L’Académie des sciences fait actuellement beaucoup de publicité autour du déclin des insectes (1). C’est un fait, les populations de plusieurs espèces sont en déclin. Reste à identifier les causes, très nombreuses et qui peuvent différer selon les espèces, qui ne se limitent pas à l’usage des insecticides…. La publication citée en référence est dans l’ensemble un plaidoyer en faveur d’une discipline, l’entomologie, à laquelle on n’accorde pas assez d’attention et de moyens. C’est vrai… alors que la protection de la biodiversité revient dans tous les discours, les moyens qui sont consacrés au suivi et à la compréhension de la dynamique des systèmes écologiques sont dérisoires par rapport à la complexité des phénomènes en jeu, notamment si on les compare aux moyens qui sont dévolus aux recherches sur l’exploration de l’espace.
Néanmoins cet article à l’instar de beaucoup d’autres qui traitent de la biodiversité fait manifestement preuve d’un parti pris systématique : celui de ne présenter que les services essentiellement positifs rendus par les insectes. En l’occurrence, les auteurs ne contestent pas l’existence d’insectes portant atteinte à notre santé et à notre économie agricole, mais évacuent un peu rapidement la question : « L’importance du déclin des Insectes est brouillée par l’image négative associée à certains Insectes nuisibles … Les vecteurs de pathogènes humains ne représentent cependant que 1% des espèces de moustiques, et seulement 1% des Insectes sont considérés comme des ravageurs de culture ». Par la suite les auteurs mettent en avant les services rendus avec le couplet bien connu sur la pollinisation, et sur les oiseaux qui n’ont plus de quoi se nourrir (une question plus complexe qu’annoncé). Néanmoins, on aurait pu s’attendre de la part de scientifiques à un regard moins manichéen et moins écocentré. Car ces 1% (mais comment a-t-on calculé ces 1%, car il n’y a pas que les moustiques… ?) qui paraissent si peu en comparaison des autres insectes jouent en réalité un rôle considérable dans notre vie quotidienne et nos économies. Après tout, l’air contient environ 0,04 % de CO2, ce qui est insignifiant, mais un très petit accroissement a des conséquences majeures sur le climat…. En l’occurrence ce sont ces insectes qui sont à l’origine de presque toutes nos grandes endémies : paludisme, maladie de Chagas, chikungunya, maladie du sommeil, peste, filarioses, dengue, leishmanioses, maladie de Lyme, etc… Ce n’est pas anecdotique, excusez-moi du peu ! Quant aux insectes ravageurs des cultures on ne compte plus les nombreux dégâts qu’ils causent dans nos champs et nos forêts. Les nuages de criquets qui ont ravagé l’Afrique de l’Est en 2020 ne sont pas de simples incidents. Mais les humains qui en ont été victimes n’ont pas suscité autant de compassion de la part des associations de protection de la nature que les animaux morts dans les incendies en Australie… Cette plaie d’Egypte avait été en partie contenue au XXe siècle grâce à des organisations de lutte anti-acridienne. Mais on a baissé la garde, avec les conséquences que nous connaissons. Certes, il fallait utiliser des insecticides… ! A-t-on évalué les dégâts de cet épisode pour les populations concernées ? Quel économiste va nous esquisser enfin un bilan comptable prenant en compte à la fois les dégâts que nous causons à la nature et les dégâts que la nature fait subir à notre santé et à nos économies ? Quand on ne s’intéresse qu’aux bénéfices et qu’on ignore les dépenses, on se retrouve un jour en faillite.
Cette lutte contre les insectes nuisibles a bien entendu des effets collatéraux sur la biodiversité, mais peut-on faire autrement ? C’est toute la question posée par l’agriculture de précision et l’agroécologie. Quoiqu’il en soit, et c’est un fait, il n’y a pas compatibilité entre la présence des hommes et leurs manières d’habiter la terre, et la préservation de la nature dans son intégralité… Ce constat est à l’origine du concept d’aires protégées, c’est-à-dire de l’exclusion des hommes de la nature !
Il ne s’agit donc pas de dire qu’il n’y a pas de problèmes, mais d’adopter une attitude réaliste. La nature est pourvoyeuse à la fois de bienfaits et de nuisances, c’est un fait établi. Est-il si difficile d’écorner cette image d’Epinal d’une nature bonne et généreuse ? Auquel cas on peut discuter des compromis à trouver entre la satisfaction de notre « bien-être (2) » par le contrôle des insectes indésirables, avec des effets collatéraux inévitables mais que l’on cherche à minimiser, et la protection des autres espèces pour des raisons éthiques. Mais suggérer, comme le font les auteurs, de réhabiliter l’image de l’insecte pour mieux les protéger c’est vraiment un peu court…. Chaque citoyen sait bien faire la différence entre une abeille et un moustique. Et c’est faire bien peu de cas de tous ceux qui subissent les conséquences de ces nuisances.
Nous sommes dans une situation qui n‘est pas sans rappeler le dilemme du prisonnier : les associations de protection de la nature et les organismes lutte contre les endémies, ou de protection des végétaux, ont-ils ou non intérêt à coopérer pour trouver des compromis, ou préfèrent-il jouer chacun leur partie dans une guerre de tranchées ?
(1) Jactel, H., Imler, J.L., Lambrechts, L., Failloux, A.B., Lebreton J.D., Le Maho, Y., Duplessy, J.C ., Cossart, P. & Grandcolas, P. (2021). Le déclin des insectes : il est urgent d’agir. Comptes Rendus Biologies. < https://doi.org/10.5802/crbiol.37 >
(2) Une expression qui a été proposée par le Millenium Ecosystem Assessment