Steve Koonin a été sous-secrétaire aux sciences au ministère de l’énergie sous l’administration Obama et directeur fondateur du Center for Urban Science and Progress de l’Université de New York (NYU). Il enseigne actuellement à l’université de New York. Koonin est également l’auteur de Unsettled : What Climate Science Tells Us, What It Doesn’t, and Why It Matters (1). Ce best-seller s’est déjà aujourd’hui vendu à plus de 200.000 exemplaires aux États-Unis et est désormais traduit dans de nombreuses langues. En Français son article a été publié aux éditions de l’Artilleur sous le titre Climat, la part d’incertitude (2). Nous avons eu l’opportunité de rencontrer le professeur Koonin lors de son séjour à Paris où il a été invité par l’association Climato-Réaliste (3); il a accepté de répondre à nos questions sur le changement climatique et les solutions pour la transition énergétiques.
Changement climatique
Jean-Paul Oury : Le rapport de synthèse AR6 du GIEC vient de paraître. Il est présenté comme » un dernier avertissement à l’humanité pour qu’elle agisse rapidement « . Quel est votre commentaire sur ce nouveau rapport ?
Steven E Koonin : Je n’ai pas eu l’occasion de le lire en détail, car il n’est sorti qu’hier et je voyageais. J’y ai jeté un bref coup d’œil. Un commentaire pratique : ils ne publient pas le rapport complet, mais seulement le résumé pour les décideurs politiques. Evidemment, ceux d’entre-nous qui s’intéressent aux détails voudraient voir le rapport complet. D’un autre côté, je ne m’attends pas à ce qu’il y ait beaucoup de nouveautés ; après tout, il devrait s’agir d’une synthèse des trois rapports précédents, mais il est très intéressant de voir comment ils la présentent. J’ai déjà eu l’occasion de lire quelques pages et ils parlent de l’augmentation du nombre de décès résultant de températures plus élevées et c’est vrai ; mais ils oublient de vous parler de la diminution plus importante du nombre de décès due à des températures moins froides. Ainsi, comme dans les rapports précédents, il s’agit d’une présentation trompeuse de la science sous-jacente. Cela vise à persuader plutôt qu’à informer.
Et je pense que la communauté scientifique rend un mauvais service au monde lorsqu’elle essaie de nous persuader d’adopter une ligne de conduite particulière plutôt que d’informer d’une décision complexe qui implique la science mais aussi la technologie, les valeurs, l’équité, etc.
JPO. : L’une de vos principales hypothèses est que ceux qui parlent du changement climatique n’ont pas lu les rapports d’évaluation complets du GIEC, mais qu’ils citent principalement le résumé destiné aux décideurs politiques, qui est beaucoup plus alarmiste. Est-ce une fois de plus le cas pour ce nouveau rapport ? Quelles sont les conséquences ?
SEK. : Oui. En fait, à bien des égards, le groupe de travail 1 du rapport AR6, qui traite de la physique du climat, est moins alarmiste que le rapport précédent. Il a déclaré que les scénarios d’émissions les plus extrêmes étaient peu probables et qu’un scénario plus modéré était donc probable ; ils ont réduit la fourchette de sensibilité climatique et le réchauffement prévu de vingt et un centièmes de degré en dessous de la valeur qu’ils considéraient la plus probable, soit 2,7 °C, ce qui est nettement moins que ce que les rapports précédents projetaient. Le fait que les gens se focalisent sur l’alarmisme enflamme les passions… D’ailleurs j’ai remarqué que c’était davantage vrai ici en Europe qu’aux États-Unis. De nombreuses personnes sont toujours convaincues que nous devons prendre rapidement des mesures à grande échelle ou que les choses vont très mal, ce qui n’est tout simplement pas étayé par les données scientifiques actuelles ou les rapports, et ce n’est pas non plus forcément la ligne de conduite la plus sage que d’opérer des réductions importantes et rapides des émissions.
JPO. : Vous avez intitulé votre livre Unsettled. Pourquoi ?
SEK. : Ce titre a trois significations. Il fait référence à la science elle-même : nous entendons souvent les politiciens dire » la science est établie, nous devons agir » ; il fait référence à ce que j’ai ressenti, et je pense que les lecteurs ressentiront, lorsqu’ils liront certains des rapports réels plutôt que les résumés des médias ; et puis je pense qu’il fait référence à ce que nous faisons en tant que société à propos des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons… ce n’est vraiment pas établi non plus. Je voulais donc vraiment donner aux gens des informations pour qu’ils puissent réfléchir à ces questions par eux-mêmes au lieu de se contenter de ce que leur disent les médias.
JPO. : Vous avez dit un jour que vous vouliez faire pour le climat ce que Václav Smil a fait pour l’énergie. Pouvez-vous nous expliquer ?
SEK. : Vaclav Smil est un professeur émérite de l’université du Manitoba au Canada et il a écrit plus de vingt livres qui sont des analyses quantitatives et logiques des systèmes sociaux. Le plus récent est « Comment le monde fonctionne vraiment ». J’ai d’abord pris connaissance de ses ouvrages, puis fais connaissance avec lui lorsque j’ai commencé à travailler dans le domaine de l’énergie et que j’ai rejoint BP (il y a environ 18 ans). Il a une merveilleuse façon quantitative de synthétiser le matériel et de donner une vue d’ensemble, de sorte que l’on peut comprendre les détails une fois que l’on dispose de ce cadre plus large. J’ai beaucoup appris en lisant quelques-uns de ses ouvrages sur l’énergie lorsque j’ai commencé à travailler dans ce secteur. Bill Gates a dit que Smil était son auteur préféré ; c’est également le mien, et j’ai été très fier lorsque Smil a accepté d’écrire un commentaire sur mon livre (4).
Il y a beaucoup à faire en matière de vulgarisation scientifique pour expliquer le climat. Mais j’aimerais dire que l’une des meilleures introductions que j’ai eues a été lorsque quelqu’un m’a comparé à William Tindall. Il a été le premier, au début du XVIe siècle, à traduire la Bible de l’Hébreu et du Grec en anglais afin que les gens ordinaires puissent comprendre ce que la Bible disait réellement, par opposition à ce que l’Église prétendait qu’elle disait, et bien sûr il a été brûlé sur le bûcher pour avoir fait cela.
JPO. : Depuis quelques jours, la télévision nationale française diffuse une nouvelle émission intitulée « météo climat » (5) qui replace les bulletins météorologiques dans le contexte général du changement climatique. Dans votre livre, vous insistez sur la différence entre le climat et le bulletin météorologique. Que pensez-vous de cette nouvelle façon de présenter les prévisions météorologiques ? Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est important de ne pas confondre météo et climat ?
SEK. : Ce programme est trompeur. Le climat étant une moyenne sur trente ans, il n’existe pas quelque chose comme une « actualité » climatique. Le climat change aussi lentement que l’herbe pousse. Cela prend une éternité. De plus – je n’ai pas vu cette émission, mais chaque fois qu’ils parlent d’un événement extrême, en tant que scientifique, je dirais qu’ils devraient également être en mesure de parler d’un événement extrême dans le passé. En quoi cela est-il sans précédent ? Parce que si quelque chose s’est produit dans le passé et que c’est la même chose ou plus inhabituel que ce que nous voyons aujourd’hui, alors que l’influence humaine était beaucoup plus faible dans le passé, il est très difficile d’attribuer ce phénomène à l’homme. Il est donc très difficile d’attribuer cela à l’influence humaine. J’aimerais sortir la figure 1.2 du livre qui montre la hauteur du Nil année par année sur une centaine d’années et plus : c’est la hauteur minimale chaque année. Ce que l’on voit, ce sont deux choses : d’une part, une forte variabilité d’une année sur l’autre. Une année, la hauteur atteint six mètres, puis l’année suivante, elle est inférieure à deux mètres, ou quelque chose de cet ordre. Deuxièmement, même si l’on prend la moyenne climatique sur 30 ans, il existe des tendances sur le long terme.
Ainsi, au début des enregistrements, il y a probablement un égyptien médiéval du GIEC qui a dit » nouvelle normale, nouvelle normale et vous feriez mieux de prier et de vous sacrifier » et ainsi de suite ; et il suffit d’attendre cent cinquante ou cent ans pour que les choses reviennent à la normale. Il ne faut donc pas s’emballer, ou mieux, il faut faire preuve d’un peu d’humilité en essayant de découvrir les tendances à long terme des événements extrêmes.
Les catastrophes météorologiques que nous observons ont souvent une composante humaine et parfois une composante dominante qui n’a rien à voir avec le climat. J’aime donc citer l’exemple des inondations qui ont eu lieu au Pakistan cet été. Deux jours après le pic des inondations, la ministre pakistanais de l’environnement s’est exprimé dans les médias et a déclaré : « C’est clairement dû au changement climatique d’origine humaine et vous nous devez de l’argent » ; et elle a ajouté : « C’est la pire inondation depuis 1961 ». Tout scientifique, comme je l’enseigne à mes étudiants, lorsque vous entendez une telle chose, vous devez regarder les archives et voir ce qui s’est passé avant 1961. Nous disposons de ces données et nous voyons que la mousson remonte à environ dix-huit ans, à l’époque où les Britanniques étaient là. En fait, il y a eu des moussons d’une intensité comparable un siècle plus tôt. De plus, dans le Pakistan moderne, les montagnes sont pratiquement nues : il n’y a pas d’arbres et l’eau s’écoule. Il y a beaucoup plus d’habitants, dont beaucoup vivent dans des plaines inondables. Il est donc évident que ce sera un désastre. Il faut être très prudent quand on dit « c’est le dioxyde de carbone ».
JPO. : Dans le chapitre » L’humble influence humaine sur le climat « , vous dites que » comprendre comment le système climatique répond aux influences humaines est, malheureusement, un peu comme essayer de comprendre le lien entre l’alimentation humaine et la perte de poids, un sujet manifestement non résolu à ce jour. « Puis vous donnez l’exemple du régime à base d’un demi-concombre. Pouvez-vous nous expliquer ?
SEK. : Le système climatique, en termes d’énergie qui le traverse, est énorme. Pour donner un chiffre, c’est 240 watts par mètre carré de lumière solaire qui entre et de chaleur qui sort, presque en équilibre. L’influence humaine, par l’intermédiaire des gaz à effet de serre et des aérosols, ne représente qu’un pour cent de ce chiffre (2,4 watts par mètre carré). Le défi scientifique consiste donc à comprendre l’effet de cette perturbation de 1 % sur le système. À cela s’ajoute le fait qu’il existe d’autres influences au même niveau. Les volcans (en activité ou non), les changements de l’intensité solaire sont considérés comme plus faibles, mais la variabilité naturelle est de la même ampleur. Démêler tout cela dans ce système bruyant alors que nous disposons de données incomplètes est un défi majeur et j’avais besoin d’une analogie pour illustrer un système compliqué ; c’est pourquoi je l’ai comparé à l’alimentation humaine. Le dernier rapport de synthèse du GIEC affirme que tout est dû à l’homme et j’ai entendu aux informations que les deux cents dernières années étaient dues à l’homme, mais ce n’est pas possible parce qu’il y a des hauts et des bas. L’influence de l’homme n’a cessé d’augmenter.
JPO. : Vous êtes très sévère à l’égard des modèles climatiques. Vous dites qu’ils sont utiles pour la recherche, mais qu’il faut être prudent lorsqu’il s’agit de prendre des décisions d’une valeur de plusieurs milliards de dollars. Accordons-nous trop d’importance aux modèles ?
SEK. : Je pense que oui. Lorsque vous parlez aux personnes qui effectuent la modélisation et interprètent les résultats, vous obtenez toutes les mises en garde. Ils émettent alors un jugement de valeur : oui, mais nous devrions être prudents et modifier notre consommation d’énergie. Mais je suis stupéfait, par exemple, si vous prenez le dernier ensemble de modèles d’il y a deux ans et que vous regardez la sensibilité des modèles. Le GIEC lui-même considère qu’environ 40 % d’entre eux sont trop sensibles et les a simplement ignorés pour le reste de la discussion. Il est donc très déconcertant que les meilleurs modélisateurs du monde, qui font de leur mieux, se trompent à ce point dans 40 % des cas. Je ne peux pas les blâmer, ils font de leur mieux, mais il s’agit d’un problème de modélisation très difficile. La capacité à reproduire l’historique des températures réelles est horriblement difficile.
Un principe fondamental, du moins dans la science avec laquelle j’ai grandi, est que si vous ne pouvez pas reproduire les données existantes, le modèle n’est pas très bon. Ils semblent l’ignorer. Je pense qu’il n’est pas très judicieux de prendre des décisions à hauteur de mille milliards de dollars sur cette base, alors qu’il existe des raisons contraires de ne pas changer le système énergétique. L’incertitude augmente au fur et à mesure que l’on descend dans la chaîne d’influence. L’effet brut du CO2 sur l’augmentation de la capacité de piégeage de la chaleur de l’atmosphère est assez bien compris, c’est juste de la physique moléculaire, les gens font les calculs et on sait à peu près ce que ça donne. Mais il y a des rétroactions dans les modèles qui ne peuvent pas être introduites manuellement, mais qui doivent émerger des modèles mêmes, c’est la principale source d’incertitude, en particulier les nuages, et puis il y a les incertitudes suivantes : comment ce changement dans le système climatique affectera la société humaine, quel en sera l’impact. Au fur et à mesure que l’on avance dans cette chaîne d’influence, l’incertitude s’accroît.
JPO. : Vous dites qu’il y a une confusion entre le rapport d’évaluation et l’étude évaluée par les pairs. Vous avez proposé de faire réviser le rapport d’évaluation du GIEC par une « équipe rouge » (Red Team). Pensez-vous que votre demande sera un jour prise en considération ? Qu’en pensez-vous ?
SEK. : Je pense qu’il n’y a aucune chance pour que le GIEC fasse cela, et la raison en est qu’il a reçu l’autorité nécessaire et qu’il ne veut pas être remis en question. Même si les contestations sont crédibles et, à mon avis, souvent correctes. Par exemple, ils disent que les décès augmentent lorsqu’il fait plus chaud, mais ils oublient de dire que les décès ont également diminué parce que les températures sont moins froides. Oublier de mentionner le deuxième fait est une faute professionnelle en matière de conseil. Si vous rédigez un rapport d’évaluation dans le but d’informer les décideurs, vous devez inclure les deux points de vue, en particulier lorsque l’autre point de vue est plus important que celui dont nous parlons. Je ne sais pas comment cela peut passer le processus de révision. Je voulais donc – et je pense que c’est toujours une très bonne idée – un examen critique. « Ce que vous dites est-il vraiment étayé par les données ? » Et vous pourriez le faire paragraphe par paragraphe. C’est le genre de choses que les scientifiques font souvent, et si quelqu’un prend une décision lourde de conséquences, par exemple, vous voulez lancer un vaisseau spatial, ou vous construisez un avion… vous avez toujours un examen de l’équipe rouge : « dites-moi ce qui ne va pas », faites de votre mieux pour me dire ce qui ne va pas. Le GIEC ne procède pas de cette manière, pas plus que le gouvernement américain, parce que ce qu’ils publient présente des défauts évidents. Pour être juste, ils sollicitent des commentaires, mais ceux-ci sont publiés longtemps après la parution du rapport et les auteurs sont tout à fait libres d’ignorer les commentaires comme ils le font. Ils sélectionnent les données, ils tournent l’histoire de bien des façons. Il s’agit d’une sorte de propagande, dont le but est d’imposer et de persuader, et non d’informer.
Transition énergétique
JPO. : Dans votre livre, vous expliquez que le nucléaire est l’une des meilleures options dont nous disposons pour la transition énergétique, mais vous ne semblez pas croire aux énergies renouvelables, comme on peut le voir dans un débat de Soho (6) que vous avez gagné contre Andrew Dessler. Pouvez-vous nous donner vos arguments pour le nucléaire et contre les énergies renouvelables ? Saviez-vous qu’AOC, lors d’un voyage au Japon, a proposé d’ouvrir le dialogue sur l’énergie nucléaire (7) ? Qu’en est-il de l’énergie nucléaire aux Etats-Unis ?
SEK. : Le réseau électrique est essentiel pour essayer de réduire les émissions. Nous allons devoir tout électrifier : le chauffage, les transports, et nous avons besoin d’un réseau solide et fiable. Vous aimeriez que le réseau (ou l’électricité) soit fiable. Aux États-Unis, la norme de fiabilité est de moins d’un jour par décennie. Soit 99,99 %. Vous aimeriez que l’électricité soit abordable et propre. Et nous pouvons avoir chacune de ces deux caractéristiques. Ainsi, si vous voulez que l’énergie soit fiable et abordable, faites appel au gaz ou au charbon ; si vous voulez qu’elle soit propre et fiable, vous pouvez opter pour le nucléaire ; et si vous voulez qu’elle soit abordable et propre, vous pouvez choisir l’éolien et le solaire. La technologie actuelle ne nous permet pas de satisfaire simultanément ces trois exigences. C’est pourquoi les gens prônent l’éolien et le solaire. Ce que l’on découvre lorsqu’on essaie de construire un réseau à partir de l’éolien et du solaire en utilisant les données observées heure par heure sur l’ensemble du territoire américain pendant trente ans et en plaçant les installations éoliennes et solaires aux prix optimaux, c’est que ce qui coûte le plus d’argent, c’est la fiabilité, et non la production. Pour pouvoir répondre à la demande, il faut une fiabilité de 99,99 % du temps. Il faut même un énorme surcroît d’énergie éolienne et solaire ou une sorte d’énergie fiable et disponible. Lorsque l’on examine les aspects économiques, il s’avère que l’option la moins chère est celle qui associe le nucléaire à l’éolien et au solaire. Vous avez besoin d’une capacité de répartition, c’est-à-dire de la possibilité de la mettre en marche. Et pour une source d’émission zéro, il faut soit le nucléaire, soit le gaz avec capture du carbone. Et c’est le nucléaire qui l’emporte.
Au sujet d’AOC, elle n’est pas la seule à s’être convertie ou à être sur le point de le faire : Stuart Brand, Michael Shellenberger… sont également des écologistes qui ont commencé à comprendre le système énergétique et les faits technico-économiques…. Je pense que c’est une bonne chose si elle se convertit et je serais heureux d’avoir l’occasion de l’éduquer davantage sur l’énergie. Sérieusement, j’éprouve de la satisfaction à m’asseoir avec des gens qui ne comprennent pas vraiment l’énergie ou le climat et d’essayer de les aider à s’y retrouver.
En ce qui concerne l’énergie nucléaire aux États-Unis, nous n’avons pas construit grand-chose. Deux centrales sont actuellement en construction. Il s’agit de grandes centrales qui, comme d’habitude, sont en retard sur le calendrier et dépassent le budget. J’ai plus d’espoir pour les petits réacteurs (SMR). Il y a des projets dont j’espère qu’ils seront sur le point d’aboutir avant la fin de la décennie.
JPO. : Avez-vous une opinion sur le débat sur l’énergie nucléaire au sein de l’Union européenne ? Êtes-vous au courant de la controverse entre l’industrie nucléaire française et l’Energiewende allemande ? Avez-vous un conseil à donner aux décideurs politiques européens ?
SEK. : Je pense que le conseil est de » ne pas prendre conseil auprès de l’Allemagne « . Regardez ce qu’elle s’est infligée à elle-même. En Allemagne on a une trop grande dépendance à l’égard de l’énergie éolienne et solaire, instable ou peu fiable…. mon Dieu, un refus de construire des terminaux d’importation de GNL et une dépendance manifeste à l’égard d’un fournisseur peu fiable par le biais du gazoduc Nordstream. De nombreuses personnes savaient qu’ils auraient des problèmes et le leur ont dit… même dix ans auparavant. Les scientifiques et les techniciens le savaient déjà depuis longtemps. Je dirais donc « merci » aux Allemands et ensuite je songerais à faire quelque chose de sensé. Hier, j’ai rencontré des experts en énergie à Bruxelles, et il semble qu’il y ait eu plus de réalisme ici.
J’aime utiliser cette image : le dessin animé Wile E Coyote se précipitant d’une falaise … c’est ce qui est arrivé au mouvement vert … Ils ont soudainement réalisé que » oups » … il y a d’autres facteurs auxquels ils n’avaient pas pensé.
Les Allemands qui ont opté pour l’éolien et le solaire peuvent avoir des dunkelflaute – un moyen facile de comprendre pourquoi vous n’allez pas économiser de l’énergie avec un réseau renouvelable – pendant deux semaines. Vous aurez besoin d’un système de secours fiable, qu’il s’agisse de batteries, de nucléaire ou de capture du carbone… Et ce système de secours doit être aussi performant que l’éolien et le solaire. Il s’agit donc de deux systèmes simultanés. Cela signifie que le coût total du système sera au moins deux fois supérieur à celui de l’éolien et du solaire. Parce que l’éolien et le solaire sont les moins chers. Le coût de l’électricité sera donc au moins deux fois plus élevé, voire plus. Vous vous posez alors la question suivante : si le système de secours est si performant, pourquoi utiliser l’énergie éolienne et solaire ? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. Les matériaux sont un autre problème des énergies renouvelables : elles utilisent environ dix fois plus de matériaux critiques que les technologies conventionnelles. Et le monde n’a pas la capacité de fournir ces matériaux de manière fiable. Les seuls humains qui ne polluent pas sont ceux qui sont morts. Le choix d’une énergie est tellement vaste qu’il aura un effet sur l’environnement d’une manière ou d’une autre. Qu’il s’agisse de déchets miniers, de dioxyde de carbone ou d’abattage d’arbres… il faut bien faire quelque chose et choisir son poison.
JPO. : Récemment, l’Allemagne a décidé d’abandonner la décision de l’UE de passer au tout VE pour 2035. Elle a choisi de continuer à produire des véhicules à combustion interne. Que pensez-vous de ce revirement ?
SEK. : Tout le monde se dit « vert » jusqu’à ce que cela commence à le déranger. Comme l’a dit Kermit la grenouille, « ce n’est pas facile d’être vert ». Je pense qu’il s’agit d’une combinaison d’intérêts personnels (les constructeurs automobiles allemands), mais je ne pense pas non plus qu’une interdiction de l’utilisation des véhicules à combustion interne aussi rapide, voire totale, soit très judicieuse. La technologie des batteries n’est pas encore au point. Dans certaines circonstances, on a vraiment besoin des combustibles chimiques… donc lentement, lentement. Et je dirais qu’en ce qui concerne la transition énergétique de manière plus générale, Nordhaus, dans le cadre de son prix Nobel, a souligné qu’il existe un rythme optimal de décarbonation. Si cela est fait trop rapidement, vous perturbez énormément l’efficacité. Je pense qu’à certains égards, l’interdiction des véhicules thermiques dans les douze prochaines années est tout simplement trop rapide. Ce serait également le cas aux États-Unis.
Encore une fois, il y a des réalités technico-économiques que les politiciens peuvent essayer de contourner, mais en fin de compte, comme la gravité, elle tire le coyote vers le bas. Il n’y a rien à faire.
JPO. : Certains experts proposent des solutions extrêmes pour aider notre société à décroître : par exemple, M. Jean-Marc Jancovici, grand ingénieur français propose d’arrêter les soins pour les personnes âgées à partir de 65 ans et de limiter les vols à un nombre de 4 (par personne / par vie). Que pensez-vous de cette décroissance ? Est-ce la seule solution comme certains le disent ?
SEK. : Le vrai problème n’est pas la diminution des émissions des pays développés. C’est l’augmentation des émissions des pays en voie de développement. Rappelez-vous les chiffres que vous avez déjà entendus : 1,5 milliard de personnes dans le monde développé sont riches en énergie, mais 6,5 milliards de personnes sont pauvres en énergie ou en manquent. Et leur consommation d’énergie augmentera à mesure qu’ils se développeront économiquement et au fur et à mesure de leur développement économique, comme nous devons l’espérer. À l’heure actuelle, les combustibles fossiles constituent pour ces personnes le moyen le plus fiable et le plus pratique d’obtenir de l’énergie. Ce type peut expliquer aux Européens et aux Américains qu’ils doivent vraiment réduire les émissions. Mais il est compliqué d’expliquer aux autres personnes qu’elles n’ont pas le droit de se développer. Il s’agit en fait d’une question morale, comme on peut le lire dans le livre d’Alex Epstein. C’est à lui que revient le mérite de l’avoir mis en évidence. Quelle est sa réponse à cette question : » que faire ? « Il n’y a pas d’autre réponse morale que « laissez-les se développer ». Vous leur demandez de s’inquiéter d’une vague menace incertaine et lointaine (le changement climatique) alors qu’ils ont des besoins immédiats et visibles. C’est comme si vous disiez à une personne affamée que vous n’allez pas manger cela à cause de votre cholestérol.
JPO. : Bjorn Lomborg, Judith Curry, Michael Shellenberger, Richard Lindzen, Alex Epstein, Vaclav Smil… et bien d’autres encore, et vous-même bien sûr… toutes ces voix parlent du climat et de la transition énergétique sans contredire la thèse principale du GIEC, sans verser dans l’alarmisme, mais en se concentrant sur les vraies technosolutions. Pourquoi n’avez-vous pas plus d’écho dans les grands médias ?
SEK. : Tout d’abord, les médias grand public ont intérêt à promouvoir des histoires dramatiques et à dire que le climat n’est pas si mauvais. Cela attirerait moins l’attention. La deuxième raison est que de nombreux médias ont engagé des journalistes spécialisés dans le climat, souvent sans diplôme scientifique, avec pour mission d’écrire des articles sur le climat. Enfin, il existe des organisations médiatiques militantes telles que Covering Climate Now. Il s’agit d’un consortium d’organisations médiatiques (The Guardian, BBC, NPR…) qui se sont mises d’accord pour ne couvrir que les sujets qui vont dans le sens d’un récit et ne pas couvrir les sujets qui ne vont pas dans le même sens. Et bien sûr, les politiciens adorent cela. C’est un alignement impie des médias et des politiques. Tout cela finira un jour – comme l’histoire du coyote – par s’effondrer.
Les mesures proposées (restreindre les vols, ne pas se préoccuper des personnes âgées ou autre), les gens ordinaires vont dire « non ». On le voit déjà un peu avec le fiasco du chauffage domestique au Royaume-Uni, les gilets jaunes en France. L’autre chose qui est inquiétante, c’est que cette maladie est concentrée en Occident. En Asie, les gens s’efforcent davantage d’améliorer leur vie. J’espère que de plus en plus de gens sont avides d’une discussion basée sur les faits, comme je peux le voir dans les nombreux débats que je mène en ce moment.
(1)Unsettled: What Climate Science Tells Us, What It Doesn’t, and Why It Matters (English Edition)
(2) Climat, la part d’incertitude
(3) https://www.climato-realistes.fr/
(4) “We have too many global warming books—but this one is needed. Steven Koonin has the credentials, expertise, and experience to ask the right questions and to give realistic answers.” —Vaclav Smil, distinguished professor emeritus at the University of Manitoba about Unsettled.
(5) Anaïs Baydemir pour le journal météo et climat sur France 2 le 13 Mars 2023
(6)Renewable Energy to Save the Planet? A Soho Forum Debate
(7)AOC’s trip to Japan on Instagram
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