc se demander avec étonnement pourquoi les écologistes, par ailleurs si fanatiques à défendre la vie et à exiger le tri sélectif des déchets ménagers, ne militent pas en faveur du projet MYRRHA !
A eux d’approfondir les concepts du bio-géochimiste Vladimir Vernadski , auteur de La biosphère. Pour ce scientifique russe, la dynamique de l’univers est régie par trois modes d’organisation : la lithosphère (du grec lithos = pierre, ou domaine de l’abiotique), la biosphère (la vie organique) et la noosphère (le domaine du pensant, du grec noos = pensée). Vernadski identifie comment les éléments géochimiques de la lithosphère ont permis le développement de la biosphère. Or, si nous pensons à nos combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, houille et charbon), produits à partir de roches issues de la fossilisation de végétaux vivants, on constate que l’homme utilise non seulement la biosphère mais aussi les « déchets » qu’elle produit.
Aujourd’hui, avec MYRRHA, en passant de la science nucléaire des isotopes à une « économie isotopique », nos déchets industriels d’hier peuvent devenir les ressources de demain. A condition de disposer de densités énergétiques suffisamment élevées pour les extraire, une perspective de plus en plus envisageable avec les dernières percées dans le domaine de la fusion thermonucléaire contrôlée. Alors, l’homme, tel un nouveau Prométhée, s’affranchira une fois de plus de l’esclavage pitoyable du pillage des ressources.
Voir le site web du projet MYRRHA
https://myrrha.be/news/update-minervamyrrha-1st-license-fact
https://www.sckcen.be/en/our-scientific-projects/myrrha
Door Sspooren – Eigen werk, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=106451026