Alors que les insectes arrivent dans nos assiettes avec l’aval de la Commission européenne, s’est-on posé toutes les questions ? Pourquoi n’a-t-on pas appliqué notamment le principe de précaution comme il est d’usage pour tant d’autres sujets ? Docteur en chimie, Christiane Chavane s’interroge sur ce sujet d’actualité.
Les insectes au menu de la Commission Européenne
Depuis 2015, sous la pression d’une association de starts-up dédiées à l’élevage d’insectes (1), la Commission Européenne a intégré plusieurs insectes comme nouveaux aliments dans la liste positive des denrées alimentaires. On y trouvait le ver de farine (tenebrio molitor), la blatte (bladottea) et le criquet migrateur (locusta migrans) (2). Ces starts-up sont très bien vues des pouvoirs publics et profitent largement du financement de banques et d’investisseurs qui se donnent une bonne conscience écologiste (9,10,11 – non exhaustif).
En janvier 2023 vient de tomber une nouvelle décision de la commission : accorder un monopole de 5 ans à une société vietnamienne (Cricket One) pour l’exportation de grillons d’élevage (acheta domesticus) sous forme de poudre partiellement dégraissée vers l’Union Européenne (3), (4).
Ce n’est pas fini puisque la FAO recense 1100 espèces d’insectes comestibles dont 11 sont déjà à l’étude.
Quelques risques potentiels
L’UE admet que peu d’études ont été faites sur l’impact de la consommation de grillons ou autres insectes sur la santé. Or nous savons déjà que les risques d’allergie sont réels, notamment pour ceux qui ne supportent pas les crustacés ou les fruits à coque (2). Les produits industriels porteront la mention de l’insecte sur l’étiquette, mais comment saurons-nous si ce qui nous est présenté dans les cantines scolaires et les restaurants d’entreprise en est exempt, et même chez des restaurateurs peu scrupuleux ? Si en plus on en introduit dans l’alimentation animale, comment pourrons-nous savoir ce que nous achetons ? Le scandale de la vache folle n’a pas suffi ?
Rappelons d’abord que nous ne sommes pas des oiseaux ni des grenouilles ou des lézards. Si ces animaux mangent des insectes, leur système digestif est adapté à leur régime. Pas le nôtre ni celui du bétail. Or la carapace des insectes est constituée de Chitine, que nous avons du mal à digérer (5). On pourrait « déchitiniser » à coup de solvants organiques et libérer des polluants dans la nature.
De plus, la chitine est cancérigène, et de plus souvent porteuse de parasites et de champignons qui ne vont guère améliorer la qualité nutritive des produits dans lesquels elle va se retrouver, mais au contraire représenter un risque non négligeable pour la santé. (7),(8).
Pire encore, le grillon contient un taux important de cyanure, de l’ordre de 5 mg/kg., soit au-delà de la dose létale pour l’homme (7). Bien entendu les quantités ingérées dans une farine seront faibles mais est-ce bien nécessaire ?
Et cela n’exclut pas en prime la présence de traces de staphylocoques, de E.Coli et quelques autres toxines fort peu souhaitables.
A-t-on prévu des contrôles vétérinaires dans les élevages ? Saura-t-on les déparasiter avant de les réduire en poudre ? Qui va s’en assurer ?
Où est passé le principe de précaution ?
Curieusement l’Union Européenne, si prompte à dégainer le principe de précaution chaque fois qu’elle veut tuer une activité, accepte sans rechigner de changer toute la chaîne alimentaire au mépris de milliers d’années d’expérience agricole. Tous les risques que nous venons d’exposer, et qui sont réels, étayés, sont balayés d’un revers de main. Pourquoi ?
Avant de donner la liste interminable des ingrédients dans lesquels nous pouvons retrouver ces insectes, il convient aussi de se demander si le remplacement d’une partie des farines de céréales par des grillons en poudre est pertinent sur le plan nutritif. Il s’agit de protéines animales, or les céréales ont une toute autre fonction dans notre organisme. Elles contiennent des glucides et sont utiles pour leur apport en énergie (6). Elles sont essentielles à notre alimentation. Cet ajout de protéines n’a donc d’autres sens qu’un but commercial, et un moyen vicieux de remplacer peu à peu la viande (4).
Nous avons interdit les OGM au nom du principe de précaution sans même chercher s’ils apportaient des avantages, notamment en permettant de réduire les pesticides, sans étudier au cas par cas comme cela aurait dû être fait, lesquels auraient été bons pour l’environnement et la santé et lesquels devaient être écartés. Nous avons interdit le glyphosate au nom du principe de précaution sur la base d’une seule et unique étude que l’on savait biaisée, et que le CIRC a validée sans tenir compte des autres nombreuses études disant exactement l’inverse. Nous interdisons les néonicotinoïdes au nom du principe de précaution car ils sont soupçonnés de tuer les abeilles, sans chercher à connaître les multiples causes de l’hécatombe des abeilles. Parce qu’il faut un coupable.
Mais glisser subrepticement des insectes dans à peu près tous les produits de l’agro-alimentaire, comme on nous a fait avaler les bovins nourris à la farine animale, là, curieusement, ça ne souffre même pas la discussion.
Ce qui nous donne un peu l’impression que le principe de précaution ne fonctionne que lorsque les détracteurs d’une innovation sont du côté du militantisme écologique.
C’est d’ailleurs parfaitement logique puisque, dans sa conception même, il ne sert que lorsqu’il n’existe strictement aucune preuve scientifique et même aucune cause logique pour le faire appliquer. Lorsqu’il existe un véritable risque il ne s’applique plus. Par conséquent ne serait-il pas temps de retrouver le sens commun, et de supprimer ce concept pour revenir à ce que nous avons toujours fait dans le passé : utiliser le principe de prudence que nous avons laissé tomber, c’est-à-dire ne pas commercialiser des produits sans avoir vérifié qu’ils n’allaient pas causer un désastre, et comme on ne peut pas tout prévoir, être vigilant, ensuite, quitte à les retirer très vite si un problème survient. Nous aurions dû le faire pour les farines animales, nous devons le faire pour les insectes.
Changement de régime(s) ?
Le prétexte trouvé pour remplacer les protéines de viande par celles des insectes est l’écologie, car l’élevage de bovins émet des gaz à effet de serre. Ce serait aussi une alimentation plus « durable » puisque demandant moins de surface agricole (1,2,4). Il est vrai qu’élever des insectes coûte bien moins cher et demande peu de terrain. Quelque part l’argent est toujours le nerf de la guerre, même quand il s’agit de Green Washing. Est-ce à dire que les starts-up qui gravitent autour de la commission européenne n’ont trouvé que ce moyen pour s’ouvrir un marché, car ils ne parviennent pas à vendre leur production directement, notamment via le réseau des magasins bio ?
À terme le but inavoué serait donc de nous habituer peu à peu à cet ajout de protéines dans les céréales puis les substituer à celles que nous prenons sous forme de viande (4).
Afin de nous rassurer il nous est doctement expliqué que des insectes sont déjà consommés en Afrique et en Asie (4). Soit, et alors ? Devons-nous pour autant jeter aux orties ce qui fait le succès de la gastronomie française. Alors même que nous venons de faire inscrire la baguette de pain au patrimoine immatériel de l’UNESCO, allons-nous la dégrader avec des grillons ou des vers ? Quoi qu’il en soit, le consommateur doit disposer d’une information fiable, y compris sur la viande bovine et ovine. En effet des herbivores n’ont pas à être nourris avec des protéines animales. Aussi devrions-nous exiger un label « sans insectes ajoutés » comme il en existe un pour le gluten et les OGM.
Liste des produits concernés :
- Pains, biscuits secs et gressins, barres de céréales, biscuits, confiseries et chocolats
- Plats surgelés et frais préparés
- Produits secs à base de pâtes
- Sauces
- Produits transformés à base de pommes de terre, de légumineuses et légumes, pizzas et produits à base de pâtes.
- Lactosérum en poudre
- Substituts de viande
- Soupes
- Préparations à base de farine de maïs
- Fruits à coque et oléagineux
- Fritures
- Viande préparée
- Bière
Sources
- https://ffpidi.fr/qui-sommes-nous#:~:text=La%20FFPIDI%20est%20la%20Fédération,et%20international%20liés%20aux%20insectes.
- https://ffpidi.fr/consommation-dinsectes-en-europe-autorisation-pour-lalimentation-humaine-et-nouvelle-espece-homologuee-en-nutrition-animale
- https://pitchbook.com/profiles/company/222019-03#overview
- https://france.representation.ec.europa.eu/informations/nouveaux-aliments-le-grillon-domestique-autorise-la-consommation-dans-lue-2022-02-11_fr
- https://myinsect.wordpress.com/2017/04/26/les-problemes-medicaux/
- https://www.intercereales.com/quest-ce-quune-cereale
- www.reponsesbio.com/la-farine-de-grillons-debarque-dans-les-preparations-bio/
- www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6613697/
- https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/la-future-plus-grande-usine-dinsectes-au-monde-obtient-un-nouveau-pret-du-credit-agricole-1151421
- https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2022/09/23/proteines-a-base-d-insectes-le-fonds-souverain-qatarien-mene-la-levee-de-250-millions-d-euros-de-la-jeune-pousse-francaise-innovafeed
- https://www.challenges.fr/start-up/ces-trois-pepites-de-la-french-tech-qui-font-leur-nid-dans-lelevage-dinsectes_829665
Image par Alexandra_Koch de Pixabay
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