Au début du XIXe siècle, s’appuyant sur un grand nombre de données concernant la croissance des ressources naturelles et la croissance démographique, Thomas Malthus annonçait que de grandes famines et autres catastrophes s’abattraient sur l’humanité si elle dépassait le milliard d’individus. Ses conclusions découlaient d’un raisonnement parfaitement rigoureux d’un point de vue mathématique, mais, comme on le sait, se révélèrent fausses dans le monde réel. Malthus avait exclu de ses calculs la capacité de l’être humain à faire des inventions et des découvertes scientifiques, et à redéfinir ainsi, à chaque découverte, la notion même de ressource dont dépend l’économie physique de la société à un moment donné. Il n’avait pas vu que la révolution industrielle allait accroître considérablement la capacité de la Terre à faire vivre davantage de gens et dans des conditions relativement meilleures : le futur ne se déduit pas des données du passé.
Cette maudite créativité humaine semble cependant poser des problèmes à des idéologues de toutes les époques : chassez Malthus, il revient au galop sous de nouvelles formes. Ainsi, au milieu du XXe siècle, Norbert Wiener, le pionnier de l’Intelligence artificielle (IA), écrivait dans Cybernétique et société : « (…) les inventions doivent être presque certainement considérées, dans un certain sens, fortuites et accidentelles. Ce sont des événements trop rares dans un système pour que nous puissions lui appliquer sans défiance des notions comme celles de la probabilité et de la statistique. »
A peu près à la même époque, Aldous Huxley s’efforçait quant à lui de nous montrer, avec son Meilleur des mondes, que la créativité humaine serait responsable des guerres, et que face à la perspective d’une extinction de l’humanité par une guerre nucléaire, un moindre mal serait peut-être de mettre l’art et la science sous le contrôle d’une élite politique et de constituer une société d’imbéciles heureux. Ce qui est évidemment cohérent avec l’intérêt d’Huxley pour les drogues et leur diffusion auprès de la jeunesse…
Il n’existera certainement jamais de définition formelle satisfaisante de l’intelligence et de la créativité, bien que l’on puisse concevoir que ces deux notions sont étroitement liées, la seconde étant sans doute la caractéristique fondamentale de la première. De tout temps, l’être humain a inventé des machines pour effectuer automatiquement à sa place, et plus efficacement que lui, des tâches relativement « stupides ». Et ceci lui a permis de disposer de davantage de temps et de « cerveaux disponibles » pour s’occuper d’activités réellement créatrices. L’IA devrait donc à son tour être vue comme un assistant nécessaire au progrès humain.
Cependant, certains pensent que la créativité elle-même pourrait être automatisée. Compte tenu de la capacité des ordinateurs à traiter des données et des calculs à des vitesses incommensurablement plus élevées que l’être humain, ils en déduisent que l’IA dépassera un jour l’intelligence humaine. Ray Kurzweil situe même cette « Singularité » vers 2045. Une telle perspective n’est évidemment pas faite pour rassurer nos jeunes millennials, déjà très torturés par l’éco-anxiété et autres peurs millénaristes. Pour la bonne santé mentale de notre société, il serait donc souhaitable de réfuter ce point de vue. Malgré la confusion qui règne dans la culture actuelle autour de la notion de créativité, essayons d’en ébaucher une approche en partant d’exemples dans l’art et dans la science.
Platon contre Aristote
Commençons par l’art. On entend dire aujourd’hui que les IA génératives sont capables de produire des œuvres d’art et peuvent même rivaliser avec les plus grands artistes de l’histoire. La Figure 1 en donne une illustration bien connue. S’y côtoient un portrait réalisé par Rembrandt et un portrait présentant certaines similarités, mais différent du précédent, réalisé par une IA générative. Le portrait réalisé par l’IA n’est la copie d’aucun autre portrait existant, mais l’IA a été capable « d’apprendre » afin de « créer » un nouveau tableau « dans le style » de Rembrandt.
L’IA aurait-elle donc déjà dépassé l’artiste ? Il serait prématuré de tirer une telle conclusion à partir de cet exemple. En effet, n’importe quel humain normalement cultivé est capable de voir que le tableau de Rembrandt est celui de droite qui représente un homme d’âge mûr, tandis que l’IA a produit le portrait du jeune homme de gauche. Si l’on peut émettre ici un jugement subjectif, on dira que le premier semble plus « vivant » et le second plus « figé ». Certes, nous répondra-t-on, mais ce résultat ne nous montre-t-il pas que nous ne sommes plus très loin de produire une œuvre qui tromperait même des spécialistes de Rembrandt ?
Peut-être. Mais en quoi ce résultat pourrait-il être qualifié de création artistique ? Le fait que la machine ait analysé les pixels des images de tableaux de Rembrandt ainsi que leurs relations entre eux, et partant de là, ait su produire une image « dans le même style », signifierait plutôt qu’il n’y a pas ici de véritable création originale.
De plus, il faut reconnaître que nous ne nous sommes pas encore interrogés sur ce qui fait qu’une œuvre puisse être qualifiée d’« artistique ». Éluder cette question aurait pour conséquence fâcheuse de pouvoir appeler « œuvre d’art » à peu près n’importe quoi. Limitons-nous ici cependant à illustrer l’idée que l’important dans une œuvre d’art ne se trouve pas dans ce qu’elle montre (dans l’effet sensuel – visuel ou auditif – qu’elle produit), mais dans ce qu’elle suggère. Pour cela, intéressons-nous à l’une des périodes les plus révolutionnaires de l’histoire de la pensée occidentale : la Renaissance du XVe siècle.
La Renaissance se caractérise par la redécouverte des idées platoniciennes dans une Europe dominée jusque-là par la philosophie aristotélicienne. Pour ne pas être surpris par ce qui va suivre, il faut bien réaliser qu’à cette époque-là, et même jusqu’à très récemment dans notre histoire, les différents domaines de la pensée humaine étaient étroitement liés les uns avec les autres, qu’il s’agisse de science, d’art, de politique ou de religion. L’une des figures-clefs de la Renaissance, le cardinal Nicolas de Cues, fut non seulement un grand diplomate, mais il peut également être considéré comme un fondateur de la science moderne.
Pour Aristote, la science consiste à faire des observations des objets de la connaissance et à les classifier. Pour cela, il développe la logique et s’appuie sur le Principe du tiers exclu selon lequel soit une proposition est vraie, soit la négation de cette proposition est vraie. Deux propositions contraires ne peuvent donc pas être vraies simultanément : la science d’Aristote n’aime pas les ambiguïtés.
La révolution platonicienne entreprise par Cues s’appuie quant à elle sur le Principe de la coïncidence des opposés. Selon ce principe, deux propositions peuvent paraître contradictoires à un certain niveau de pensée, mais ne plus l’être à un niveau de pensée relativement supérieur au précédent. Le passage du niveau inférieur au niveau supérieur, qui permet de résoudre l’apparente contradiction entre les deux propositions, constitue ce que nous pouvons appeler plus simplement une découverte. Ainsi, chez Cues, l’apparition d’un paradoxe ou d’une ambiguïté contredisant nos dogmes établis n’est pas vécue comme une menace, mais comme une chance : c’est le signe qu’il y a quelque chose de nouveau à découvrir.
En d’autres termes, Aristote s’intéresse aux données dites objectives, tandis que Cues s’intéresse aux processus de changement.
Visualiser l’invisible
Ceci étant posé, nous allons maintenant examiner une fresque de Piero della Francesca, peintre mais également mathématicien et géomètre, l’un des grands découvreurs de la perspective. La Figure 2 représente la fresque intitulée La Résurrection. On peut penser qu’une IA ayant appris les règles de la perspective conclurait logiquement que cette œuvre est ratée car elle comporte manifestement une faute grossière. À quelle hauteur se trouvent les yeux du spectateur hypothétique qui contemple cette fresque ? Si l’on ne considère que le personnage du Christ qui regarde droit devant lui, on pensera que les yeux du spectateur se trouvent à la même hauteur que ceux du Christ. Oui, mais si l’on ne considère que les soldats qui dorment, on a plutôt l’impression que la margelle du tombeau est vue du dessous. On pensera alors que les yeux du spectateur se trouvent à la hauteur des dormeurs.
Contradiction ! Un aristotélicien serait tenté d’ordonner au peintre de revoir sa copie. Pourtant, Della Francesca était un maître incontestable en matière de perspective. Tout être humain qui réfléchirait un tant soit peu devrait bien admettre que cette « faute » a été commise volontairement. Le spectateur se trouve alors dans une situation inconfortable où il ne sait pas s’il doit se trouver à la hauteur du Christ ou à la hauteur des dormeurs.
On peut cependant essayer de deviner l’intention du peintre. Il place son spectateur face à la nécessité de prendre un parti entre deux choix possibles : suivre ou non l’exemple du Christ. Le sujet fondamental de l’œuvre pourrait donc bien toucher à la question philosophique du libre-arbitre. Une idée aussi abstraite ne se représente pas directement, mais peut se suggérer par une ambiguïté qui résulte de la coexistence de deux éléments visuels formellement contradictoires, comme c’est le cas ici. L’idée engendrée par la pensée du peintre est donc comprise par la pensée du spectateur, bien qu’elle ne se trouve pas dans la peinture elle-même.
Ainsi, ce n’est pas en « apprenant » à traiter des données visuelles selon les méthodes actuelles qu’une IA pourrait reconnaître ce genre d’idée, et encore moins trouver une manière originale de l’exprimer qui n’ait pas déjà été découverte par un être humain.
Pour aller un peu plus loin dans la même voie, intéressons-nous maintenant à un autre grand peintre et scientifique de la Renaissance, Léonard de Vinci, et à son célèbre Saint Jean-Baptiste (voir Figure 3).
A première vue, cette œuvre représente un jeune homme souriant avec ironie au spectateur du tableau, et qui semble indiquer, de son index droit pointé vers le haut, une croix qu’il tient de sa main gauche. Dans la tradition chrétienne, Jean-Baptiste est le prophète qui reconnaît le fils de Dieu en la personne de Jésus de Nazareth. Ceci paraît cohérent avec ce jeune homme dont le doigt désigne la croix, bien que l’on ait peut-être pu s’attendre à ce que Jésus figure également sur cette scène, puisque c’est lui que Jean-Baptiste est censé désigner.
Il y a cependant ici encore une petite ambiguïté. Le doigt de Jean-Baptiste désigne-t-il réellement la croix, ou n’est-il pas plutôt pointé vers quelque chose qu’on ne voit pas et qui se trouverait au-dessus du tableau ? Nul besoin d’être un grand expert du christianisme pour imaginer que ce quelque chose pourrait très bien être Dieu (qui d’ailleurs, pour les chrétiens, fait un avec le Christ). Comme on le sait, en effet, Dieu est par définition celui qui ne peut pas être nommé ni représenté, puisqu’il est réputé sans limite. Or donner un nom ou une représentation serait déjà, en soi, imposer une limite… Léonard a donc pris le parti de nous suggérer cette idée d’un Dieu sans limite, ce qui implique ici de ne pas le représenter directement.
Diable ! Le véritable sujet du tableau se trouverait donc, ici encore, en dehors du tableau ? L’esprit humain peut saisir immédiatement cette idée, qui se manifeste, comme toute découverte, avec un certain effet de surprise. Mais si l’apprentissage d’une IA s’effectue à partir d’images, comment celle-ci pourrait-elle déduire que le sujet de l’image qu’on lui présente ne se trouve pas sur cette image ?
Une petite parenthèse concernant les mathématiques et présentant certaines similarités avec ce qui précède ne sera pas inutile ici. Depuis le calcul différentiel de Leibniz et la découverte des transfinis par Cantor, les mathématiciens ont développé des méthodes permettant de travailler sur différentes formes d’infini. On peut cependant constater avec une certaine ironie, qu’il n’existe aucune définition positive de la notion d’infini. Comme son nom l’indique, l’infini est la négation du fini. Cela ne signifie pas, bien sûr, que l’on ne puisse rien découvrir sur l’infini. L’être humain a naturellement une idée de l’infini, et c’est justement ce qui le pousse à vouloir faire des découvertes au-delà de ce qu’il connaît déjà : il est persuadé qu’il existe toujours quelque chose d’inconnu qu’il peut connaître. Aristote avait décrété que l’infini était hors de portée de l’intelligence humaine ; Cues, Leibniz et Cantor ont montré qu’il se trompait.
Mais comment une IA, qui ne peut que traiter des données clairement définies, pourrait-elle « découvrir » l’idée d’infini ?
Pour en revenir à l’art, nous dirons en résumé que dans leurs œuvres, les grands artistes ne cherchent pas à produire simplement des effets sensuels comme des choses importantes en soi, mais qu’ils utilisent ces effets – ambiguïtés visuelles en peinture, dissonances en musique, métaphores en poésie, etc. – comme supports pour faire naître dans l’esprit de leur public des idées qu’ils ont conçues et qui ne peuvent s’analyser comme de simples sensations.
C’est ce que le grand chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler exprimait quand il disait que la musique ne se trouve pas dans les notes, mais entre les notes.
Des hypothèses qui révolutionnent la science
Passons maintenant à la science. Une IA peut-elle faire une découverte scientifique ? C’est la question qui agite tous ceux qui redoutent la Singularité de Kurzweil. Il faut différentier ici deux types de découvertes scientifiques radicalement différents. La plupart d’entre elles s’effectuent par induction/déduction ; elles ne remettent pas en question les axiomes des théories déjà existantes. En revanche, un petit nombre de découvertes provoquent des révolutions scientifiques, car elles contredisent les théories préétablies. Celles-ci ne peuvent donc pas s’effectuer par induction/déduction.
Donnons un exemple. Au milieu du XIXe siècle, l’astronome Urbain Le Verrier découvrit la planète Neptune dans le Système solaire. Un certain nombre d’irrégularités inexpliquées avaient été constatées dans le mouvement de la planète Uranus. Se basant sur la théorie newtonienne de la gravitation universelle qui commençait déjà à avoir du plomb dans l’aile à son époque, Le Verrier imagina par induction qu’il devait exister une autre planète inconnue à l’origine de ces perturbations. Il calcula les spécifications de la trajectoire de cette planète hypothétique, et les astronomes constatèrent qu’elle se trouvait bien là où il l’avait prédit.
Appliquant la même méthode de pensée, Le Verrier chercha une planète inconnue dont l’existence pourrait expliquer les anomalies de la trajectoire de Mercure. Échec ! Cette planète inconnue n’existe pas. Soixante-dix ans après la découverte de Neptune, les irrégularités de la trajectoire de Mercure fournirent une confirmation retentissante de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Mais la découverte de cette nouvelle théorie qui mettait par terre toute la vision d’espace absolu et de temps absolu inhérente à la physique newtonienne, fut le produit d’une hypothèse révolutionnaire et pas d’une simple induction.
Les IA du futur seront-elles capables de faire des découvertes par induction/déduction ? Peut-être. Mais l’exemple qui suit devrait nous donner une indication qu’avec les principes sur lesquels elles reposent actuellement, elles ne pourront jamais effectuer de véritable révolution scientifique.
La Figure 4 représente la célèbre classification périodique des éléments chimiques établie par Dimitri Mendeleïev. En lisant ce tableau de gauche à droite et de haut en bas, on décrit la liste de tous les éléments chimiques ordonnés par masse atomique croissante. De plus, si l’on considère les colonnes du tableau, on constate en première approximation qu’elles regroupent chacune les éléments d’une même famille, c’est-à-dire présentant des propriétés chimiques très semblables. Il ne s’agit pas d’une périodicité parfaite au sens mathématique du terme, mais cette classification met en évidence une certaine harmonie d’ensemble dans la manière dont sont disposés tous les éléments.
Pour construire sa classification, Mendeleïev dut rassembler une énorme quantité de données issues d’expériences effectuées par les chimistes de son temps. Pour ce travail, il avait besoin de connaître avec précision les propriétés chimiques des éléments et leurs masses atomiques.
Notons que la première classification publiée par Mendeleïev date de 1869 (voir Figure 5), mais ce n’est qu’au début du siècle suivant qu’on eut la preuve expérimentale de l’existence des atomes et donc de l’existence de ce qu’on appelle « masse atomique ». Autrement dit, l’évaluation de masses atomiques par les chimistes contemporains de Mendeleïev reposait sur une hypothèse non encore prouvée. Une IA aurait-elle été capable, comme un être humain, de formuler par elle-même une telle hypothèse générale et de baser ses calculs là-dessus longtemps avant sa validation ?
Poursuivons. Il faut reconnaître que Mendeleïev n’était pas le premier à tenter une classification des éléments chimiques, mais les autres avaient échoué car ils avaient procédé différemment. La grande masse des données disponibles à l’époque faisait apparaître certaines ambiguïtés qui semblaient contredire la tentative de Mendeleïev : certains éléments n’étaient pas à la place où il aurait voulu qu’ils soient. Considérez par exemple le cobalt et le nickel (éléments 27 et 28 sur la Figure 4). Vous constatez que la masse atomique du premier est supérieure à celle du second. Et pourtant la classification périodique les fait bien apparaître dans cet ordre-là. Mendeleïev n’a pas mis en doute la pertinence des évaluations des masses atomiques faites par les chimistes de son temps. Cependant, s’il avait procédé par une simple induction, il aurait inversé les éléments des couples comme celui-là, de manière à faire disparaître les ambiguïtés et obtenir une véritable classification par ordre de masse atomique croissant. Oui, mais cela aurait détruit l’harmonie de la classification qu’il cherchait à établir.
Il a donc fait un choix typique de l’intelligence humaine : il a décidé que l’harmonie de l’ensemble était plus importante que les caractéristiques des éléments individuels, et il a maintenu l’hypothèse de sa classification, au grand dam de certains de ses collègues avec lesquels il semble avoir eu des discussions passionnées… Disons-le autrement : Mendeleïev a eu l’audace révolutionnaire de ne pas considérer les données empiriques comme des réalités objectives, mais comme des phénomènes subjectifs. Refusant d’escamoter les ambiguïtés révélées par son approche, il a compris que ces anomalies révélaient l’existence de principes physiques encore inconnus, guidant ainsi les travaux des scientifiques du futur.
Et la réalité lui donna raison. On sait aujourd’hui que les masses atomiques des éléments chimiques correspondent aux moyennes statistiques des masses atomiques de leurs différents isotopes. Au niveau du noyau atomique, les isotopes d’un élément ont le même nombre de protons, mais des nombres différents de neutrons et donc des masses atomiques différentes. La répartition inégale des isotopes dans la nature provoque certaines anomalies expérimentales comme celle du couple nickel-cobalt. Cependant, on était bien loin de soupçonner l’existence des protons et des neutrons en 1869, et on peut penser qu’avec les seules données disponibles à l’époque, une IA aurait eu quelques difficultés à découvrir la périodicité des éléments chimiques.
Et pourtant, c’est cette classification qui a finalement permis de comprendre la radioactivité et ce qui s’ensuit, comme l’existence des particules du noyau atomique. L’intelligence humaine ne s’est donc pas contentée de traiter les données du passé, mais elle a délibérément préparé le terrain pour des découvertes futures.
En effet, un grand nombre d’éléments chimiques n’étaient pas encore connus à l’époque de Mendeleïev : voyez à ce sujet les points d’interrogation sur la Figure 5 et les cases grisées sur la Figure 4. Sa classification lui a permis d’affirmer avec autorité l’existence de ces éléments encore inconnus et d’en donner par avance les caractéristiques chimiques – caractéristiques qui ont guidé par la suite les recherches de scientifiques comme Marie Curie, qui découvrit le polonium et le radium (étape clef dans l’élaboration de la physique nucléaire).
Le rire est le propre de l’homme
François Rabelais avait compris que le meilleur signe de l’intelligence d’un individu se trouve dans sa capacité à rire de la bêtise (y compris de la sienne). On rit d’une bonne blague au moment de la chute, quand on réalise soudain que le conteur nous avait entraîné jusque-là sur une fausse piste en utilisant un langage ambigu.
Dans le fond, une découverte scientifique procède de la même manière : le savant s’écrie « Eurêka » lorsqu’il réalise brusquement pourquoi les axiomes sur lesquels étaient bâtis ses raisonnements étaient faux et responsables de la perplexité dans laquelle il se trouvait face à une contradiction entre ses croyances et la réalité expérimentale. Et bien entendu, c’est un sentiment similaire que nous éprouvons lorsque nous découvrons le sens d’une ambiguïté que nous constatons dans une œuvre d’art.
Faut-il alors vraiment craindre l’avènement de la sainte Singularité ? Ou ne faudrait-il pas plutôt redouter l’abêtissement des êtres humains par une culture de masse qui tend à les rendre de plus en plus esclaves de leurs sensations immédiates ? L’IA n’est pas intelligente, mais l’usage qui en est souvent fait aujourd’hui pourrait bien nous rendre plus stupides.
Image par Alvin Hikmawan de Pixabay
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