Un enjeu énergétique majeur
Récemment, un plaidoyer convainquant « L’urgence du nucléaire durable »(1) a remis sur le devant de la scène politico-énergétique l’impérieuse nécessité de faire une meilleur usage des ressources en Uranium, leur exploitation actuelle confinant à la prodigalité, voire au gaspillage, car seule une infime partie de la dotation, unique et non renouvelable, est valorisée.
Les réacteurs « à neutrons rapides »(2) permettent l’exploitation exhaustive de la ressource en Uranium, ouvrant ainsi des perspectives énergétiques mirifiques, mais la France remarquable pionnière, puis déloyale à des propres performances, a abandonné cette filière, laquelle reste dynamique dans d’autres pays (3). Une relance a été tentée dans le cadre de l’étude des réacteurs de « quatrième génération », mais le projet ASTRID (4) vient lui aussi d’être abandonné au motif que la ressource en Uranium reste encore abondante au regard des besoins augurés, malgré sa piètre valorisation dans les réacteurs « thermiques »(5).
Un manque de vision, probablement, à tout le moins un manque de prudence, surtout dans le contexte géopolitique actuel. Mais l’argent et surtout la volonté manquent en France pour relancer cette filière, pour ne pas parler d’entraves posées par les cercles nucléaires eux-mêmes.
Forme de recension libre et partielle en appui à l’ouvrage précité, le propos qui suit ambitionne de présenter simplement l’utilisation, opportuniste et judicieuse, de la ressource naturelle en Uranium, grâce à l’exploitation industrielle des propriétés intimes de la matière, du micro vers le macro, en somme.
Une nature parcimonieuse et inégalitaire
Les lointains cataclysmes stellaires (super novas, collisions d’étoiles à neutrons,..) ont inséminé la nébuleuse primitive du soleil en matériaux possédant des propriétés nucléaires singulières, dotation dont la terre a hérité pour partie, parmi eux, l’Uranium dit naturel.
Dans l’Uranium naturel deux isotopes (6) sont dominants, L’U 238 (99,3%) et l’U 235 (0,7%) et les noyaux de leurs atomes ont en partage une propriété majeure, celle d’être brisable dans un bombardement par des neutrons.
C’est le phénomène dit de « fission » dans lequel le noyau d’Uranium se rompt, généralement en deux parties, les composants (7) des nouveau noyaux formés, dits « produits de fission », étant plus fortement liés que dans le noyau initial, ce « défaut de masse » se commue en énergie, dite nucléaire (8).
Mais la rupture du noyau d’uranium s’accompagne aussi de l’émission de plusieurs neutrons, ce qui permet, dans certaines conditions, l’entretien d’une réaction en chaine.
Cependant, les deux composants principaux de l’Uranium ne sont pas à égalité devant le processus de « fission », l’U 238 est brisable uniquement par des neutrons énergétiques, et avec un faible taux de réaction, alors que l’U 235 est brisable par des neutrons de toutes énergies, et avec un fort taux de réaction si les neutrons sont fortement ralentis.
C’est cette dernière propriété qui est utilisée dans les réacteurs dits « thermiques » qui forment la très grande majorité des réacteurs nucléaires dans le monde, mais on ne valorise ainsi que 0,7% de la ressource en Uranium, un pis-aller pour une richesse rare et finie.
Mais tout n’est pas dit, car l’U 238 a la propriété d’absorber facilement un neutron et de se transformer en Plutonium, via une double désintégration radioactive. On forme ainsi plusieurs variétés de Plutonium dont les isotopes impairs (Pu 239, Pu 241,…) sont brisables par des neutrons de toutes énergies, une propriété similaire à celle de l’U 235, d’où le très grand intérêt présenté.
Via cette transformation en Plutonium, il devient donc possible d’utiliser l’U 238, soit les 99,3% de la ressource non encore exploitée, mais il faut pouvoir faciliter le processus.
Pour être complet, les réacteurs « thermiques » utilisent déjà partiellement l’U 238, via le Plutonium qui se forme naturellement en cours du fonctionnement par le processus précité de capture neutronique. Une partie, de ce Plutonium est consommé in situ, contribuant pour une part tangible à la production d’énergie (environ un tiers), le reste étant récupéré par « retraitement »(9) des combustibles usés.
Aujourd’hui, en France, ce Plutonium est partiellement réutilisé dans les réacteurs « thermiques » via le processus dit « MOX » (10), mais il est possible de mieux valoriser cette ressource, comme développé infra.
Un outil ad hoc
L’enjeu de la pleine valorisation de l’U 238 est en effet considérable, et les réacteurs dits « rapides », conçus à dessein, ont su relever ce défi.
Dit supra, des conditions économiques, mais surtout politiques, ont interrompu leur essor en France, pourtant pionnière dans la filière avec la construction et l’exploitation des réacteurs Phénix, puis Superphénix.(11).
Mais qu’en est-il donc de ces réacteurs « rapides » sésames pour la résolution de la problématique de pleine valorisation de l’U 238 ?
Un alignement des micro-planètes
Observation cruciale : la fission du Plutonium provoquée par un bombardement par des neutrons énergétiques, se révèle la plus prodigue en neutrons émis ; dans cette simple phrase, tout est dit !
Application pratique : en mélangeant du Plutonium avec de l’ U 238 et en plaçant l’ensemble dans un flux de neutrons énergétiques, ce qui se réalise naturellement, car dans une réaction en chaine, les neutrons émis lors des fissions étant toujours énergétiques, on peut, en même temps, entretenir ladite réaction en chaine et transformer l’U 238 présent en Plutonium par capture neutronique.
En aménageant judicieusement les matériaux dans le réacteur, on peut même recréer plus de Plutonium que celui consommé par fission, c’est la fameuse « surgénération ».
Ce Plutonium formé peut donc être utilisé pour répliquer le schéma, ce qui permet ainsi de bruler progressivement tout l’U 238, le challenge est donc relevé et sa mise en œuvre industrielle réalisée dans le réacteurs « rapides », au prix certes d’une technologie complexe, mais maîtrisée.
Ces réacteurs « rapides » ont été qualifiés de « surgénérateurs » dans le vocable courant ce qui a pu créer des quiproquos, favorisés par les noms choisis, « Phénix » puis « Superphénix ».
Cette équivoque est à l’origine, entre autres, du concept chimérique de « circularité », schéma ou le réacteur se nourrirait sempiternellement des déchets comestibles qu’il produit, « un rêve d’ingénieur » caricaturé tel par les contempteurs du nucléaire, mais la réalité est évidemment toute autre.
Ce qui est régénéré c’est le Plutonium, chainon intermédiaire, et non l’Uranium, qui lui est bel et bien consommé, c’est d’ailleurs la finalité du processus.
Pour être plus complet, l’énergie libérée provient de la fission du plutonium (90%) et plus marginalement (10%) par la « fission » directe de l’U 238, permise par l’utilisation de neutrons énergétiques.
Outre cette valeur ajoutée, les neutrons énergétiques permettent aussi de briser la plupart des noyaux lourds, en particulier les « transuraniens » et les « transplutoniens » qui se forment intempestivement, diminuant d’autant le volume des déchets radioactifs à vie longue.
Au regard des volumes accessibles l’Uranium naturel représente, ainsi valorisé, des réserves énergétiques absolument considérables, justifiant de qualifier son exploitation rationnelle de processus « durable », au grand dam de ses adversaires, campés mais bousculés sur leur notion exclusive de « renouvelable ».
L’ouvrage cité d’emblée, développe beaucoup plus complètement toutes les dimensions abordées dans ce court propos.
Référence
(1) Ouvrage de Claire Kerboul, Editions de Boeck 07 2023
(2) Réacteurs nucléaires « rapides » dans lesquels on s’efforce de ne pas ralentir les neutrons nés rapides des fissions.
(3) Russie, Chine, Inde
(4) ASTRID : projet de réacteur à neutrons rapides de 4éme génération, d’une puissance de 600 MWe, abandonné mi 2019
(5) Réacteurs nucléaires « thermiques »dans lesquels les neutrons, nés rapides des fissions, sont ralentis jusqu’à l’équilibre avec la température du milieu.
(6) Isotopes : atomes de même nature chimique dont les noyaux diffèrent par le nombre des neutrons
(7) Les nucléons (neutrons et protons) forment les noyaux des atomes, l’énergie qui les lie dans le noyau diffère suivant les noyaux ?
(8) Selon l’équivalence masse-énergie (E= mC2 )
(9) Le retraitement chimique des combustibles nucléaires permet de séparer déchets et matière restant valorisable.
(10) MOX : combustible nucléaire formé d’oxyde de plutonium (issu du retraitement) et d’oxyde d’uranium appauvri (issu de l’enrichissement).
(11) Réacteurs nucléaires à neutrons rapides de 250 MWe et 1200 MWe respectivement
A lire également