Alors que la COP 15 tenait séance en décembre 2022, l’association environnementaliste Action Ecologie a communiqué les résultats d’une étude intitulée « Biodiversité : Faut-il vraiment paniquer lorsque tant d’espèces se portent mieux ? » Dans cette enquête menée par l’écologue Christian Lévêque et l’environnementaliste Bertrand Alliot, on apprend toutes une série de bonnes nouvelles au sujet de la biodiversité, qui tranchent avec le catastrophisme ambiant. Europeanscientist a pu interroger les deux auteurs de l’étude qui essayent ici de clarifier la situation.
The European Scientist : Vous avez publié votre étude sur la biodiversité au même moment que la COP15, mais elle n’a quasiment pas été relayée par les grands médias pourquoi ?
Bertrand Alliot : Disons que l’évènement s’est déroulé en même temps que la coupe du monde de football et ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour en entendre parler. Pourtant, la majorité des médias a relayé l’information et on a pu entendre, comme à l’occasion des « COP climatiques », des annonces alarmistes du genre « un million d’espèces sont menacées d’extinction » ou encore « un tiers des terres sont gravement dégradées ». Souvent, les médias se font simplement les porte-paroles des ONG qui se nourrissent sur le sentiment de peur et qui sont donc systématiquement dans la surenchère.
TES : Vous dites qu’il y a de bonnes nouvelles en matière de biodiversité. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?
B.A.: En France et en Europe, il y a deux types d’espèces pour lesquelles on a des données assez fiables : les mammifères et les oiseaux. Sur les premiers, beaucoup d’espèces sont en excellentes santé. Certaines font très souvent l’actualité car elles créent des dommages : je pense notamment au Loup gris ou au Sanglier. Les ongulés sauvages font partie de ces espèces qui ont augmenté de façon importante. Je pense au cerf ou au chevreuil bien sûr mais aussi aux deux espèces de bouquetins, à l’isard et au chamois. Il y a aussi deux espèces qui étaient devenues rares ou très rares : la Loutre d’Europe et le Castor Européens qui ont augmenté en Europe de respectivement 294% et 16 000 % en une trentaine d’année.
Pour les oiseaux, il y a deux catégories qui ont assez fortement progressé : les rapaces et les oiseaux d’eau. Il y a quelques décennies, ces espèces étaient persécutées, mais depuis qu’elles ont acquis un statut de protection, leurs effectifs sont repartis à la hausse. Ainsi, parmi les rapaces, on peut citer le Faucon pèlerin, le Balbuzard pêcheur, l’Élanion blanc ou le Grand-Duc d’Europe. Pour les oiseaux d’eau, nous montrons dans notre étude qu’il y a une augmentation en moyenne de 91% depuis 2001. Chacun a pu en effet remarquer que ces espèces étaient en excellente santé. Les hérons cendrés sont devenus très communs ainsi que les aigrettes et les cigognes blanches qui ont augmenté de 691% depuis 2001.
TES. : Vous ne niez pas pour autant l’existence de problèmes. Quels sont-ils ?
Christian Lévêque : Les rapports des humains à la nature passent d’abord par la chaine alimentaire. La nature est ainsi faite que pour vivre, les humains, comme les autres animaux, ont besoin de se nourrir de plantes ou d’autres animaux qu’ils prélèvent ou qu’ils élèvent. Mécaniquement, avec l’accroissement de la population humaine, il y a inéluctablement une concurrence accrue pour l’espace et pour les ressources. Mais la question de la limitation de la démographie humaine est un sujet sulfureux. Quand on a faim, ce qui est le cas pour une grande partie de l’humanité, on ne se préoccupe pas de protéger la biodiversité.
Nos rapports à la nature passent aussi par la chaine économique : quand on est pauvre, les ressources naturelles sont un moyen de capitaliser pour acheter les gadgets industriels devenus indispensables. Le braconnage relève en partie de cette démarche outre le fait d’apporter un complément alimentaire. Mais, la course au profit existe aussi de la part de groupes industriels. Les deux concourent à la surexploitation des forêts ou des ressources marines par exemple. Je veux dire par là que l’érosion de la biodiversité ne se résume pas à dénoncer l’impact de l’agriculture ou du systèmes économique
La principale préoccupation actuellement en Europe n’est pas l’extinction des espèces qui reste modeste, mais la réduction des effectifs d’un certain nombre d’espèces qui sont surexploitées ou dont les habitats ont été détruits. Ce constat doit cependant être tempéré par le fait que d’autres espèces voient leurs effectifs augmenter ce qui est la preuve que nous ne sommes pas face à une dégradation généralisée de la biosphère.
Je voudrais attirer l’attention sur la démarche partiale qui consiste à ne parler que des aspects jugés négatifs de nos rapports à la nature dont certains sont réels, en occultant systématiquement les autres aspects positifs ou neutres qui sont pour le moins aussi importants.
TES. : Comment expliquez-vous le succès du discours catastrophiste ?
C.L. : Une des raisons du succès du discours écologique, est de faire rêver en laissant entrevoir l’existence d’un monde meilleur que celui dans lequel nous vivons. C’est le mythe du « Paradis perdu » quand les humains entretenaient des relations supposées harmonieuses avec leur environnement. Sans aller jusque-là, la nature pour les urbains c’est le lieu de vacances, un lieu bucolique et ludique ou l’on vient se reposer et échapper au stress de la vie urbaine. Mais ce n’est pas une nature « sauvage » c’est une nature en partie aseptisée et aménagée pour les loisirs.
Une autre raison du succès c’est que le discours écologistes joue énormément sur l’émotionnel et la peur de l’avenir avec l’énumération des menaces sur la santé, sur l’alimentation, et ce point d’orgue anxiogène qui consiste à associer la survie de l’espèce humaine à la protection de la biodiversité. La métaphysique est toujours en embuscade dans les discours écologistes avec ces allusions permanentes à la Terre mère, à la Mère nature, etc.. .
Le récit écologique reprend en boucle les prédictions catastrophistes sur la démographie, la finitude des ressources, les menaces sur le vivant et sur la santé des hommes, etc. Peu importe que les nombreuses prédictions outrancières qui ont été faites depuis les années 1970 et le club de Rome se soient toutes révélées fausses. Le discours alarmiste est largement entretenu par la diffusion de fausses informations de la part des militants et des grandes ONG de conservation de la nature. Ces ONG sont des multinationales disposant de gros moyens financiers pour la communication et qui pratiquent un lobbying actif depuis les instances onusiennes en passant par Bruxelles et notre ministère de l’écologie. Mais des scientifiques peu regardants sur la déontologie, et avides de reconnaissance médiatique, entretiennent aussi l’alarmisme, comme ceux qui font courir le bruit que la Covid 19 est une vengeance de la nature .
Les propos outranciers et immanquablement négatifs, auxquels les ONG donnent un faux nez scientifique, sont accueillis sans réserve par des médias qui ont bien compris que le catastrophisme fait vendre. Ce qui veut dire aussi qu’il y a un public qui se complait de nouvelles mortifères… Le nombre d’émissions portant sur les affaires criminelles en témoigne également.
Mais le discours écologiste est aussi porteur de messages politiques sur l’organisation de la société et sur le système économique capitaliste, qui séduit une partie de la population. On peut donc dire que c’est un discours attrape tout basé sur la dénonciation de ce qui existe et promettant des lendemains qui chanteraient si on changeait tout…. On reste néanmoins très prudent, sur les mesures nécessairement coercitives qu’il serait nécessaire d’appliquer afin de ne pas effrayer les adeptes.
TES. : Que pensez-vous de l’idée d’une sixième extinction ?
C.L. : Toute l’histoire de la vie sur terre est jalonnée de nombreuses périodes d’extinction de plus ou moins grande ampleur, résultant le plus souvent des fluctuations climatiques ou de phénomènes volcaniques. Les cinq grandes extinctions dont on parle sont parmi les plus importantes observées en milieu marin mais il y en a bien d’autres. En Europe à chaque fois que la calotte polaire arctique descendait vers le sud il y a eu également de véritables hécatombes d’espèces vivantes, sans commune mesure avec le nombre d’espèces éteintes à cause des humains enregistrées à ce jour.
Depuis l’an 1500, on estime que 129 espèces d’oiseaux et 61 espèces de mammifères sont éteintes. Mais 95% de ces espèces sont des espèces insulaires dont la majeure partie provient des îles du Pacifique. Autrement dit très peu d’espèces (6 oiseaux, 3 mammifères) ont disparu sur les continents. Ce n’est donc pas un phénomène général et de grande ampleur, de telle sorte que le slogan sixième extinction est un élément de communication qui relève de spéculations alarmistes qui n’ont pas de fondements scientifiques. Toutes les prédictions catastrophistes faites au cours des dernières décennies par de soi-disant experts, se sont révélées fausses. Mais il y a toujours des scientifiques qui s’égarent dans la surenchère qui leur procure une éphémère notoriété médiatique.
Pour être clair à ce sujet, il ne s’agit pas de dire que les humains n’ont pas d’impact sur la biodiversité. Oui il y a un impact, mais il s’agit de raison garder et d’examiner au cas par cas les situations critiques. C’est ainsi qu’à la suite de mesures spécifiques qui ont été prises depuis quelques décennies, de nombreuses populations de vertébrés dont les populations avaient été décimées par la chasse ou des prélèvements excessifs se sont reconstituées, à l’exemple des cétacés et de plusieurs mammifères européens.
TES. : Que veut dire protéger la biodiversité en Europe ?
C.L. : La protection de la biodiversité part du principe qu’il existe une nature originelle qui serait dégradée par les humains. Autrement dit nous serions en train de détruire un patrimoine biologique unique, résultat de l’évolution depuis les temps anciens… Mais qu’en est-il de l’histoire de la biodiversité européenne ? Ce que l’on sait c’est quelle a connu de nombreuses vicissitudes. Depuis un peu plus deux millions d’année, et environ tous les 100000 ans, la calotte polaire s’est étendue vers le sud. Au cours des maximums glaciaires, un immense glacier recouvrait les Alpes et une majeure partie de la France était en zone de permafrost comme la Sibérie actuelle. On peut imaginer l’érosion de la biodiversité qui en résultait… Par la suite, lors des périodes réchauffement, des espèces ont recolonisé, chacune à leur rythme qui pouvait prendre des milliers d’années, les zones libérées par les glaces. Mais depuis 7 à 8000 ans les premiers agriculteurs venus du Moyen Orient ont introduit les plantes cultivées et leurs espèces associées tel que le coquelicot. Ils ont chassé et progressivement modifié les paysages pour créer des paysages agricoles. Et surtout, ils ont introduit progressivement, volontairement ou accidentellement, de nombreuses espèces venues d’ailleurs. D’abord par des échanges commerciaux autour de la Méditerranée, ensuite après la découverte des nouveaux mondes, par des échanges intercontinentaux. De telle sorte que la biodiversité européenne est un bric à bac, un melting-pot d‘espèces relictuelles et d’espèces introduites ou qui ont spontanément étendu leur aire de répartition. C’est une biodiversité co-construite, tant au niveau des espèces que des écosystèmes, qui continue à évoluer rapidement en raison de la mondialisation des échanges. Ce n’est donc pas un pur produit de l’évolution qu’il nous faudrait préserver, mais bien un assemblage hétéroclite d’espèces qui s’est constitué au hasard des événements climatiques et des échanges commerciaux. C’est là toute l’ambiguïté du slogan « protéger la biodiversité » : Oui, mais laquelle ?
TES. : Selon-vous quels sont les problèmes méthodologiques liés au concept de biodiversité ?
C.L. : Parmi les problèmes méthodologiques, il y a la question de la définition de l’espèce qui repose, pour les espèces macroscopiques, sur une description morphologique, périmée mais pratique, alors que les généticiens nous parlent d’espèces biologiques basées sur l’interfécondité des individus. L’espèce est une boite artificielle dans laquelle on fait rentrer des individus morphologiquement similaires mais qui peuvent appartenir à des espèces biologiques différentes.
Mais le fond du problème est idéologique : c’est la croyance en l’existence d’une mythique nature originelle qui aurait existé si les humains ne la détruisaient pas. C’est la croyance en l’équilibre de la nature qui conduit à considérer que toute activité humaine est une atteinte à l’ordre et à l’harmonie de la nature. Cette vision fixiste de la nature héritée de la pensée créationniste, est en total décalage avec le constat que la nature est en perpétuelle transformation.
TES. : Quel est l’intérêt de ceux qui agitent cette vision catastrophiste ?
B.A. : Lorsque ce sont les ONG, c’est assez facile à comprendre. L’alarmisme leur permet d’exister, c’est-à-dire d’être présentes médiatiquement et de ramener vers elles de l’argent pour fonctionner. Il faut comprendre que, dans les pays riches, le catastrophisme est devenu pour elles une nécessité. En effet, depuis 50 ans il y a eu en réalité un renforcement spectaculaire de la législation sur l’environnement. Sur la question du patrimoine naturel, il y a eu d’énormes progrès. Beaucoup d’espèces ont acquis un statut de protection, des règles pour prendre en compte la biodiversité ont été établies dans le cadre des installations d’infrastructures, de nombreuses réserves et parcs naturels ont été créés, des mesures ont été imposées à des acteurs comme les agriculteurs. Autrement dit, plus on avance dans le temps et moins il y a de choses à faire et donc moins l’action des ONG est d’intérêt général. Dans ce contexte, elles sont obligées de se radicaliser pour continuer d’exister. C’est pour elles, une question de survie. Il ne faut pas oublier qu’elles ont de nombreux salariés à payer…
Ensuite, comment peut-on expliquer que les gouvernants reprennent sans nuance le diagnostic délirant des ONG ? Il n’est pas facile de répondre à cette question. Deux hypothèses sont souvent avancées. La première est que le niveau de nos élites a dramatiquement baissé et qu’elles sont incapables de faire la part des choses. Elles ne font que suivre « l’air du temps » et « accompagnent » ce mouvement de peur irrationnelle sur lequel surfent les ONG. La seconde est que nous avons à faire à une oligarchie mondiale qui fait tout pour amener les sociétés développées vers une décroissance, tout cela pour de sombres raisons. Personnellement, il y a des choses qui m’échappent. Je ne sais pas quoi penser.
Lire l’étude Biodiversité : Faut-il vraiment paniquer lorsque tant d’espèces se portent mieux ?
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