Alors qu’une quarantaine de chercheurs relèvent dans une tribune au Monde la nécessité pour la finance de s’impliquer dans la transition écologique, le monde scientifique apparait progressivement comme un allié de poids pour la montée en puissance d’une « finance verte ».
Le 29 janvier 2019, près de 40 économistes et scientifiques publiaient une tribune dans les colonnes du Monde, afin de poser les jalons d’une coopération performante entre la finance et le monde académique sur les questions liées à la transition écologique. Enjoignant les acteurs publics et privés à « s’engager pour prévenir la menace d’une prochaine grande crise écologique et sociale », ces personnalités diverses rassemblées autour du programme de recherche interdisciplinaire Finance soutenable de l’Institut Louis Bachelier se sont regroupés autour de trois groupes de travail principaux : sur les données, sur les risques et scénarios, et sur la mesure de l’impact de la finance verte.
Une coopération nécessaire et urgente
Les auteurs réclament que « les progrès de la connaissance scientifique (…) soient réellement pris en compte » par le monde de la finance. Pour ce faire, le texte affirme qu’il faut d’abord « s’appuyer sur une recherche transdisciplinaire » mais surtout lui « allouer des ressources publiques et privées à la hauteur des défis auxquels fait face notre civilisation ». Cependant, le premier constat dressé par le collectif est celui d’un manque d’informations exploitables. « Les chercheurs n’ont pas accès aux données et (…) les ingénieurs sont soumis à la pression, aux échéances et aux règles de confidentialité du marché », déplore le texte avant d’affirmer que « les nouveaux risques sont pris en compte au rythme des crises successives qui envoient notre économie dans le mur ». L’étape préalable indispensable à une coopération pragmatique serait donc que l’Etat favorise « la création d’une banque de données vertes et durables ».
Celle-ci pourrait alors « permettre aux entreprises de partager en confiance leurs données – leur matière première –, aux chercheurs d’accéder à des informations fiables et normalisées pour tester leurs idées, aux régulateurs d’avoir des indicateurs pertinents du niveau des risques pris par l’industrie financière ».
Concrètement, l’apport de la recherche scientifique peut se traduire de différentes manières. En premier lieu, et à travers l’expertise de chercheurs en finance et en économie, de nouveaux modèles opérationnels pourraient voir le jour, permettant notamment de « mesurer l’impact environnemental et social d’une entreprise ou d’une transaction financière, et de proposer une nouvelle comptabilité écologique permettant de faire apparaître ces critères dans les bilans ». Comme le pense Xavier Girre, Directeur exécutif en charge de la direction financière groupe chez EDF, « la recherche académique française est en pointe sur les questions de développement durable et de nombreux experts de qualité sont capables d’accompagner les démarches innovantes en la matière. »
Ensuite, et il s’agit sans doute de l’un des aspects les plus prometteurs, les chercheurs pourraient s’atteler « au chantier de la construction de scénarios économiques et financiers alignés avec les scénarios climatiques ». Grâce au partage et à la diffusion de ses conclusions prospectives, la communauté scientifique pourrait modifier en profondeur les modèles et secteurs d’investissement prioritaires, en éclairant la vision à moyen et long terme des décideurs financiers.
Enfin, appelant à la création d’un « observatoire de la finance verte », les signataires estiment qu’il est nécessaire, en vue d’une action efficace à l’échelle nationale, d’analyser, mais aussi de coordonner, l’ensemble des initiatives en matière de finance verte. Cela passe notamment par la création d’outils d’analyse fiables permettant de mesurer concrètement l’impact des différentes actions mises en place dans le domaine.
« Ce n’est qu’en disposant de ces moyens scientifiques et en engageant tous les acteurs de la recherche au service de la finance verte et durable que les décideurs financiers pourront accompagner la transition écologique de notre économie, en alignant leurs objectifs et leurs flux sur la trajectoire du réchauffement climatique de 2 degrés fixée par l’accord de Paris sur le climat », conclut le collectif sur un ton alarmiste.
Renforcer le leadership français
Un constat d’urgence qui trouve ses sources notamment dans les prévisions du GIEC. En effet, en octobre dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat rendait public un rapport commandé en 2015 par les Nations Unies et traitant des conséquences d’un réchauffement climatique de 1,5°C comparativement à un réchauffement à hauteur de 2°C. Et les conclusions sont en effet alarmantes, car même dans le cas où l’ensemble des pays signataires de l’accord de Paris respecteraient leurs engagements respectifs, certains territoires pourraient être gravement menacés.
Figure de proue de la Transition écologique au niveau mondial, la France doit donc faire se présenter comme un modèle dans la finance durable. Si le point souligné par les signataires de la tribune du Monde est crucial, les résultats du système mis en place en France ces dernières années invitent à l’optimisme. Le marché des « green bonds » est ainsi un exemple de la réussite française. Avec plus de 37 milliards émis depuis 2012 le pays est le troisième émetteur mondial de ces emprunts obligataires destinés à des projets écologiques. Des groupes privés comme publics, à l’image d’EDF ou de la Mairie de Paris, ont ainsi fait figure de véritables précurseurs sur ce marché en éclosion. « Depuis la première émission verte d’EDF en 2013, les obligations vertes sont devenues essentielles au financement des ambitions du Groupe dans les énergies renouvelables. Au total, à ce jour, nous avons émis l’équivalent de 4,5 milliards d’euros en 5 tranches et en 3 devises (euro, dollar, yen). Les fonds sont alloués rapidement et ont déjà permis de financer 16 projets d’énergies renouvelables, représentant 2,9 GW brutes de capacité installée. » poursuit Xavier Girre.
Au niveau mondial, ce marché est également en pleine expansion et devrait continuer d’attirer les investisseurs, favorisant ainsi l’accélération de la transition écologique. Ainsi, selon les chiffres de Climate bond initiative, près de 167 milliards de dollars de « green bonds » ont été émis en 2018, soit une augmentation de 3% par rapport à 2017. Les puissances publiques y jouent un rôle crucial puisque les émissions par les États ont augmenté de 60% sur les années 2017 et 2018. La France est d’ailleurs en tête du classement avec près de 15 milliards d’euros d’obligations vertes émises.
Si les recommandations faites par les chercheurs du programme de recherche interdisciplinaire Finance soutenable de l’Institut Louis Bachelier sont entendues, et surtout appliquées, la France pourrait à nouveau, grâce à l’excellence de ses chercheurs et leur coopération efficace avec le monde de la finance durable, renforcer son leadership mondial sur les questions liées à la transition écologique et à la « finance durable »