Dans un entretien sorti dans la Tribune, Bertrand Piccard est psychiatre et aéronaute suisse met en garde contre la mauvaise volonté du secteur aérien en matière de changement climatique – une attitude de nature à précipiter leur déclin économique.
Le salon de l’aéronautique Paris Air Show – ou plus communément appelé « Salon du Bourget » – a commencé ce lundi sur fond de crise du B737 MAX de Boeing et de montée des critiques à l’égard des émissions du secteur du transport aérien. Pourtant, ce second enjeu, majeur pour l’avenir de la filière, semble avoir été largement ignoré par les participants à ce grand raout. Une situation dénoncée par Bertrand Piccard, Président de la Fondation Solar Impulse, qui u voit un manque de clairvoyance dangereux pour le secteur : « Il y a deux façons de répondre à l’adversité : tenter de s’y opposer le plus longtemps possible ou l’embrasser pour se l’approprier et la contrôler » note ce dernier.
« S’y opposer, comme Kodak face à l’avènement de la photographie digitale, jusqu’à disparaitre dans une faillite colossale ; comme les banques suisses dans les années 1990 qui ont envoyé balader le Congrès juif mondial lors de la crise des fonds en déshérence avant d’être condamnées à payer des milliards de dollars de pénalités ; comme les constructeurs automobiles qui ont snobé la voiture électrique, mais qui courent maintenant derrière le succès de Tesla sans parvenir à rattraper leur retard » ironise le spécialiste. « Ils ont tous résisté sans comprendre que cela allait causer leur perte » prévient-il.
En cause, l’attitude des grande compagnie aériennes mondiales face à un potentielle taxe kérosène ? Devant des appels qui se multiplient pour taxer le transport aérien afin de lutter contre le changement climatique et financer des initiatives de compensation d’émissions pour les vols aériens, le secteur a décidé de faire l’autruche. Une attitude contreproductive, dit l’analyste, qui estime que le secteur est en train de s’enfermer dans une position d’ennemi du développement durable qui va durablement écorner leur image. « Si les compagnies aériennes l’avaient compris, c’est elles qui spontanément introduiraient la compensation carbone sur chaque billet vendu », note Bernard Picard.
« Les grèves pour le climat et l’exemple de Greta Thunberg, en mobilisant la jeunesse, ont déclenché un phénomène nouveau : la honte de prendre l’avion, le flygskam en suédois », développe-t-il. Aussi, le risque est réel : « résister le plus longtemps possible » les exposera sans aucun doute « au risque de passer pour des pollueurs irresponsables et perdre des parts de marché face à d’autres moyens de transport ». Aussi, un prélèvement – même mineur – aiderait à déculpabilise les udagers. Et la douleur serait mineure : pour M Picard, une telle taxe « passerait totalement inaperçu puisque les politiques tarifaires font varier les prix du simple au quintuple suivant le moment et le lieu où l’on achète son billet ».
Malgré cet intérêt manifeste, les engagements pris par l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile sont « irresponsables ». Le secteur a en effet consenti à « plafonner les émissions du secteur aérien au niveau de 2020 et de ne compenser que ce qui dépassera ce niveau ». Une position qui ne fera rien pour réduire « la honte de l’avion » et qui va coûter de plus en plus cher au secteur, qui va perdre l’initiative sur sa régulation. « Les changements réglementaires ne l’épargneront pas et les gouvernements lui imposeront les taxes qu’elle aura refusé de mettre elle-même en place (…) Et nous, nous aurons gagné quelques mégatonnes de CO2 en plus dans l’atmosphère… », conclut Bertrand Piccard.