« Des décennies plus chaudes et plus malades ». D’après une récente étude, le dérèglement du climat, couplé à un certain nombre de phénomènes liés aux activités humaines – déforestation, urbanisation galopante, mondialisation des échanges, trafic illégal d’espèces animales, etc. –, devrait entraîner une recrudescence des zoonoses, ces virus transmis de l’animal à l’homme. Plusieurs leviers existent pourtant afin de tenter de juguler le phénomène, parmi lesquels la détection précoce des pathogènes dans les eaux usées ou encore l’investissement dans la recherche à long terme.
Et si la pandémie de Covid-19 n’était qu’un avertissement ? Une nouvelle étude, publiée à la fin du mois d’avril dans les pages de la prestigieuse revue scientifique Nature, prévoit que le changement climatique pourrait, au cours des cinquante prochaines années, entraîner plus de 15 000 nouveaux cas de transmission de virus de mammifères à mammifères – y compris vers l’homme. Ces zoonoses, principalement dues aux centaines de milliers de premières rencontres entre espèces qui jusqu’alors s’ignoraient, ne mèneront bien sûr pas toutes à de nouvelles épidémies telles que celle provoquée par le coronavirus ; mais, comme l’a aussi démontré la dernière crise sanitaire mondiale, le transfert d’un seul pathogène à un être humain suffit. C’est pourquoi l’étude publiée dans Nature fournit, selon son coauteur Gregory Albery, spécialiste des maladies à l’université américaine de Georgetown, des « preuves irréfutables que les décennies à venir seront non seulement plus chaudes, mais aussi plus malades ».
Des propos qui font écho à ceux tenus en 2020 par le Dr Anthony Fauci, le « monsieur Covid » des États-Unis, selon qui « nous sommes (entrés) dans une ère de pandémies ». Les scientifiques estiment en effet que la probabilité de connaître de nouvelles épidémies triplera au cours des prochaines décennies. Grippe espagnole, VIH/Sida, SRAS-CoV-1, chikungunya, H1N1, Ebola, Zika… : depuis le début du XXe siècle, la quasi-totalité des pandémies virales ayant ravagé la planète ont été déclenchées par une zoonose ; et plus de 60% des quelque trois-cent nouvelles maladies infectieuses recensées entre 1994 et 2004 auraient eu pour cause des pathogènes zoonotiques. Si le phénomène n’est pas nouveau, il tend donc à s’amplifier et pourrait, dans les années à venir, atteindre une ampleur catastrophique. Mais comment expliquer cette recrudescence attendue des pandémies d’origine animale ?
Déforestation, urbanisation, agriculture, trafics d’animaux… : la crainte de l’effet domino
Le dérèglement climatique à l’œuvre fait bien évidemment partie des facteurs aggravants. L’augmentation de la chaleur et de l’humidité favorise ainsi la prolifération des arthropodes – insectes (mouches, moustiques), arachnides (tiques, araignées), etc. – qui sont parfois vecteurs de maladies. De même, à mesure que la terre se réchauffe, les animaux marins ou terrestres migrent à la recherche de nouveaux habitats, entraînant avec eux des agents pathogènes transmissibles à l’être humain. Les inondations, les cyclones, les feux de forêts et autres phénomènes extrêmes dont la multiplication est liée au changement climatique contraignent aussi de nombreuses espèces à se déplacer, tout en favorisant, pour certains d’entre eux, le développement de maladies comme le choléra ou la leptospirose. Autant de facteurs qui faciliteront l’émergence de hotspots ou « points chauds de biodiversité » qui, s’ils atteignent des zones de forte densité humaine comme en Afrique ou en Asie, pourraient favoriser la propagation de nouveaux virus à l’homme.
Le réchauffement climatique n’est, cependant, pas seul en cause et bien d’autres facteurs entrent en ligne de compte dans l’apparition probable de futures pandémies. La déforestation, l’urbanisation incontrôlée, la mondialisation des échanges commerciaux, le trafic et la consommation d’espèces sauvages ou protégées, les guerres, l’agriculture intensive ou encore les changements d’affectation des terres représentent autant de phénomènes qui impactent irrémédiablement le vivant et démultiplieront les contacts entre espèces et, in fine, la circulation des virus et autres pathogènes – chacun de ces facteurs pouvant aggraver et accélérer les autres, comme un effet domino. « Les changements dans la manière dont nous utilisons les terres, l’expansion et l’intensification de l’agriculture, (…) le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les agents pathogènes et les êtres humains », prévient le Dr Peter Daszak, président du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES), selon qui « c’est un chemin qui conduit droit aux pandémies ».
Des leviers innovants déjà existants
Si l’Afrique et l’Asie sont en première ligne face au risque d’épidémies, aucune partie du monde ne semble parfaitement à l’abri, comme l’a démontré la crise liée au Covid. Les chercheurs ont ainsi identifié un certain nombre de régions particulièrement à risque de zoonoses, des hotspots tels que le Sahel en Afrique du Nord, l’est de la Chine, les hauts plateaux d’Éthiopie ou encore les Philippines, mais également certaines régions d’Europe. « Nous ne surveillons pas les hotspots et cela fait du risque pandémique le problème de tout le monde », alerte Gregory Albery dans The Guardian : « Le changement climatique crée d’innombrables points chauds pour le risque zoonotique directement dans notre arrière-cour. Nous devons construire des systèmes de santé qui sont prêts pour cela ». Pour lutter contre le risque épidémique, les auteurs de l’étude publiée dans Nature préconisent notamment de coupler la surveillance des maladies animales avec l’examen, en temps réel, des bouleversements imposés à notre environnement.
Par exemple, « lorsqu’une chauve-souris brésilienne à queue libre se rend dans les Appalaches (aux États-Unis), nous devrions nous efforcer de savoir quels virus l’accompagnent », détaille Colin Carlson, de l’université de Georgetown : « essayer de repérer ces « sauts d’hôtes » en temps réel est la seule façon d’empêcher ce processus de conduire à davantage (…) de pandémies », assure encore le professeur américain. Une indispensable capacité de détection précoce chez les animaux qui doit être doublée d’un effort équivalent auprès des êtres humains, à l’exemple de la solution testée à Marseille par la société SICPA, qui permet de détecter les agents pathogènes présents dans les eaux usées des avions, renforçant ainsi son implantation dans la cité phocéenne après de premiers tests menés dans les eaux usées de la ville puis à l’aéroport de Marseille-Provence. Menée en partenariat avec la brigade des marins-pompiers de la cité phocéenne, l’initiative offre « un outil indispensable dans la lutte contre la pandémie » de Covid ainsi qu’un nouveau dispositif permettant aux pouvoirs publics d’anticiper et de prévenir les futurs risques d’épidémie. Après la France, SICPA teste aussi depuis sa solution dans la péninsule arabique sur un total de plus de 300 avions et la déploie désormais dans plusieurs établissements de santé, notamment dans le New Jersey, au sein du Holy Name Medical Center. À terme, l’objectif est d’identifier, avec les organismes de recherche, les futurs pathogènes pour en dresser les portraits-robots et en faciliter la détection.
Enfin, la lutte contre les pathogènes passera, comme le rappelle le directeur d’Institut de biologie du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Roger Le Grand, par « des capacités d’investissements rapides et forts », par l’ « impératif de penser en amont un plan de développement et de mettre en œuvre un système de coordination avec des structures et des experts déjà identifiés, et avec des cahiers des charges bien établis » ainsi que par « une mobilisation constante d’experts en biologie, économie, sciences sociales et communication ». Sans oublier « d’investir dans la recherche sur le long terme », condition sine qua non pour développer cette « culture du risque » qui fait encore cruellement défaut à l’Europe et à la France, selon le chercheur. Autant de leçons qui, alors que la crise sanitaire liée au Covid semble s’éloigner, devraient être portées de toute urgence à l’agenda des décideurs politiques.