Réchauffement climatique et déforestation massive conduisent les forêts primaires tropicales à de moins en moins bien remplir leur rôle de puits de carbone. A contrario, sous nos latitudes, une gestion durable des forêts montre que la main de l’homme peut s’avérer profitable pour les écosystèmes forestiers.
Le constat n’est pas rose, et encore moins vert. D’après une étude menée par des chercheurs du Musée royal de l’Afrique centrale et de l’Université de Leeds et publiée dans la revue scientifique Nature, les forêts tropicales remplissent de moins en moins leur rôle de puits de carbone. Quand elles absorbaient 17 % des émissions de CO2 en 1990, elles n’en captent plus que 6 % aujourd’hui. La forêt tropicale africaine devrait perdre près de 14 % de sa capacité à absorber du carbone d’ici 2030, tandis que la forêt amazonienne arriverait déjà à saturation et serait incapable d’en stocker davantage… L’absorption de CO2 diminue plus particulièrement sur les sites exposés à des températures élevées et aux sécheresses de plus en plus répétées.
Pire, ces forêts pourraient même émettre du carbone. Cette dynamique inquiétante avait déjà été confirmée par une étude publiée dans Science un an plus tôt. « Les forêts tropicales stockent actuellement l’équivalent d’un quart de siècle d’émissions de dioxyde de carbone. Or, le réchauffement climatique risque de réduire ce stock si la croissance des arbres diminue ou si leur taux de mortalité augmente, accélérant par la même occasion le changement climatique », expliquait dans un communiqué, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, qui avait participé à l’étude. Pour ne rien arranger, la déforestation et les incendies accentuent cette tendance.
Déforestation VS récolte durable
Ces enseignements pourraient inciter à penser qu’il convient de ne plus exploiter les forêts afin de préserver au maximum la capacité de stockage de carbone. Ce n’est pas si simple. Certains chercheurs, sans aller jusqu’à justifier l’exploitation des forêts tropicales telle qu’elle est pratiquée, avancent que la sylviculture est, au contraire, bénéfique pour le climat et la forêt, dans une certaine mesure.
En Suède, une équipe de chercheurs, menée par le Dr Peter Holmgren qui dirigeait les travaux sur le changement climatique pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a publié un rapport intitulé : « The Forest Carbon Debt Illusion ». L’étude remet en cause l’idée reçue selon laquelle la récolte de bois entraînerait une augmentation des émissions de dioxyde de carbone à court terme. C’est même tout le contraire, selon le chercheur. « Moins de produits à base de bois signifie que plus de matériaux fossiles seront utilisés à la place », explique Peter Holmgren.
Selon le rapport, cette affirmation est juste, à condition que la gestion de la ressource soit durable. Ce qui est loin d’être le cas dans les forêts tropicales, où la traçabilité du bois est un vrai casse-tête et la déforestation galopante (par exemple au Brésil, pour planter du soja). En Europe et particulièrement en France, la situation n’a rien de comparable, d’autant que la filière forestière est pleinement mobilisée.
Les bénéfices d’une gestion durable des forêts
En France, quatrième pays le plus boisé d’Europe derrière la Suède, la Finlande et l’Espagne, la filière forêt-bois est très organisée. Elle s’articule autour d’acteurs professionnels structurés qui œuvrent à la bonne gestion durable des forêts françaises, privées comme publiques. De l’amont (la forêt) à l’aval (le bois), les maillons professionnels sont liés les uns aux autres et œuvrent notamment à l’adaptation des forêts au réchauffement climatique et dans la transition bas carbone.
La gestion durable repose sur des opérations sylvicoles à même de garantir plusieurs objectifs : préserver le bon état sanitaire des forêts et respecter la biodiversité ; conserver et améliorer les ressources forestières ; répondre aux besoins de la société en fournissant différents biens et services (bois énergie, bois de construction, ameublement). Par exemple, favoriser la croissance des arbres jusqu’à leur pleine maturité implique des coupes dites « d’éclaircie« , « d’amélioration« , de « régénération naturelle » ou “avant plantation” qui permettront “de bénéficier de l’espace nécessaire et d’un apport en lumière suffisant”, explique l’Office national des forêts. Les règles de bases sont les suivantes : remplacer les générations adultes d’arbres par des générations jeunes ; établir des plans de gestion sur plusieurs décennies ; ne pas couper plus que l’accroissement naturel des forêts. Sur ce dernier point, « en France, nous ne récoltons que 54% de l’accroissement naturel des forêts chaque année, ce qui laisse une marge considérable » explique l’UCFF, l’Union qui regroupe les coopératives forestières.
Une gestion de la biodiversité au service de la lutte contre le changement climatique
Une sylviculture raisonnée qui tient compte, en parallèle, de la biodiversité. Citons : la conservation d’arbres morts, le maintien d’arbres vivants à haute valeur biologique (avec des fissures, des cavités utiles aux oiseaux ou aux insectes par exemple), l’interruption de travaux pendant les périodes de reproduction, la création de réserves biologiques, ou encore des missions d’observation et d’études scientifiques. « Gérer les forêts, c’est aussi agir pour permettre au plus grand nombre de profiter de ces espaces de loisirs dans le respect des milieux naturels. Cette mission se traduit notamment par la création de sentiers, d’agrès sportifs, de parcours pédagogiques et thématiques, souvent en partenariat avec les collectivités locales. », assure l’Onf.
Autre donnée essentielle : les effets dévastateurs du changement climatique, qui menacent l’intégrité des forêts, et par voie de conséquence, la ressource bois dans les prochaines décennies. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels à l’Onf, expliquait dans un article publié sur le site du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation qu’ « on essaye d’anticiper au maximum, même s’il y a encore beaucoup d’incertitudes… Ce qui est sûr, c’est que le changement climatique va avoir des impacts directs et indirects sur nos forêts. » La stratégie consiste à faire évoluer les écosystèmes forestiers de façon à les rendre plus résilients.
Plusieurs solutions sont testées. « Des essences sudistes sont plantées plus au nord de la France afin de les rendre résilientes dans les prochaines décennies. Nous testons différentes variétés et implantons des parcelles expérimentales pour préparer la résistance des arbres à une hausse des températures de +1,5 ou 2°C d’ici la fin du siècle » évoque l’UCFF-Les Coopératives Forestières. Cela peut également passer par une diversification des espèces sur une même parcelle. Exemple avec « les “îlots d’avenir”. L’idée est de créer, à l’intérieur des forêts les plus septentrionales, de petites parcelles expérimentales dans lesquelles on fait migrer des espèces ou des provenances différentes venant de régions situées plus au sud. » Les sécheresses et les températures étant en augmentation, certaines espèces endémiques ne seront, en effet, plus adaptées dans un futur pas si lointain.