La neutralité carbone fait partie de tous les agendas politiques. Mais quelles solutions concrètes peuvent nous permettre d’y parvenir ? L’acronyme CDR pour Carbon Dioxyde Removal renvoie à toute une panoplie de technologies possibles (CCS, CCU, DAC, BECC) pour participer à la réduction active des émissions et qui viennent compléter les actions menées en aval ainsi que les solutions naturelles. Afin d’éclaircir ces concepts, nous avons pu interroger Tilly Undi. Auteure d’une thèse de doctorat sur la capture et le stockage du CO₂ elle a commencé sa carrière internationale d’ingénieure dans le secteur de l’énergie, puis elle s’est spécialisée sur le développement des activités renouvelables et bas carbone. Aujourd’hui, elle est experte du secteur énergétique, de la transition et de la neutralité carbone.
The European Scientist : Qu’elles sont les solutions d’élimination du carbone autrement appelées carbon dioxyde removal (CDR) en anglais ? Et quel rôle peuvent-elles jouer pour atteindre la neutralité carbone ?
Tilly Undi : Afin d’atteindre la neutralité carbone, il est avant tout essentiel de revoir nos systèmes de production et de consommation en intégrant systématiquement leurs impacts environnementaux et sociaux. En termes de gaz à effet de serre, il s’agit de mettre en œuvre des mesures d’évitement et de réduction des émissions, en aval desquelles il reste à traiter des émissions « résiduelles », englobantes par exemple, le CO₂ résultant des cimenteries et des aciéries, présentes même après mise en œuvre de mesures d’efficacité et remplacement des énergies fossiles par électrification d’origine renouvelable, par exemple. A cause de la difficulté d’éliminer les émissions dans ces secteurs, ils sont qualifiés de « hard to abate industries », c’est à dire industries difficiles à décarboner, comme aussi l’aviation et le transport maritime. Enfin, pour combattre le réchauffement climatique, il sera également nécessaire d’agir sur la réduction des émissions historiquement émises et qui continuent à s’accumuler dans l’atmosphère de façon accélérée, depuis l’ère industrielle.
Les technologies « carbon dioxide removal (CDR) », ou d’élimination (retrait) du dioxyde de carbone (EDR) sont notamment nécessaires pour éliminer les émissions résiduelles ou historiques.
Elles regroupent des solutions naturelles, comme la création, préservation et restauration de puits de carbone naturels (forêts, mangroves, sols, tourbières, écosystèmes), en incluant aussi l’alcalinisation des océans, l’altération forcée de roche et la production de biochar par pyrolyse des végétaux.
Le potentiel naturel étant limité et de plus en plus réduit, à cause du changement climatique et de la conséquente fragilisation des équilibres naturels, des solutions technologiques ont également été développées :
– La capture et le stockage du CO₂, qui consiste à récupérer le CO₂ lors de sa production, avant qu’il ne rejoigne l’atmosphère et à le séquestrer de façon permanente dans des réservoirs géologiques terrestres ou océaniques (CCS);
– La capture et utilisation du CO₂, qui consiste à réutiliser le CO₂ capturé, sous différentes formes, dans une logique de circularité (CCU);
– La capture directe de l’air (DAC), dont l’objectif est de réduire le CO₂ déjà présent dans l’atmosphère, en créant des émissions négatives qui viendraient compenser les émissions résiduelles et historiques ;
– La capture du CO₂ associée à la bioénergie, vise à récupérer le CO₂ résultant de la combustion de la biomasse qui a, à son tour, préalablement récupéré le gaz à effet de serre, rendant le procédé net en émissions (BECC). Si la capture est associée à la séquestration géologique permanente (BECCS), le processus permet de considérer les émissions traitées, comme étant négatives.
TES. : Quelles en sont les principales limitations technologiques ?
T.U. : Pour les solutions naturelles, il est difficile de quantifier et suivre (monitorer) le potentiel de séquestration du CO₂ et de vérifier sa contribution effective aux objectifs climatiques. Par exemple, concernant les arbres, ce potentiel peut varier selon les essences, l’âge, l’état de santé, les conditions climatiques et, de manière générale, environnementales. Il n’existe donc pas une méthodologie commune qui permet de relever de façon empirique la quantité de CO₂ séquestrée, l’efficacité de la capture et sa durée dans le temps. Afin de pouvoir valoriser la solution basée sur la nature, il est donc important de pouvoir davantage fiabiliser la connaissance des mécanismes de séquestration.
Les solutions technologiques sont associées à des consommations énergétiques, particulièrement significatives, pour l’instant, dans le cas du DAC. Cette solution a été déployée dans des régions riches en énergies renouvelables (comme l’Islande, grâce à la géothermie) ou dans des pays qui ont mis en place des subventions pour atténuer ces coûts importants (comme aux USA, grâce à l’Inflation Reduction Act). Le coût reste une barrière aussi pour le déploiement du CCU et du CCS, notamment tant qu’il n’existera pas un prix du CO₂ suffisant pour justifier des investissements dans ce secteur, ou une valorisation des produits avec une empreinte carbone d’origine fossile réduite. Les projets qui sont aujourd’hui développés, ont en effet des modèles économiques basés sur des systèmes de subventions, en alternative à l’imposition d’une taxe carbone et ont souvent pour but de décarboner des industries qui seraient autrement pénalisées à cause de leurs émissions résiduelles, dans le cadre du respect des Accords de Paris. Enfin, toutes les options qui prévoient le stockage permanent du CO₂, dépendent de l’identification de réservoirs géologiques adaptés. Les acteurs en charge de la séquestration du CO₂ doivent en effet être en mesure de garantir la bonne injection, dissolution (ou minéralisation) du CO₂, ainsi que l’absence de migration et fuite du gaz à effet de serre, pendant plusieurs décennies, selon un programme de monitoring, reporting et vérification.
TES. : Quels sont les volumes aujourd’hui injectés dans le monde et quelles sont les cibles pour accéder à la neutralité carbone à l’horizon 2050 ?
T.U. : Dans son rapport de 2022, le GIEC indique que les besoins d’élimination du CO₂ à réaliser dans la deuxième moitié du XXIème siècle pour contenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C sont entre 5 et 16 milliards de tonnes de CO₂ par an. Le dernier World Energy Outlook de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) indique des besoins en DAC et BECCS de 0.6 milliards de tonnes de CO₂ avant 2035 et 1.7 milliards de tonnes de CO₂ avant 2050, en ajoutant que, en 2050, dans le scénario de réchauffement climatique limité à 1,5°C, environ 10% de tous les systèmes de production de bioénergie seront associés à des BECCS. En ce qui concerne le CCS, l’AIE constate une augmentation des projets CCS dans le monde (technologie désormais présente dans plus de 45 pays) avec un triplement des projets en 2021 et un doublement en janvier 2022, c’est-à-dire plus de 100 projets développés depuis Janvier 2022. En revanche, uniquement 5% de ces projets ont obtenu une approbation financière. On est très loin de l’objectif de capture de 1 milliards de tonnes de CO₂ avant 2030 et 6 milliards de tonnes de CO₂ par an avant 2050 (dont plus de 90% à séquestrer géologiquement).
TES : Y a-t-il aujourd’hui des projets existant ou prospectifs de CC(U)S en France et en Europe ?
T.U. : A fin 2023, 101 projets commerciaux de CCUS ont été recensés dans le monde, en phase opérationnelle, correspondant à la capture de 54 millions tonnes de CO₂ par an. 663 projets sont dans le pipeline avec une entrée en opération prévue d’ici 2032, correspondant à la capture de plus de 678 millions de tonnes de CO₂ par an, majoritairement aux Etats-Unis et en Europe mais avec une montée rapide des projets en Asie Pacifique.
L’Europe du Nord est parmi les pionniers du CCS. La Norvège, avec le projet Northern Lights, développe le premier projet commercial de CCS, en capitalisant sur l’expérience acquise grâce à ses premiers projets Sleipner (1996) et Snøhvit (2008). A partir de 2024, l’objectif est de commencer par séquestrer 1.5 millions de tonnes par an pour monter ensuite jusqu’à 5 millions de tonnes par an, voire 12 millions de tonnes par an, en réceptionnant les propres émissions ainsi que celles des pays environnants. Les Pays-Bas ont également été précurseurs. Leur point en commun avec la Norvège est leur passé de producteurs d’hydrocarbures et notamment la présence de gisements pétroliers et gaziers en fin de vie, constituant de bons candidats pour le stockage du CO₂ permanent. Le Danemark également, en lançant son projet Bifrost, ambitionne de devenir un acteur incontournable de la décarbonation de l’industrie européenne. L’Europe du Sud, soumise aux mêmes contraintes réglementaires (et restrictions d’émissions associées) que le reste de l’Europe, cherche à identifier des sites de stockage en correspondance des « hubs » (centres d’émissions) de ses « hard-to-abate » industries, mais fait face à davantage de réticence, à la fois en termes de subventions de la part des pouvoirs publics et en termes d’acceptabilité des populations locales. D’après un rapport publié en mars, la France pourrait retirer 76 millions de tonnes d’équivalent CO₂ par an à l’horizon 2050. La stratégie de capture, stockage et utilisation du carbone (CCUS) doit être présentée par le gouvernement avant l’été, en incluant les efforts nécessaires pour le développement d’infrastructures de transport et de stockage d’ici 2030 et 2050 en France. Sa version définitive devrait également intégrer les émission négatives. Pour autant, en novembre 2023, le Haut Conseil pour le Climat estimait que l’usage des BECCS et DAC « doit pour l’heure être limité à sa contribution minimale nécessaire » afin que ces technologies soient considérées « comme solution de dernier recours pour atteindre la neutralité carbone ».
En ce qui concerne le CCU, selon CO₂ value Europe, cette solution pourrait contribuer à l’ambition de neutralité carbone de l’Europe à hauteur de 8% et réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20%, en valorisant le CO₂ pour l’industrie chimique (11%), pour la production de combustibles synthétiques (7%) ou par l’intégration dans les matériaux de construction (2%). Plusieurs projets visent notamment à contribuer à la décarbonation du transport maritime et à l’aviation mais la disponibilité d’électricité bas carbone, la demande en eau, minéraux et matériaux non renouvelables, ainsi que l’absence d’incitations réglementaires et économiques limitent encore le déploiement du CCU à large échelle.
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Tels les alchimistes d’un autre temps, il espèrent en la transmutation de l’excrément de la vie en source d’énergie
Tant que les critères restent qualitatifs, tout paraît possible, souhaitable même.
Les solutions discutées ici restent à prouver à une échelle significatives, ont des limites techniques, et posent des défis logistiques pratiquement insolubles. Leurs coûts sont si énormes que personne ne les calcule, ce serait démotivant
Comme aucun « plan business » ne peut justifier d’investir dans ce domaine, ce sera aux contribuables qu’il faudra voler les fonds nécessaires.