Le 21 janvier, Greenpeace France a publié un rapport intitulé « Aviation : empêcher le redécollage des vols courts ». A travers ce rapport, l’organisation demande expressément au Gouvernement d’empêcher la reprise des vols intérieurs pour lutter contre le changement climatique. Elle plaide également pour la réduction du trafic international et s’oppose aux projets d’extension d’aéroports. Une mesure qui illustre la méconnaissance de la réalité d’un secteur en constante amélioration, et qui pourrait s’avérer une fausse bonne idée.
Un décalage entre l’image et la réalité du secteur
Connaissez-vous ce que les Suédois appellent le flygskam, la honte de prendre l’avion ? En France, selon une étude publiée en 2020 par la Chaire Pégase, rattachée à Montpellier Business School, ce flygskam proviendrait d’un décalage entre la réalité de l’impact environnemental du trafic aérien et la perception qu’en ont les Français. Cette étude, intitulée « Les Français et l’impact environnemental du transport aérien : entre mythes et réalités » révèle que pour plus de la moitié des répondants, le secteur aérien représente plus de 10% des émissions mondiales de CO2. En 2016, le transport aérien n’était pourtant responsable que de 2,8% des émissions mondiales de CO2 liées aux combustibles fossiles, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Des émissions moins importantes que celles liées aux usages d’Internet (5% des émissions mondiales de GES), ou à l’industrie textile (8%).
La réalité est celle d’un secteur conscient des enjeux liés au dérèglement climatique, et qui n’a de cesse de s’améliorer. Paul Chiambaretto, directeur de la Chaire Pégase et chercheur associé à l’École Polytechnique, rappelle ainsi que les émissions de CO2 par passager transporté ont « diminué de 25% au cours des quinze dernières années ». Au cours des 70 dernières années, cette diminution atteint les 80%. Les avancées technologiques permettent de construire de nouvelles générations d’avions, qui émettent à chaque fois 15% à 20% de CO2 en moins que la précédente. Le site du ministère de la Transition écologique rappelle que le secteur aérien a été le premier, dès 2009, « à formaliser un plan d’actions à long terme pour traiter les questions d’impact sur le changement climatique ». Amélioration de la performance environnementale des avions, procédures conduisant à réduire la consommation de carburant, développement des biocarburants aéronautiques et mesures économiques doivent ainsi permettre à l’aviation de stabiliser les émissions de CO2 au niveau atteint en 2020.
Supprimer les lignes aériennes intérieures : un impact écologique marginal
Quid de l’empreinte écologique de l’avion en France ? Le site du Ministère de la Transition écologique nous informe qu’en 2018, le trafic aérien intérieur (y compris Outre-Mer et non commercial) représentait 4,0% des émissions de CO2 du secteur des transports, avec 5,3 millions de tonnes. Cela représentait 1,6% des émissions totales de la France, selon les chiffres de l’inventaire national des émissions. Ce chiffre est à mettre en perspective avec le poids des émissions du transport routier, qui représentait quelque 28% des émissions de GES en France en 2016. Le trafic aérien intérieur en France semble bien éloigné de l’« aberration climatique » que dénonce Greenpeace dans son rapport.
Dans un contexte où la priorité clairement affichée est de lutter contre les émissions de GES, l’impact d’une suppression des vols intérieurs en France serait ainsi marginal, d’autant que 80% des émissions proviennent de vols dont la distance est supérieure à 1500 km.
Des conséquences économiques maximales qui viendraient freiner un secteur fragilisé
L’impact écologique de la mesure préconisée par Greenpeace doit être mis en rapport avec ses importantes conséquences économiques. Fermer les lignes intérieures reviendrait à clouer au sol un secteur déjà fragilisé par la crise sanitaire. Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire l’a déclaré, lors de l’annonce du plan de soutien à la filière aéronautique le 9 juin 2020 : « La crise du secteur aéronautique a été brutale. Et la reprise sera lente ». A titre d’exemple, sur les 11 575 emplois créés dans la filière depuis 10 ans, 10 616 ont été réduits à néant en l’espace de six mois, selon les données de Trendeo. Fermer les lignes intérieures reviendrait à fragiliser davantage les 300 000 emplois directs et indirects que représente la filière en France. En particulier en région Occitanie, où l’aéronautique représente 90 000 emplois, soit près de 40% de l’emploi industriel selon Bercy.
Se focaliser sur la suppression des lignes intérieures empêche par ailleurs de penser le transport en France de façon globale. Le transport aérien intérieur s’intègre pourtant dans une approche intermodale du transport, « en lien avec le développement des lignes à grandes vitesse et du développement ferroviaire », comme le rappelle le rapport de mission sénatoriale de septembre 2019 intitulé « Contribution du transport aérien au désenclavement et à la cohésion des territoires ». L’avion permet en effet de relier les métropoles régionales de façon transversale, sans avoir à passer par Paris. Il participe ainsi au dynamisme économique et touristique des régions.
Chistophe Cador, PDG de Satys et président du comité Aéro-PME du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), évoque un point particulièrement préoccupant : « Il s’agit non seulement de préserver les compétences mais de continuer à investir ». Or, ce sont ces capacités d’investissement qui permettent à la filière de s’améliorer en vue de construire une industrie décarbonée. De nombreux projets sont déjà à l’étude : Airbus, Daher et Safran se sont par exemple associés pour développer le projet EcoPulse, un avion à propulsion hybride, dont le premier vol est prévu pour l’été 2022. Au-delà de l’avion lui-même, ce sont les procédures d’approches qui pourraient être améliorées, en s’appuyant notamment sur des capacités de géolocalisation de plus en plus précises. Les trajectoires elles-mêmes pourraient être optimisées. Le projet Fello’fly d’Airbus, dévoilé en novembre 2019, permettrait de réduire la consommation des avions de 5 à 10%, en aidant à reproduire « le comportement des oiseaux qui volent ensemble pour réduire leur consommation d’énergie. L’avion suiveur récupère l’énergie perdue par un leader, en volant dans le courant d’air ascendant doux créé par le sillage », explique Airbus.
Ainsi, supprimer les lignes intérieures n’aurait qu’un impact écologique réduit, au prix de lourdes conséquences économiques. Une fausse bonne idée dont un secteur déjà fragilisé par la crise n’a pas besoin pour redécoller.
Bonjour, ce que cet article ne dit pas, c’est que malgré les intéressants progrès technologiques, qui diminues les émissions par passager, le nombre des passagers augmente trop vite, ce qui conduit à une hausse continue des émissions depuis plusieurs décennies, avec une perspective de multiplication par un facteur 3 ou 4 d’ici 2050 à l’échelle mondiale. C’est pourquoi le status quo est intenable. L’avion est une superbe invention, mais il faut l’adapter aux contraintes du changement climatiques. Voici une pétition qui propose de supprimer les vols intérieurs en liaison avec l’IdF, lorsqu’une alternative en train en moins de 6h existe : https://agir.greenvoice.fr/petitions/urgence-climatique-pour-le-remplacement-des-vols-interieurs-superflus-par-des-trains
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