Alors que l’inflation frappe le panier de la ménagère comme jamais, d’autres chiffres inquiètent : notamment l’épidémie d’obésité. D’après une enquête menée par l’INSERM, de plus en plus de Français sont obèses et/ou en surpoids. Pourtant ce n’est pas faute d’action de la part des autorités de santé publiques qui promeuvent le Nutriscore. Comment expliquer ce manque de résultats malgré des moyens mis en œuvre ? Ne faisons-nous pas fausse route en nous appuyant sur un concept dépassé de l’alimentation.
Pendant que l’obésité se développe en France…
Après avoir missionné l’INSERM pour une étude, la ligue contre l’obésité a fait un constat alarmant : « sur 10.000 adultes interrogés en 2020, 47,3 % sont en surpoids ou obèses ». Pour donner un ordre d’idée cela représente environ « une personne sur deux dans l’Hexagone ». Des données en progression, puisque selon les auteurs, la proportion aurait été multipliée par deux depuis 1997. Il y a une bonne raison de tirer la sonnette d’alarme sur ces chiffres, même s’il est important de ne pas faire l’amalgame entre surpoids et obésité. Comme on le sait le premier est un facteur de risque alors que le second – qui se caractérise par un IMC supérieur à 30 – est une maladie qui doit être diagnostiquée.
Au regard de ces piètres résultats, on s’étonne : comment peut-on expliquer que la situation se dégrade alors que les autorités de santé publiques françaises ont mis tant d’effort dans les campagnes de communication pour sensibiliser les Français ainsi que le développement et l’application de l’étiquetage nutritionnel et plus particulièrement du Nutriscore… Bien que non obligatoire, de plus en plus de produits présentent le feu tricolore. A-t-on expérimenté avant de se lancer dans cette entreprise ? S’est-on renseigné sur ce qui se faisait à l’étranger de similaire ? Et si on avait fait fausse route avec un système trop simpliste ? Alors que le choix d’un étiquetage alimentaire est en débat à Bruxelles, il est essentiel de se poser toutes ces questions. Il serait non scientifique de généraliser un système sans savoir si celui-ci est doué d’une quelconque efficacité.
…Le Nutriscore impose ses règles
Le conseil nutritionnel se caractérise par quelques règles essentielles : il doit se rapporter à une diète équilibrée qui repose sur des prises alimentaires modérées en quantité et composées autant que faire se peut par une variété de groupes d’aliments. L’engouement pour le Nutriscore consiste à promouvoir une notation de cinq lettres (A à E en valeur décroissante) pour caractériser le niveau de qualité de 100g ou de 100ml de chaque aliment et inciter le consommateur à privilégier les produits cotés A ou B : répond-il au problème soulevé par les règles essentielles ?
La parade proposée par les concepteurs du Nutriscore vise à aider les consommateur à faire des choix plus sains pour lutter contre l’obésité et le surpoids qui sont, comme nous venons de le voir de véritables problèmes de santé publique, est essentiellement quantitative: baisser la densité calorique de l’alimentation, base de la notation du Nutriscore. Etrangement cette démarche ressemble aux différentes démarches d’affichage nutritionnel pratiquées pendant une quarantaine d’années aux Etats-Unis et qui n’a pas du tout endigué la prise de poids du citoyen américain moyen, car le syndrome métabolique résulte de multiples déséquilibres et ne saurait être maitrisé par un algorithme simpliste dont les ambitions des promoteurs peuvent se résumer dans les grandes lignes : par la volonté d’établir une visibilité et un repérage facile afin de renseigner les consommateurs sur les excès de sucre, de sel et de graisse et permettre ainsi d’éviter les aliments trop caloriques… cela rendant les changements de consommation simple et rapide.
Le calcul derrière l’algorithme est assez simple : il y a d’une part les nutriments à limiter, dont la consommation importante est défavorable (calories, acides gras saturé, sucres et sel) et d’autre part les aliments à favoriser (quantité de fibres, de protéines, pourcentages de fruits et légumes, présence de légumineuses, de fruits à coques, d’huile de colza, de noix et d’olive). Il existe un calcul spécifique pour les matières grasses, les fromages et les boissons… Précisons enfin ce détail d’importance mais peu connu du public : le Nutriscore n’est en aucun cas adapté aux aliments pour enfants de moins de 3 ans.
Pourquoi peine-t-on à voir les effets ?
Le tableau dressé par l’enquête de l’Inserm devrait interpeller les promoteurs du Nutriscore. Pourquoi cet étiquetage qui est sensé lutter contre le facteur de risque de l’obésité depuis maintenant quelques années semble n’avoir aucun impact… Au contraire, comme on le constate, la situation se dégrade. Pour cela il convient de s’interroger sur les faiblesses de l’algorithme.
Tout d’abord, notons qu’il ne prend pas en compte la composition en micro-nutriments des aliments, qu’il s’agisse des vitamines ou des minéraux comme le calcium notamment.
Ensuite, la densité calorique des aliments est basée sur une mesure brute des portions qui favorise les aliments à teneur en eau élevée par rapport à des aliments transformés où l’humidité est moindre. Par exemple, l’apport calorique total de 100 ml de lait demi-écrémé (noté A) n’a rien à voir avec 100g de fromage (noté au mieux D) alors que le profil lipidique des deux produits est très voisin. Il saute d’ailleurs aux yeux que la prise alimentaire sera différente pour les deux produits… mais cela le code couleur n’en tient nullement compte.
Enfin, il est important de rappeler que l’alimentation saine n’est pas déterminée par la teneur de certains composants dans un produit alimentaire donné. Elle est déterminée par la composition moyenne de la diète d’un consommateur et par son hygiène de vie, notamment la fréquence de ses prises alimentaires et la qualité des aliments qu’il choisit. Mais il y a pire si on creuse… car on finit par découvrir un terrible biais sur lequel repose ce « système ».
Un concept dépassé : la preuve par l’huile de colza et les acides gras saturés
Les généralités méthodologiques évoquées sont significatives mais elles ne disent rien du « fond de science » sur lequel repose l’algorithme. Le principal problème du Nutriscore est qu’il repose sur une connaissance des lipides archaïque qui fait fi de l’ensemble des avancées scientifiques de ces trente dernières années. En voici la preuve au travers de deux cas : l’huile de colza et les acides gras saturés.
Le cas de l’avantage donné à l’huile de colza est emblématique : son intérêt reposerait essentiellement sur sa faible teneur en acides gras saturés (de l’ordre de 7 %), ceci est exact mais ridiculement réducteur (1). Les années 1990 ont abouti à un consensus sur l’apport des 2 familles dites poly-insaturées : 5% de l’apport calorique total pour la famille linoléique et 1% en position médiane pour la famille linolénique, ce seuil n’étant pas toujours atteint. Le Nutriscore ne tient hélas nullement compte de ces avancées sur nos connaissances et la note qu’il attribue à l’huile de Colza ne reflète pas ce facteur.
L’autre préoccupation, aujourd’hui dépassée, est la diabolisation de la présence des acides gras saturés qui n’est dangereuse qu’en cas de déficience d’un apport insuffisant des deux familles d’acides gras polyinsaturés que nous venons d’évoquer.
En fait les acides gras les plus néfastes sont les acides gras trans souvent apportés par des huiles hydrogénées artificiellement. Il existe de nombreux travaux passant en revue les effets de acides gras saturés qui selon la longueur de leur chaine carbonée jouent des rôles très différents.
Dès 2010 une méta-analyse de 21 études concluait à l’absence de liens entre les apports en AGS (acides gras saturés) des produits laitiers et le risque de maladie cardiovasculaires. Actuellement nous disposons de plusieurs méta-analyses démontrant une corrélation inverse entre consommation de divers produits laitiers et attaques cardiaques, accidents vasculaires cérébraux, diabète de type 2 et syndromes métaboliques.
Nous renvoyons le lecteur à notre dossier sur l’Interêt nutritionnel des acides gras du lait de vache publié récemment dans la revue de l’IAA pour plus de détail sur les propriétés physiologiques des AGS selon leur longueur de chaine (2) (3).
Enfin c’est sur le rôle de l’acide myristique que nous voudrions désormais développer notre réflexion, eu égard la mauvaise notation des produits laitiers par le Nutriscore.
Multiplicité des rôles physiologiques et complexité de l’alimentation : le cas de l’acide myristique du lait
Une série d’études conduites sur modèles animaux et sur des populations de moines et de moniales par le docteur François Mendy à la demande de l’inter-profession laitière (CNIEL) ont confirmé le rôle positif de l’acide myristique (issu principalement du lait de mammifères) sur le bon cholestérol (HDL) et en parallèle une augmentation intéressante du DHA (acide décosahexaénoïque).
Ces études ont mis également en évidence une amélioration de la fluidité et de la plasticité des membranes des globules rouges permettant à ceux-ci de mieux circuler dans les fines artérioles du cerveau. Le manque de fluidité s’avère être le grand problème du vieillissement et cela peut accentuer les risques d’accidents vasculaires cérébraux. Par ailleurs l’acide myristique entre en combinaison avec de nombreuses protéines permettant notamment des synergies dans le métabolisme des acides gras insaturés.
Toutes ces données scientifiques ayant fait l’objet de publication dans des revues à comité de lecture de premier niveau (4) conduisent à la plus grande perplexité sur un algorithme de notation donnant un poids indu à la teneur en acides gras saturés et disqualifie la notation en D et E des fromages.
En conclusion
Elles démontrent une défaillance dans l’actualisation de la veille scientifique, et hélas montre que le ridicule n’est pas un obstacle pour la bureaucratie. Car au final il faut bien reconnaitre que le Nutriscore n’est qu’une démarche de simplification à outrance. Elle est navrante car elle traduit une vision infantilisante de notre société où les connaissances ne seraient accessibles qu’à une élite. Une démarche qui omet que les causes de l’obésité sont multi-factorielles : déséquilibres causés par la sédentarité, absence d’exercices physiques réguliers avec une pratique assidue de la marche, sans parler de la sociologie autour de l’acte alimentaire… La part de responsabilité liée à l’alimentation est outrageusement réductionniste privilégiant l’excès de l’apport calorique alors les causes du syndrome métabolique sont liées à plusieurs déséquilibres physiologiques.
Une fois de plus nous sommes en présence d’ambitions technocratiques peu exigeantes au plan des connaissances et de l’action publique. Et on ne devra pas s’étonner que ces efforts soient vains pour réduire l’épidémie de surpoids et d’obésité qui frappe nos civilisations… Au final on se demande pourquoi des études d’impact un peu sérieuses sur le sujet n’ont pas été lancées : qui sait si on ne découvrirait pas que l’effet causé est inverse à celui attendu ?
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(1) En tant que directeur de l’inter-profession des oléagineux (ONIDOL) j’ai participé entre 1985 et 1989 à la réhabilitation de l’huile de colza et des acides gras de la famille linolénique (dite en n-3 ou omega 3 ). L’apport recommandé est de 1% de l’apport calorique total bio-disponible, c’est à dire en position 2 (ou médiane) du triglycéride, celle protégée de l’oxydation. Or, l’huile de colza contient 10% d’acide linolénique dont les deux tiers en position médiane des triglycérides.
(2) Nous y passons en revue les acides gras courts (butyrique ( C4 :0 ) et caproïque ( C6 :0 )), les acides gras moyens ( caprylique (C8 :0) , caprique (C 10 : 0) et laurique (C 12 :0)) et les acides myristique (C14 :0) et palmitique (C 16 :0).
(3) Voir également dans la revue Paysans et Société, L’intérêt nutritionnel de la matière grasse du lait et des fromages
(4) Nous renvoyons le lecteur à notre étude publiée pour l’IAA pour le détail de ces analyses sur l’acide myristique, palmitique et stéarique.
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