Le 27 septembre 2018, le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Versailles (TASS) a ordonné la prise en charge d’une personne déclarée électrosensible au titre des accidents du travail, condamnant la caisse d’assurance maladie à lui verser une indemnité de 1600 €, ainsi que 2000 € au titre des frais de justice.
Cette affaire, relayée immédiatement par l’avocat en charge de l’affaire sur Twitter, fera l’objet d’une dépêche AFP reprise massivement par la presse toujours friande de sujet à sensation autour des ondes électromagnétiques. Ainsi, le Journal de l’environnement publie dès le 28 septembre « Trop d’ondes électromagnétiques peuvent provoquer un accident du travail », suivi par Le Monde, Les Echos, Le Parisien, Le Figaro, Science et avenir, France Inter, France 3, BFM-TV, CNews, etc.
Ainsi, nous apprenons qu’il s’agit d’un technicien travaillant pour le compte d’une entreprise de télécommunication qui, via la médecine du travail, aurait demandé en vain sa mutation pour un poste moins exposé. En 2013, celui-ci a un malaise à proximité d’une salle où se tenait une réunion avec de nombreux téléphones portables et des tablettes… C’est à dire dotée d’un équipement de bureautique, qui engendre une exposition en dessous des limites d’exposition du public telle que rencontrée n’importe où dans la vie quotidienne. Une première expertise médicale avait conclu à un problème psychiatrique lié à des troubles anxieux sans lien avec le travail, tandis qu’une seconde a estimé qu’un lien du malaise avec l’hypersensibilité du plaignant et l’environnement au travail ne pouvait être exclu, hypothèse retenue par le tribunal. L’accès au procès-verbal du jugement permettrait de savoir quel poids a été accordé à l’effet de l’environnement électromagnétique ou dans quelle mesure le préjudice d’angoisse a été considéré.
Si certains journalistes soulignent que la justice et la science n’ont pas la même logique, qu’il n’existe aucun diagnostic pour l’EHS ni de preuve scientifique d’un tel effet des ondes, d’autres ignorent totalement l’état des connaissances scientifiques, accréditant l’idée que les ondes ont causé le malaise. Mais, tous ont répété comme un mantra « pour la première fois », « c’est une première en France » car ce jugement pourrait faire jurisprudence, et c’est avant tout cela l’objet du scoop ! De leur côté les ONG, qui combattent le développement des technologies sans fil et militent pour la reconnaissance de l’EHS comme une maladie causée par l’exposition aux ondes, se sont réjouies de ce jugement arguant que la justice serait en avance sur la science (par ex ici).
Rappelons que dès 2004, l’OMS a classé l’hypersensibilité électromagnétique dans la famille des Intolérances environnementales idiopathiques, c’est-à-dire sans explication ni cause connues bien que la souffrance des personnes EHS soit reconnue. Aucune des expertises produites depuis, dans le monde comme en France (rapport Anses 2018), n’a démentie cette conclusion. Pourtant l’avocat des plaignants n’hésite pas à diffuser de fausses informations, déclarant que « Contrairement à l’Australie ou à l’Italie où cette maladie est reconnue, nous avons du retard en France. L’électrosensibilité est une maladie bien particulière qui ne touche que quelques personnes. Parfois, les décisions de justice sont en avance sur la société. Ça a été le cas aujourd’hui ». Et de conclure qu’il s’agit « d’une première judiciaire française qui ouvre une brèche pour d’autres victimes électrosensibles ». « L’objectif, c’est que d’autres victimes puissent aujourd’hui faire valoir leurs droit ». Il précise d’ailleurs avoir de nombreux dossiers en cours dans plusieurs interviews.
Nul doute que les affaires judiciaires ayant trait à des questions de santé environnement telles que celles liées aux ondes de téléphonie ou aux compteurs linky, où le risque n’est pas avéré, sont une manne pour certains cabinets d’avocats. Ceux-ci tirent parti d’une réussite pour attirer d’autres clients, leur faisant miroiter la possibilité de bénéficier d’un revenu. Leurs interviews sont autant de publicités gratuites que leur offrent les médias sur un plateau. Certains vont même jusqu’à publier des livres pour attiser les craintes (comme ici ou là). De cela, personne ne parle.
Il y eu déjà eu quelques jugements retentissants autour de l’EHS. Notamment, en 2015, une allocation « adulte handicapé » est accordée à une femme EHS par le tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse et en 2016, le tribunal de grande instance de Grenoble ordonne le remplacement du compteur d’eau communicant et l’interdiction de poser d’autres compteurs communicants (électricité, gaz) chez une plaignante EHS.
L’exposé des motifs est généralement suffisamment confus pour que l’indemnisation puisse apparaitre comme une preuve du danger des ondes. Nous pouvons nous demander si le système judiciaire ne devrait pas se doter de solides moyens d’expertises, scientifiquement validés, pour éviter d’encourager le développement d’un usage pernicieux de la justice.
Pour en savoir plus sur les risques électromagnétiques :
– Perrin A. & Souques M. (2018), Champs électromagnétiques, environnement et santé. 2ième édition – Ed. EDP-Sciences, Paris, 241 p. https://laboutique.edpsciences.fr/produit/1039/9782759822591/Champs%20electromagnetiques%20environnement%20et%20sante
– Perrin A. & Souques M. (2012), Electromagnetic Fields, Environment and Health. Ed. Springer-Verlag, Paris, 169 p. ID 305615_1_En