Constatant qu’en 2022, les éoliennes représentent désormais 8% de la production électrique française et les panneaux solaires 4,5%, Gérard Petit s’interroge sur l’avenir du parc électrique et évoque différents scénarios envisageables. Une mise en perspective qui montre à quel point il est urgent de retrouver la raison au sujet de notre production électrique.
La donne actuelle contraint fortement le futur
L’un des « Hauts Dignitaires » du régime de Vichy, Yves Bouthillier, Ministre des finances et du redressement (=> 1942), questionné après-guerre sur son appréciation de la situation, une fois survenue « l’Etrange Défaite », a déclaré : « le drame était que les Allemands fussent là …», indiquant ainsi, au-delà de la trivialité du constat, que pour les décideurs économiques du pays, les cartes étaient confisquées, entravant largement toute initiative.
Pour maladroite que soit une transposition dans le débat sur la composition du futur mix électrique national, le drame est bien « que les EnRi[1] soient là », introduites dogmatiquement dans un système électrique français qui n’en avait nullement besoin, et qu’il faille désormais compter avec eux, et leurs tenants, pour définir le futur dudit mix.
En effet, on approche les 10 000 mâts dressés (8% de la production électrique 2022) et plus de 10 000 ha de panneaux PV sont déjà déployés (4,5% de la production électrique 2022), et surtout, derrières les machines et les cellules, des contrats au long cours ont été établis, sur 20 ans ou plus.
Les stratégies à élaborer ne peuvent donc l’être que relativement à cette situation pour le moins engageante.
Ainsi, au motif qu’on pourrait manquer de courant si l’électrification des processus industriels devait s’accroître (redynamisation verte), comme celui auguré des usages particuliers de l’électricité (mobilités, conditionnement des locaux,..) et parce que les nouveaux réacteurs nucléaires annoncés ne pourront être opérationnels, au mieux, qu’en 2035 (un crève-cœur, sans mauvais jeu de mot), la seule question qui vaille est donc : « que doit-on faire dans l’intervalle » ?
Comme vu supra, les EnRi contribuent marginalement, mais effectivement, au bilan électrique national, nonobstant un rapport « investissements / bénéfices » fort discutable, surtout quand ne sont pas délibérément omis les coûts de raccordement au réseau de ces sources diffuses, et sachant que leurs contributions aléatoires viennent souvent en substitution « légale » à des productions qui doivent alors s’effacer :
- hydraulique : même si on ménage ainsi les réserves en eau.
- CCgaz [2]: même si on économise ainsi du gaz et on évite du CO2.
- Nucléaire : même si on économise ainsi du combustible, dont le coût est marginal
tous arguments positifs devant pourtant être fortement relativisés car ces substitutions, sauf pour l’hydraulique dont les ouvrages sont déjà amortis, grèvent la rentabilité propre de ces sources pilotables, en ne permettant pas qu’on valorise suffisamment les investissements lourds réalisés, et pour le nucléaire, en sollicitant les équipements en dehors de leur champ de conception (par des contraintes thermiques), avec le risque de voir apparaître des désordres non anticipés (comme nos CSC[3] de triste mémoire).
De plus, on ne peut compter sur les EnRi, aléatoires, pour le franchissement des périodes de forte consommation, même s’il est arrivé que des conjonctions soient favorables, situations exploitées par les pro-EnRi pour justifier leur utilité, et au passage, nier l’effet d’intermittence desdites sources.
Mais il existe aussi d’autres impacts, bien désagréable à gérer, sur le marché de l’électricité cette fois, par exemple, dans le cas d’effacements comme d’abondances brutaux de productions EnRi, situations régulièrement rencontrées.
Compte tenu de la difficulté technique à gérer de tels transitoires en temps réel (sources et demande peinant à s’ajuster et créant des déséquilibres récurrents), d’importantes et rapides fluctuations de prix sont générées sur les marchés (des pics positifs aux abysses négatifs et dans ce dernier cas, on paye les clients pour qu’ils consomment …). Ces configurations, entre autres, reflètent bien l’inadéquation des règles actuelles du marché, favorables aux productions EnRi, déconnectées des besoins et prioritaires sur le réseau.
Alternatives
Continuer à s’appuyer sur les importations, surtout quand nos voisins exportateurs diminuent leurs marges, apparaît risqué ; il reste donc à choisir entre deux options (voire un mix d’icelles ?) :
- Accroissement des flottes d’EnRi (yc repowering des parcs existants [4] techniquement plus rapides à mettre en œuvre que le nucléaire ou les CCgaz, car il s’agit, pour l’essentiel, de l’installation et du raccordement de matériels déjà construits).
- Accroissement de la flotte des CCgaz, plus rapides à mettre en œuvre que le nucléaire car il s’agit, là encore, d’assembler des matériels fabriqués en usine, même si les chantiers sont d’une toute autre complexité que pour l’éolien terrestre ou le solaire PV.
Toutefois, ces alternatives ne sont pas équivalentes, loin s’en faut :
- Productions aléatoires et intermittentes côté EnRi,[5] sauf à les adosser à des moyens pilotables, ou à des stockages volumineux économiquement viables (ces derniers, inaccessibles aujourd’hui, le resteront encore demain).
- Productions souples et pilotables côté CCgaz, c’est-à-dire capacité à répondre sans délais aux besoins immédiats du réseau, en fournissant la puissance requise (mais à prix … sous tension).
S’agissant de l’implantation effective des nouveaux parcs EnRi (éolien ou solaire), il faut encore pouvoir détourner le « vents de colère » des opposants, en les déboutant de leurs requêtes, processus que l’évolution récente de la loi va permettre plus facilement. Néanmoins, ces oppositions retarderont, voire empêcheront des implantations, d’autant qu’elles devraient être de mieux en mieux fondées, pour l’éolien terrestre en particulier. En effet, les meilleurs sites éoliens étant déjà occupés, les nouvelles machines à installer devront être de plus en plus géantes pour espérer capter le souffle d’Eole, donc de plus en plus visibles, d’où l’ire des riverains. Argument moins soutenable pour l’éolien offshore, malgré l’opposition fondée des pêcheurs, avec la possibilité d’éloigner les parcs des rivages, mais moyennant une augmentation significative des coûts, voire un changement de technologie (éolien flottant).
Quant au solaire PV, alors que l’opinion est sensibilisée sur la question de l’artificialisation des sols et de la déforestation, les nouveaux champs (hors friches industrielles, parkings et agrovoltaïsme) devraient, logiquement, rencontrer davantage d’oppositions. Sans oublier, point capital, qu’il ne donne sa mesure, le jour, qu’entre les deux équinoxes de printemps et d’automne.
Ces préventions vaudront aussi pour l’édification des CCgaz, renforcées par la cherté durable du combustible et les fatales émissions de GES afférentes (seulement moitié moindre que celles du charbon).
De même, il y aura une opposition forte au nouveau nucléaire, même installé sur des sites où des réacteurs fonctionnent déjà depuis 40 ans …), d’autant qu’à l’argument de dangerosité s’ajoute désormais celui, infondé, mais opportuniste et exagéré, de la non-fiabilité des sources froides (températures, débits), alors que s’installent un dérèglement climatique et ses affres, l’appui sur des tours aéroréfrigérantes (l’air étant le caloporteur), répondant bien à ces critiques.
A cet égard, l’implantation de paires d’EPR2 à Fos-sur mer (hors site nucléaire existant, donc), présenterait bien des avantages (source froide fiable, proximité des consommations, position clé sur le réseau). Utiliser un tel emplacement pour y installer des SMR (Small Modular Reactors) serait mal valoriser ses indéniables atouts.
- La PPE actuelle (2017) ne prévoyait pas le déploiement de CCgaz (« vade retro satagaz ») mais la donne internationale a changé et la nouvelle mouture (2023) devrait logiquement inclure l’option.
- Les EnRi devraient être déployées plus facilement dans le cadre de la nouvelle loi dite d’accélération, modulo les réserves supra.
- Le nouveau nucléaire devrait arriver, en séquence, à partir de 2035, mais tout reste à faire et le risque est grand que sur ce temps long des réalisations, les volontés politiques s’émoussent ou fluctuent.
Pourtant, c’est la constance de la vision (bien incarnée par feus Marcel Boiteux et Jean Bergougnoux), au-delà des alternances politiques, qui avait permis qu’on réalise pleinement l’ambitieux programme nucléaire qui reste la base de notre système. Sans raison aucune, mais par mimétisme servile ou/et béat, on s’était mis à le honnir, le privant de futur, et on avait commencé à le démanteler (fermeture des deux réacteurs de Fessenheim). On part donc de loin, et le chemin est long et semé d’obstacles (société, ressources humaines, finance, difficultés techniques…).
Etudes de deux cas de figure :
A besoins réseau sans changement notable :
Si on déploie plus d’EnRi prioritaires, l’accroissement du risque d’instabilité du système électrique, diminuera, en moyenne, la contribution en énergie des autres sources pilotables et, en même temps, influera négativement sur le caractère exigeant de leur sollicitation en miroir (plus souvent, plus profondément …). Comme aujourd’hui, ce rôle serait tenu par l’hydraulique, les CCgaz et le nucléaire, en fonction de la manière dont on augure la suite de l’exercice, compte tenu des contraintes géo-économiques (économies d’eau, de gaz, de combustible nucléaire), sans omettre le rôle-clé (équilibre du réseau et apport en puissance) que peuvent jouer nos deux dernières centrales charbon (Cordemais et Saint Avold), dont l’exploitation est prolongée à dessein pour mieux « passer les pointes » et dont la puissance cumulée (3 x 600 MW), correspond exactement à celle de Fessenheim (2 x 900 M), un (douloureux rappel !).
Pas ou peu de marges supplémentaires seraient ainsi créées au moment des périodes de forte consommation même si, statistiquement, on devrait constater une plus grande contribution des EnRi au franchissement de ces moments-clé. Mais l’enjeu reste de pouvoir toujours disposer de la puissance nécessaire, ce que les EnRi, même augmentées, ne peuvent garantir, la nuit et en situation d’anticyclone, par exemple.
A besoins réseau notablement accrus (conformément ou au-delà des perspectives de RTE) :
Un surplus d’EnRi prioritaires contribuerait, en proportion, à leur satisfaction en énergie, mais le passage des périodes de forte consommation deviendrait plus problématique encore, sauf à accroître en égale proportion les moyens pilotables et sans doute maintenir l’exploitation des unités charbon précitées.
Le nouveau nucléaire n’étant pas encore disponible, l’hydraulique étant peu extensible c’est donc sur des CCgaz, à édifier, qu’il faudrait compter. Il est alors loisible (mais certainement iconoclaste) de s’interroger sur la nécessité de passer par la case « développement massif des EnRi » en attendant l’avènement du nouveau nucléaire ?
Viabilité économique
Dans son « discours de Belfort (février 2022) », fidèle à son mode d’approche « en même temps », le Président a annoncé, qu’on déploierait fortement à la fois les EnRi et le nucléaire (EPR2 et SMR), sauf que leurs entrées en lice seraient fortement décalées (moins peut-être pour l’éolien offshore, long à développer) sans dire que l’intermittence des nouveaux moyens EnRi devra être palliée, dans l’intervalle, par les moyens pilotables existants (hydraulique, gaz, nucléaire), mais aussi à construire (CCgaz).
En se projetant assez loin (2035 et au-delà), dans un contexte où un développement conséquent des EnRi aura été réalisé, où le nouveau nucléaire entrera progressivement en production et où des unités CCgaz auront été construites pour garantir la pilotabilité du réseau, tous ces moyens vont donc cohabiter, créant une offre récurremment superfétatoire Qu’en sera-t-il, alors, de la viabilité économique des différentes sources pilotables ?
Mais il est d’ores et déjà clair que, si on ne modifie pas les règles actuelles d’accès au réseau (priorité donnée aux EnRi) et de non-rémunération des services électriques (maintien de la fréquence, maintien de la tension,…) rendus par les moyens pilotables, les investissements lourds qu’ils impliquent ne pourront jamais être correctement rétribués, au risque même qu’ils ne soient pas réalisés du tout. Le bouclage du bilan électrique continuerait donc à se faire en s’appuyant structurellement sur les importations aléatoires, celles-ci ne pouvant garantir qu’il soit effectivement réalisé en toutes circonstances.
[1] EnRi : énergies renouvelables intermittentes (éolien et solaire)
[2] CCgaz : centrale électrogène utilisant le gaz naturel comme combustible et fonctionnant selon le principe du cycle combiné (une turbine à gaz + une turbine à vapeur).
[3] CSC : fissuration des aciers inoxydables par corrosion sous contraintes
[4] Souvent présenté comme allant de soi, le repowering de parcs éoliens anciens n’a pourtant rien de banal : les nouvelles machines sont plus puissantes et plus hautes, les anciens massifs sont inadaptés à l’effet de levier et les effets d’ombre (ou de sillage) exigent des espacements plus importants. Les puissances générées sont certes plus importantes, d’où des postes plus puissants et des câbles à redimensionner.
[5] Production éolienne nationale en aout 2023 : pour une puissance installée de 21GW, deux pics de production en début de mois 15 GW et 14 GW suivi d’une longue période de fluctuation autour de 2GW avec même un minimum à 0,6 GW.
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Toutes ces « réserves », vis à vis des ENRi me semblent parfaitement pertinentes et justifiées. Mais il semble difficile de résister à la pression des lobbys qui détiennent « la poule aux œufs d’or », et, accessoirement, à celle de l’Allemagne qui, très influente au sein de l’Europe, livre, notamment à la France, un combat « fratricide » (?…) sur fond de refus du nucléaire et d’énergie wende, qui commence cependant, à montrer sérieusement, ses limites !…