Depuis la nuit des temps, on utilise le bois comme source d’énergie, mais les temps éclairés d’aujourd’hui lui offrent de nouvelles perspectives, certaines baroques et défiant le bon sens. Comme la fausse oronge, champignon hallucinogène et hautement toxique, mais qui affiche les plus beaux atours, la fausse écologie peut sérieusement malmener une nature, qu’elle affirme pourtant protéger.
L’appel (au secours) de la forêt
Au motif que brûler de la biomasse serait sans effet sur le climat, on s’autorise des coupes claires, voire des tabula rasa dans nos forêts, pour, entre autres, produire de l’électricité avec des rendements ridicules. On oublie ainsi, volontairement, que laisser les arbres en place et mieux, les multiplier, serait beaucoup plus judicieux, puisque constituant l’un des puits de carbone efficaces, qu’il faut accroître autant que possible et sans tarder, compte tenu des inerties naturelles.
A l’inverse, avec ce faux sésame de la neutralité carbone, on prélève indument une proportion toujours croissante de nos forêts, pour des mésusages inconséquents. A Saucats, commune de Gironde, on projette d’installer 1 GW de panneaux solaires, c’est gigantesque, mais conforme aux orientations de la PPE (1).
Enfin, diront certains, d’autant qu’en matière d’EnRs, la France serait en retard !
Peu importe qu’on ne sache pas désigner le référentiel crédible qui atteste que nous soyons à la traîne, hors les constats faits chez nos voisins, dont l’équation énergétique n’a rien à voir avec la nôtre, invalidant toute comparaison sérieuse.
On rapproche également ce chiffre de 1GW, de la capacité d’un réacteur nucléaire (par exemple, l’un de ceux de la centrale du Blayais : 4 X 0,9 GWe, situé en bordure de Gironde). Mais un tel réacteur délivre en continu ce qu’on lui demande, souvent le maximum, alors que l’installation solaire reste soumise…à l’ensoleillement. Evidence qui réduit drastiquement sa capacité à environ 15% de ce qu’elle aurait produit, en fonctionnant continument à sa valeur de crête. Par contre, cette puissance de crête dimensionne les liaisons du champ solaire au réseau électrique, investissement lourd pour des conditions très rarement atteintes.
Les pins des Landes, qu’on abat
Magie des chiffres, pour offrir très occasionnellement 1 GW = 1000 MW de puissance électrique, on va devoir raser 1000 ha de forêt ! Certes, le Département de la Gironde en est richement doté, mais cette installation photovoltaïque, qui devrait réjouir les écologistes, les fait regimber, eux et d’autres, car on coupera des arbres, beaucoup d’arbres…gestes hautement symboliques.
Pourtant, cette prévention apparaît illogique dans leur schéma de valeurs, puisqu’on va pouvoir transformer ces arbres, partie en bois d’œuvre, mais aussi partie en pellets qui alimenteront les poêles à bois, ou d’autres installations vert-vertueuses. En effet, grâce à un processus qui revendique la neutralité carbone, ils produiront une énergie qu’on ne fabriquera pas autrement, avec des sources fossiles, voire pire, avec du nucléaire.
A priori, c’est donc un schéma « gagnant-gagnant » et ce, d’autant qu’on promet de replanter davantage d’arbres que ceux qui auront été sacrifiés, pour cette juste cause photovoltaïque.
On devrait même qualifier l’opération de « gagnant-gagnant-gagnant » puisque comme dit, on trouve déjà profit à utiliser le bois pour produire de l’énergie, indépendamment de l’usage fait des parcelles rasées…à Saucats, au moins, cet usage serait-il écologiquement certifié, d’autant qu’on prévoit également d’installer des électrolyseurs pour produire de l’hydrogène, la molécule à la mode.
Malgré les raisonnements qui qualifient positivement l’usage du bois pour produire de l’énergie, seul en effet, dans les publications officielles à se voir attribuer la note « zéro émission », certains peinent à croire, en voyant tomber les arbres, que c’est l’amorce d’une boucle qui se bouclera.
Certes, les impressions, voire ici les émotions, contredisent souvent la réalité physique, on le sait, au moins depuis Galilée et la chute des corps. Toute cette contestation ne serait donc que transitoire et devrait vite s’évanouir, avec un peu de pédagogie, c’est du moins ce qu’espèrent les porteurs du projet.
Mantra menteur ?
Mais malgré ce dogme réitéré du schéma vertueux de la neutralité carbone, rien n’empêche de reparcourir le cycle avec un œil critique, et de s’interroger plus avant.
Si l’objectif est bien la lutte contre les changements climatiques, c’est-à-dire la réduction des émissions de GES, alors comment la filière « bois-énergie » se situe t-elle par rapport à cette finalité ?
Il est commode de dire que toute molécule de CO2 produite lors de la combustion du bois (et plus largement, de la biomasse) ira trouver, quelque part sur la planète, la plante ou l’arbre dont, via la photosynthèse, elle contribuera à la croissance, schéma sur lequel se base l’affirmation de neutralité.
« C’est un peut court jeune homme ! » aurait dit Cyrano, et ce, pour plusieurs raisons :
On peut d’abord faire le constat que toute molécule de CO2 en liberté dans l’atmosphère (quelle que soit sa source) ne trouve pas forcément son puits, puisque la teneur en CO2 augmente globalement.
On se dit ensuite, trivialement, que cette situation doit être le résultat conjugué de l’accroissement des sources et de l’insuffisance des puits (nombre et efficacité).
On se dit encore, que couper des arbres, c’est d’abord supprimer des puits, sachant qu’il faut un quart de siècle pour que leurs remplaçants (si on y veille, et même si on les multiplie), soient pleinement efficaces, alors que nous sommes lancés dans une course contre la montre.
On se dit, de plus, que ce CO2 libéré par la combustion contribue à saturer des puits existants, déjà en nombre insuffisant.
On se dit enfin que le compte n’y est pas… surtout en posant l’évidence que dans la lutte contre les émissions, un arbre coupé est moins efficace qu’un arbre en croissance et que plus ceux-ci seront simultanément nombreux, plus ils joueront leurs rôles de puits de carbone. On a donc besoin d’augmenter la biomasse et spécifiquement les forêts, autant qu’on le peut, et qu’a contrario, prélever régulièrement un tribut conséquent, va dans le mauvais sens.
Abus manifestes
L’actualité illustre, trop bien hélas, cette dérive délétère, ainsi, l’unité 5 de la centrale thermique de Gardanne, site qui brûlait jadis la production des « Houillères de Provence » a été reconvertie pour être alimentée au bois (sans cogénération).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour une puissance électrique de 150 MW (et une production d’électricité annuelle escomptée d’environ 1TWh), il faut brûler 850 000 t de bois /an, largement au-delà de ce que pourrait fournir l’exploitation raisonnable et même excessive, des ressources forestières de la région (bien que des stockages aient été réalisés, les crêtes pelées de certains massifs de la région, en attestent).
Pour compenser le déficit attendu, il fallait importer des bois d’Amérique, via le port de Marseille, schéma qui a provoqué immédiatement une levée de bouclier, si bien qu’il est désormais prévu que le bois nécessaire vienne d’Europe…belle valeur ajoutée, si on imagine les norias de camions grumiers.
De plus, le site de Gardanne n’est pas le seul à vouloir se nourrir des mêmes massifs forestiers, puisqu’une centrale électrique alimentée à la biomasse (180 000 t de bois /an pour 21,5 MWe et une production électrique d’environ 0,15 TWh) fonctionne déjà à Brignoles, à 50 km de là, depuis quelques années.
A l’échelle, le projet de Gardanne parait jouer « petits bras » si on le compare à la centrale de Drax (RU, Nord Yorkshire), jadis la plus grosse centrale au charbon d’Europe (2), et qui a été partiellement reconvertie pour bruler de la biomasse. En effet, le site a besoin de 7,5 millions de tonnes de biomasse par an, chiffre superlatif, dont 80%, sont importés des forêts de l’Est des USA, ce qui n’est pas sans conséquences sur ces massifs et fait sérieusement regimber localement.
A Drax, on a installé des dispositifs pour la capture du CO2, ce qui invaliderait le dogme du cycle neutre, mais l’exploitant se justifie en affirmant rechercher ainsi un bilan CO2 globalement négatif…l’enfer est vraiment pavé de bonnes intentions !
Au final,
Un bilan global de la filière « bois-énergie » doit aussi intégrer l’émission de polluants produits par la combustion de la biomasse, et lorsqu’on produit de l’électricité avec du bois (au passage quelle drôle d’idée !), le très-très faible rendement du processus, à lui seul, en montrerait bien l’inanité, hors les autres arguments lourds déjà développés supra.
- : PPE = Programmation Pluriannuelle de l’Energie (déclinaison réglementaire de la loi LTECV de 2005)
- : La centrale de Drax comprenait six unités charbon de 660 MWe, quatre ont été transformée pour la biomasse, et les deux dernières seront remplacées par des cycles combinés gaz. 2021 devrait être l’année de l’éradication définitive du charbon du site, 2025 pour l’ensemble du RU.
Image par adrian schüpbach de Pixabay
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