Malgré la COVID-19, nombreux sont ceux à Bruxelles – y compris une alliance pour la relance verte au Parlement européen et 13 ministres de l’environnement de l’UE – qui font pression sur la Commission européenne (CE) pour qu’elle poursuive la mise en œuvre rapide de sa stratégie Pacte vert. Le vice-président de la CE insiste dans divers journaux internationaux sur le fait que la crise de la COVID-19 démontre la nécessité de faire évoluer notre société vers son plan d’action Green Deal.
Le Green Deal de l’UE et la neutralité carbone : une pure utopie ?
Rappelons brièvement que le Green Deal de l’UE impose une réduction drastique des émissions de CO2 d’ici 2030 et une « neutralité carbone » d’ici 2050. Derrière cette expression, il y a l’espoir que la majeure partie de l’énergie utilisée en 2050 sera renouvelable et que l’utilisation des émissions de CO2 générées par le peu de gaz naturel qui sera toléré sera piégée et stockée sous terre par une technologie de capture du carbone. Par conséquent, l’UE prévoit d’atteindre des émissions de CO2 proches de zéro dans les 30 prochaines années. L’inconvénient est que, bien que les énergies renouvelables intermittentes aient été fortement encouragées par les organisations internationales et les pays depuis près de 50 ans (depuis le premier choc pétrolier), elles ne représentent que 3,1 % de la demande mondiale et 2,5 % de la demande d’énergie primaire de l’UE. Il ne faut pas être un expert pour comprendre que le passage à 100 % n’est pas seulement un défi, mais une pure utopie. Seule une réduction partielle sera possible, et ce à un coût élevé.
Les modèles économiques du passé et la crise actuelle montrent que la décroissance peut effectivement réduire la consommation d’énergie et contribuer à la réduction des émissions de CO2. Après la période de confinement imposée pour résister à la COVID-19, il est probable qu’une telle voie basée sur la décroissance ne sera pas la voie acceptée pour réaliser le Green Deal. L’histoire de l’énergie montre clairement que l’énergie nucléaire a apporté une contribution majeure à la réduction des émissions de CO2 ; même le GIEC de l’ONU reconnaît que l’énergie nucléaire est une solution valable pour la décarbonation. Pourtant, l’UE ne mentionne pas du tout l’énergie nucléaire dans sa stratégie verte.
François Mitterand et l’article 194
Dans le passé, il n’était pas question d’empiéter sur la souveraineté des États membres en matière de sources d’énergie primaire. Lors de la négociation du Traité de Maastricht, l’Italie, la Belgique et la CE ont proposé l’introduction d’un chapitre sur l’énergie dans le nouveau Traité. Cependant, en arrivant à Maastricht, François Mitterrand, alors Président de la République française, a fait retirer ce chapitre du projet de Traité, arguant qu’il n’était pas question de laisser la décision sur l’avenir du nucléaire français aux fonctionnaires de Bruxelles. Par la suite, notamment à la suite des crises gazières entre la Russie et l’Ukraine en 2006 et 2009, les mentalités ont changé et une conférence interministérielle a réussi à introduire un article sur l’énergie dans le Traité de Lisbonne.
L’article 194, paragraphe 1, de l’actuel Traité de l’UE autorise une série de dispositions en matière de politique énergétique, telles que la promotion des énergies dites renouvelables et de l’efficacité énergétique, la création d’un marché unique de l’énergie et le développement d’infrastructures énergétiques interconnectées. Mais toujours dans l’esprit de François Mitterrand, l’article 194(2) stipule clairement que le choix du bouquet énergétique reste de la responsabilité des États membres.
Green Deal Vs Nucléaire
Aujourd’hui, le Green Deal semble faire tout son possible pour ne pas favoriser l’énergie nucléaire. Les règles de contrôle de Bruxelles sur les aides d’État dans le domaine de l’énergie et de la protection de l’environnement, connues sous le nom de lignes directrices, permettent aux projets d’énergie renouvelable de bénéficier de subventions. Cependant, ces règles ne couvrent pas l’énergie nucléaire, ce qui rend difficile la mise en place de contrats de garantie de revenus pour la production d’électricité des futurs réacteurs nucléaires à construire. Plus explicitement, l’énergie nucléaire n’a pas été incluse dans la « taxonomie » européenne par le groupe d’experts techniques sur le financement durable, qui établit une liste de technologies qualifiées de « durables » pour les investisseurs, les marchés financiers et les banques publiques. Le 16 juin 2020, le Parlement européen a adopté cette position sans mentionner aucune technologie, mais il reste que la taxonomie de la Commission l’exclut. Bien entendu, ces dispositions anti-nucléaires n’ont pas force de loi, elle ne sont pas de jure.
Lettre du ministre polonais du climat
Cette difficulté n’est pas ignorée par les institutions de l’UE. Étant donné que 16 États membres exploitent ou ont annoncé la construction d’installations nucléaires, le Conseil européen, dans ses conclusions du 12 décembre 2019, « reconnaît la nécessité […] de respecter le droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique et de choisir les technologies les plus appropriées. Certains États membres ont indiqué qu’ils utilisent l’énergie nucléaire dans le cadre de leur bouquet énergétique national« . Le 22 juin 2020, le ministre polonais du climat – et non de l’énergie – a écrit à trois commissaires européens pour attirer leur attention sur la contradiction entre la volonté de réduire les émissions de CO2 et l’exclusion de l’énergie nucléaire : « Nous avons été surpris que l’énergie nucléaire ne soit pas prise en compte dans les récentes politiques de l’UE, y compris le paquet « Green Deal », alors que sa place dans la taxonomie de l’UE est toujours remise en question. […] Par conséquent, nous demandons à la Commission européenne, en tant que gardienne des Traités, y compris le Traité Euratom, de veiller à ce que la politique énergétique et climatique de l’UE soit élaborée de manière neutre sur le plan technologique et fondée sur des preuves« . Bien que le langage soit diplomatique, le message est très réfléchi : la Commission européenne ne respecte pas de facto le Traité.
Les grands du monde misent sur le nucléaire
Entre-temps, les États-Unis ont parfaitement compris le danger que la Chine et la Russie dominent la future production d’électricité nucléaire. C’est pourquoi, une « Stratégie pour restaurer le leadership américain dans le domaine de l’énergie nucléaire » a été adoptée le 23 avril 2020 par les deux partis américains. Ils ont réalisé qu’ils ont perdu leur position de leader mondial dans le domaine de la technologie nucléaire au profit d’entreprises contrôlées par les gouvernements russe et chinois. Ils reconnaissent la sous-exploitation de leur production de 1,2 million de tonnes d’uranium, qui ne représente que 7% des besoins de leurs 98 réacteurs. Le reste est importé, notamment de Russie, ce qui constitue un inconvénient pour la sécurité de l’approvisionnement. Par la même occasion, les États-Unis ont décidé d’encourager la recherche pour l’innovation technologique (Génération IV, SMR, etc.). En mars dernier, le Pentagone a signé trois contrats pour la conception de microréacteurs nucléaires, dans le cadre d’un plan de production d’énergie nucléaire pour les États-Unis sur leur terrain d’intervention. Le « Project Pele » prévoit un prototype de 1 à 5 mégawatts qui sera déployé dans des zones où la Défense américaine aura besoin d’une électricité abondante et sûre.
Un green deal en contradiction avec le traité sur la charte de l’énergie
Inversement, les énergies renouvelables sont et seront fortement encouragées par tous les moyens et toutes les institutions de l’UE. La Banque européenne d’investissement a annoncé son intention de soutenir par mille milliards d’euros d’investissements dans l’action en faveur du climat et de la durabilité environnementale ― lire « énergies renouvelables intermittentes » ― au cours de la période 2021-2030. Le prochain cadre financier pluriannuel contribuera de manière significative à l’action en faveur du climat ― lire encore « énergies renouvelables intermittentes ». La CE a annoncé que ses prochaines propositions viseront à faciliter 100 milliards d’euros d’investissements par le biais du « mécanisme de transition équitable« . Ces efforts doivent se poursuivre après 2030 dans un seul but : soutenir les énergies renouvelables intermittentes.
Cela impose en effet ― même si çà ne ressort pas des textes légaux ― les énergies renouvelables intermittentes. N’est-ce pas, en définitive, imposer de facto le choix du bouquet énergétique ? Est-ce compatible avec l’article 194, paragraphe 2, du Traité de Lisbonne ?
En outre, le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) signé en 1994, également par l’UE et Euratom, vise à protéger les investissements étrangers dans les combustibles fossiles. Il encourage l’efficacité énergétique, mais pas l’utilisation des énergies renouvelables intermittentes. De loin, ses 53 signataires ne sont pas tous intéressés par le Green Deal et son objectif d’abandonner l’utilisation des combustibles fossiles. Par conséquent, le Green Deal semble être en contradiction avec le TCE. Il s’agit là d’une difficulté juridique supplémentaire et la solution simple serait que l’UE et ses États membres se retirent collectivement du TCE. Cela aura de fortes conséquences pour de nombreux pays, y compris les anciennes républiques de l’Union soviétique qui exportent du pétrole et du gaz. De toute évidence, il s’agit d’un imbroglio juridique.
Récemment des parlementaires européens socialistes et écologistes ont estimé que « Le maintien de la protection des investissements dans les combustibles fossiles augmente considérablement le coût de la transition énergétique » et se préoccupent des plaintes qui s’accumulent pour le non-respect de ce traité international et veulent dénaturer complètement ce traité : « il faudrait exclure la protection des énergies fossiles du texte. » et reconnaissent que ce traité n’est pas « compatible avec nos engagements en matière de climat ». Cela revient à dire que le Green Deal est bel et bien incompatible avec le traité de la charte de l’énergie et le restera du moins dans ses effets car si les parlementaires semblent ignorer ou ne le disent pas, comme l’explique Andrei V. Belyi « le TCE garantit que tout investisseur dans l’étendue géographique du traité a le droit de protéger ses actifs investis, même jusqu’à 20 ans après le retrait d’un État du traité ». Gageons que les montants en jeux considérables ne permettront pas d’avancer rapidement sur la modification du traité. Si l’UE ne veut plus du tout entendre parler d’énergies fossiles elle devra quitter ce traité ; ce qui prendra du temps et en y ajoutant les 20 ans on arrivera presque en 2050. Vous avez dit « monde de demain » ? Rien ne changera !
Tout ce qui concerne le Green Deal est décidé si rapidement. Serait-il utile de faire une pause afin de permettre à des juristes n’appartenant pas aux institutions européennes de vérifier que la mise en œuvre du Green Deal est conforme au Traité de Lisbonne et de pondérer correctement un éventuel retrait du Traité sur la Charte de l’Énergie ?
Le dernier ouvrage de Samuele Furfari est un livre de 1200 pages en deux volumes intitulé « The changing world of energy and the geopolitical challenges« . Voir www.furfari.wordpress.com
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