Succès du 4ème vol test de Starship – le projet porté par Elon Musk et Space X – retour de la souveraineté spatiale européenne avec un carnet de commande plein pour Ariane 6… l’actualité spatiale est riche. Pour la commenter nous avons sollicité Francois Dubrulle : entrepreneur avec plus de trente années d’expérience dans l’industrie aérospatiale, il a fondé et dirige actuellement Qosmosys, une entreprise privée dont le but est de contribuer au développement pacifique de l’économie lunaire. Il nous présente ici son projet et a bien voulu répondre à nos questions.
The European Scientist : Vous avez fondé Qosmosys (1) dont l’objectif affiché est l’exploration spatiale en vue d’améliorer l’humanité. Pouvez-vous nous présenter votre ambition ainsi que les projets concrets sur lesquels vous travaillez ? Doit-on vous considérer comme une start-up de « l’écosystème du New-space » ?
François Dubrulle : Nous pensons que l’exploration spatiale, c’est-à-dire ce qui concerne les activités spatiales au-delà de l’orbite géostationnaire (36000 kilomètres au-dessus de nos têtes) est un espace encore inexploré dans lequel une activité économique maîtrisée et profitable peut voir le jour. Tout est encore à inventer car cette économie n’existe pas encore.
C’est donc une histoire de pionniers qui exige de la rigueur afin de relever un nombre considérable de défis techniques pour opérer des systèmes spatiaux très loins de notre planète.
Qosmosys a décidé de devenir un pionnier parmi les pionniers en s’intéressant à tous les dispositifs qu’il convient de déployer autour et sur la Lune afin de préparer cette économie. Il faut agir vite et avec bienveillance et faire en sorte que ce que l’on fait bénéficie d’abord aux habitants de la Terre.
Qosmosys pense avec Airbus des systèmes spatiaux complexes qui nécessitent un haut niveau de fiabilité car une fois dans l’espace, il faut que ca marche tout le temps. De ce fait, nous ne faisons pas partie de l’écosystème « new space » qui consacre le jetable en acceptant une approche itérative à bas coûts au depend de la fiabilité des matériels en vol. C’est impensable pour des missions lointaines.
Notre véhicule de transport, que nous appelons ZeusX (2), satisfait ces critères de fiabilité car l’échec n’est pas permis. La valeur des charges utiles qui seront déposées sur la surface lunaire sont trop coûteuses pour prendre des risques techniques et operationnels.
TES. : La semaine passée avait lieu le 4e vol de test de Starship, le vaisseau habitable que SpaceX compte envoyer sur Mars. Cette fois le propulseur a réussi non seulement à lancer l’étage supérieur vers son orbite, mais à revenir sur le sol, ce qui devrait permettre sa réutilisation. Quels sont vos commentaires sur cet exploit ? L’obstination de Musk et de ses équipes a-t-elle enfin fini par payer ?
F.D. : Je ne parlerais pas d’exploit, car SpaceX n’est pas le seul à réaliser des choses tout à fait interessantes dans cette industrie. Certes, on peut admirer les progrès continus de ce lanceur hors-normes, mais avec Starship, SpaceX fait autre chose : il captive la scène médiatique et créé une version dématérialisée du « fétichisme de la marchandise » chère à Guy Debord. C’est une situation unique dans cette industrie qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, a parfaitement les pieds sur Terre. Elon Musk est ailleurs, en recherche perpétuelle de nouveaux investisseurs susceptibles de le suivre dans une quête de Mars totalement sans objet. Quand le rêve de colonisation d’autres planètes se brisera sur le mur de la réalité, Musk laissera à ses adeptes la (di)gestion de ses propres désillusions. Puis tout le monde passera à autre chose.
TES. : Début juillet devrait avoir lieu le retour du lanceur Ariane 6. Malgré les quatre années de retard de mise en service de ce lanceur et le fait que les Allemands se plaignent du coût trop élevé du projet, Philippe Baptiste président du CNES s’est réjouit d’un carnet de commande plein et du retour de la souveraineté spatiale européenne. Partagez-vous cet enthousiasme ?
F.D. : Nous avons tous besoin de lanceurs lourds pour mieux s’arracher à la gravité terrestre. Ainsi, il est vital qu’Ariane 6 soit un succès car les ressources d’accès à l’espace fiables et puissantes restent rares. Leur maîtrise est un facteur critique pour une zone politique ou économique définie. Il me semble que les enjeux seront dans la capacité de maintien de cette ressource dans le long terme, car entretenir une machine industrielle réactive et stable est un challenge difficile, d’autant plus que l’Europe spatiale a un marché domestique et institutionnel faible comparé aux Etats-Unis ou la Chine. Il faut donc effectivement se réjouir du carnet de commande bien rempli d’Arianespace qui a su faire face avec talent à de nombreuses situations de crise dans le passé.
TES. : Le QG de Qosmosys est basé a Singapour mais vous êtes implanté à Toulouse et à Houston. Cette position vous permet-elle de comparer et juger les stratégies mises en œuvres par les deux principaux acteurs du secteur de l’espace. Quelles leçons tirez-vous ? Que pensez vous des autres principaux concurrents ( Chine, Russie ) ? L’aventure spatiale profite-t-elle d’une saine concurrence ?
F.D. : Qosmosys est positionnée dans les pays qui représentent son avenir, à la fois d’un point de vue commercial et stratégique. Le retour à une bipolarisation de la conquête spatiale est un élément incontournable dont nous tenons compte pour notre développement. Plus précisément, la Chine et la Russie, mais aussi l’Inde représentent non seulement une concurrence de très haut niveau mais aussi une source de questionnement sur la manière dont l’humanité souhaite gérer les ressources extraterrestres car nous sommes confrontés inévitablement à la fameuse « tragédie des biens communs », si nous ne sommes pas vigilants. En l’absence de réglementation contraignante, c’est un devoir pour Qosmosys de rester lucide et endosser une vraie politique de responsabilité. Il faut montrer l’exemple. Ce ne sont pas là de grandes phrases, croyez-moi, car l’ère spatiale qui s’ouvre va exiger de résoudre par anticipation des problématiques très concrètes qui appellent à s’adapter avec patience et determination aux décisions des peuples et de leurs dirigeants.
TES. : Dans le Manifesto (3) du site de Qosmosys vous citez Carl Sagan » Our exploration of the cosmos will be the greatest of all human adventures. » Quel sens donnez vous à cette prophétie ? Certains ne sont pas persuadés de l’utilité de l’aventure spatiale que leur répondez-vous ?
F.D. : La curiosité est consubstantielle du genre humain, et elle a été à l’origine de tant de choses qui ont fait émerger notre civilisation d’un état de nature permanent. Alors est-ce utile ? En projetant notre curiosité vers l’espace, je pense que nous faisons face aux découvertes scientifiques les plus inattendues et les plus phénoménales qui rendront peut-être l’homme meilleur. Dans le même temps, au fur et à mesure que nous nous éloignons de notre Terre, nous prenons conscience de notre singularité dans un univers qui nous dépasse et qui doit nous questionner sur notre capacité à le preserver.
(2) Illustration de l’interview : projet ZeusX
(3) https://qosmosys.com/manifesto
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