Alors que le sujet des ondes suscite de plus en plus de débats dans l’opinion, Sébastien Point, publie « La religion anti-ondes: Comment médias et associations ont fabriqué les électrosensibles ». Dans ce petit livre, le président de la section Rayonnements non ionisants de la Société française de radioprotection analyse le phénomène de l’ électrohypersensibilité (EHS). A la fois physicien, ingénieur, chercheur et doté d’un diplôme de psychopathologie, il démontre pourquoi ce syndrome n’a rien à avoir avec les ondes, mais repose davantage sur des causes d’origine psychologiques. Une thèse qu’il a bien voulu résumer en répondant à nos questions.
The European Scientist : Cela fait des années que vous travaillez sur la thématique des pseudo-sciences pouvez-vous nous rappeler votre parcours ?
Sébastien Point : J’ai eu la chance de naître et de grandir dans les Alpes-de-Haute-Provence, entre montagnes et Durance, dans une famille ouvrière. L’environnement y est idéal pour un enfant curieux des sciences naturelles : j’y ai découvert la chasse aux fossiles et aux minéraux, l’observation astronomique, que j’ai pratiquée (et pratique encore…) assidument, et me suis passionné, dès l’adolescence, pour l’optique instrumentale, jusqu’à intégrer une école d’ingénieur puis passer une thèse dans le domaine des rayonnements optiques. Depuis une dizaine d’années, mes travaux de recherche, pour lesquels j’ai dû passer un diplôme supplémentaire en psychopathologies, portent sur les effets biologiques et psychologiques des rayonnements, notamment les effets de l’éclairage artificiel.
C’est probablement d’une part, le pragmatisme issu de mon éducation « terrienne », et d’autre part, la confrontation aux fausses croyances dans le domaine des effets biologiques et psychologiques des rayonnements qui m’ont conduit à m’intéresser de près au monde des pseudosciences que j’ai découvert être un puits sans fond. Aucun domaine du réel n’échappe à la tentative des pseudo-sciences de travestir notre connaissance du monde mais le domaine des rayonnements, parce qu’il est complexe, et parce que les rayonnements sont invisibles, est particulièrement exposé aux informations pseudoscientifiques.
TES. : Vous venez d’auto-éditer un ouvrage intitulé « la religion anti-ondes, comment médias et associations ont fabriqué les électrosensibles » pourquoi ce sujet est il important ?
S.P. : Les ondes radiofréquences, dans le cadre de leur usage domestique, ne posent pas de problème pour la santé. Mais, parce que le sujet est néanmoins complexe scientifiquement, certains parviennent à entretenir l’idée, avec souvent des motivations économiques, que les émetteurs d’ondes, en particulier les téléphones cellulaires, sont dangereux pour la santé et qu’il faut s’en protéger. C’est l’occasion de faire, pour beaucoup, du business, en vendant des « équipements » de protection anti-ondes ou encore des remèdes. Le drame, c’est que cette exposition aux informations inquiétantes sur les ondes a vraiment créé une maladie, l’électrosensibilité, qu’il est plus correct d’appeler électrophobie.
TES. : D’après-vous il y a un effet Dunning-Kruger dans le milieu anti-ondes qui est dû au fait de la mauvaise compréhension de ce que sont les ondes électro-magnétiques. Pouvez-vous nous expliquer en quelques lignes pourquoi ces dernières ne sont pas dangereuses.
S.P. : D’abord, beaucoup de nos concitoyens, inquiétés par les discours anti-ondes, se renseignent sur internet, et y collectent énormément d’informations, sans se rendre compte que cette collection d’informations est très souvent entachée par le biais de confirmation, un biais cognitif par lequel un individu accorde naturellement plus d’intérêt aux informations qui confortent ses propres convictions préétablies. Puis, comme vous le mentionnez, par effet Dunning-Kruger, certains d’entre eux se pensent experts, croient « avoir fait leurs propres recherches », et affirment, avec l’autorité de « l’expert » et à qui veut l’attendre, que les ondes de notre environnement sont dangereuses.
Mais les ondes nous entourent depuis l’origine de l’Homme. La lumière visible est une onde. Les rayonnements ultraviolet et infrarouge du Soleil également. L’ère industrielle a généralisé la présence dans le monde d’autres types d’ondes, comme les ondes hertziennes. Toutes ces ondes, y compris la lumière, ont des effets biologiques qui, à partir d’un certain niveau d’exposition, d’une certaine intensité, peuvent provoquer des effets sanitaires. Il existe donc un champ scientifique dédié à l’évaluation et à la protection des personnes vis-à-vis des rayonnements, c’est la radioprotection, très bien représentée en France par la Société Française de Radioprotection. Grâce aux ingénieurs, physiciens et biologistes travaillant dans ce domaine, les valeurs conduisant à ces effets sanitaires sont bien connues et les appareils émetteurs d’ondes (qu’il s’agisse par exemple de votre lampe de chevet ou de votre téléphone portable) doivent respecter des intensités maximales d’émissions. Le respect de ces limites, qui bénéficient d’ailleurs de marges de sécurité importantes, garantit l’innocuité de ces dispositifs.
TES. : Les anti-ondes, depuis toujours, s’appuient sur des études dont certaines étudient des milliers de cas. Pourquoi pensez-vous qu’elles n’ont aucune crédibilité ?
S.P. : Je ne dis pas qu’elles n’ont aucune crédibilité, mais que par nature, elles sont fortement biaisées et que leurs résultats doivent être considérés avec énormément de précaution et remis dans leur contexte. Permettez-moi d’expliquer un peu plus dans le détail : les études régulièrement mises en avant par les anti-ondes sont des études cas-témoins, au cours desquelles on compare une population déjà malade à une population témoin, non malade. Certaines de ces études trouvent une relation de corrélation entre, par exemple, la survenue de tumeurs cérébrales et l’utilisation du téléphone portable. Mais, outre le fait que corrélation n’est pas causalité, les études cas-témoins souffrent par nature de très nombreux bais : mauvaise évaluation de l’exposition, qui est rapportée de mémoire par le sujet pouvant faire l’erreur d’attribuer de lui-même son état à l’exposition aux ondes ; biais d’expérimentateur ; biais de recrutement de la population témoin ; mauvais contrôle des facteurs de confusion, etc… les sources d’erreurs sont nombreuses dans ces études dont les résultats sont d’ailleurs contredits par les études dites de cohortes, au cours desquelles des centaines de milliers de gens ont été suivis pendant de nombreuses années, avec une évaluation plus fiable, parce qu’ « en temps réel », de l’exposition aux ondes et un enregistrement des pathologies survenant au cours de leur vie. Et ces études de cohorte ne soutiennent aucune corrélation ni causalité entre exposition aux ondes et une quelconque pathologie.
TES. : Pouvez-vous nous décrire le phénomène des EHS (électrohypersensibilité) ? Quels sont leurs symptômes ? Qui sont-ils ? Pourquoi ce mouvement ne cesse de grossir ?
S.P. : En première approche, l’électrohypersensibilité est une pathologie, sans description médicale et autodiagnostiquée, qui serait liée à l’exposition aux ondes électromagnétiques, même de faible intensité. Les symptômes sont très nombreux, et non spécifiques. Par exemple, des démangeaisons, de la fatigue, des nausées, des palpitations cardiaques… Il y aurait 80 symptômes répertoriés. Beaucoup de personnes atteintes s’isolent de façon dramatique et tentent de blinder leur environnement contre les ondes. Certaines études ont tenté d’établir la démographie de la population d’électrohypersensibles. Ils seraient actuellement quelques pourcents dans la population, avec un rapport de genre très marqué de 2 femmes atteintes pour 1 homme, et une fraction non négligeable d’entre eux se déclarant également chimiosensibles. Pourquoi le mouvement ne cesse de grossir ? Le phénomène de multiplication des émetteurs d’ondes est le coupable idéal, pour beaucoup. Pourtant, il n’y a très probablement aucun lien entre cette pathologie et l’exposition réelle aux ondes électromagnétiques. Ce qui fait grandir l’épidémie d’électrohypersensibilité, c’est selon moi un phénomène de foule psychologique. Mais peut-être y reviendrons-nous.
TES. : Certains ont parlé de phénomènes inexplicables par la science… vous tentez cependant une explication psychologique et allez même jusqu’à formuler une définition du phénomène ; vous employez l’expression « mécanisme phobique ». Pouvez-vous détailler ? Savez-vous s’il existe des psychologues qui travaillent sur le sujet ?
S.P. : Aucune étude solide n’atteste d’effet toxique des ondes sur l’Homme en dessous des limites normatives. Par ailleurs, des études de provocation ont été réalisées sur des populations d’électrohypersensibles pour déterminer s’ils étaient capables de « ressentir » les ondes. La conclusion principale de ces études de provocation est qu’un électrohypersensible n’a pas plus de réussite à dire qu’un appareil émetteur d’ondes est allumé ou pas qu’une pièce de monnaie que l’on jouerait à pile ou face. D’ailleurs, aucun mécanisme plausible ne peut être convoqué pour expliquer qu’un électrohypersensible puisse ressentir les ondes.
Il est donc nécessaire de prendre du recul, d’être très pragmatique et d’accepter l’idée qu’ électrohypersensibilité et exposition réelle aux ondes sont décorrélées. D’ailleurs, plusieurs auteurs des études de provocation déjà évoquées ont conclu que la somatisation, liée à la crainte d’être exposé, devait jouer un rôle majeur, puisqu’ils ont vu des électrohypersensibles souffrir au cours des expériences, au point de quitter la salle d’expérimentation, en condition d’exposition fantôme, c’est-à-dire quand les émetteurs d’ondes étaient éteints. J’ai donc fait l’hypothèse fondamentale que l’électrohypersensibilité est un trouble anxieux. Mes travaux m’ont conduit à mettre en lumière des éléments troublants : la démographie de l’électrohypersensibilité est très similaire à celle des phobies spécifiques, comme la peur du vide ou des piqûres, jusqu’au rapport de genre qui est aussi de 2 femmes atteintes pour 1 homme. Ce rapport de genre est identique pour les personnes se disant chimiosensibles. Par ailleurs, le rapport de genre est d’environ 3 :1 lorsque l’on considère les phobiques souffrant de plus de 2 phobies. Et il est aussi de 3 :1 environ lorsque l’on considère une population d’électrohypersensibles se disant aussi chimiosensibles… Tout cela plaide pour l’existence d’un mécanisme sous-jacent commun entre phobies, électrohypersensibilité et même chimiosensibilité. Ajoutez à ce constat que les symptômes décrits par les électrohypersensibles sont quasi-identiques à ceux ressentis par les phobiques et les personnes anxieuses, que plusieurs des marqueurs biologiques retrouvés dans le sang des électrohypersensibles sont des marqueurs de l’anxiété ou de la détresse psychologique, et vous obtenez un faisceau de preuves très cohérentes en faveur d’une origine psychologique de l’électrohypersensibilité.
Il était donc nécessaire de proposer un modèle, qui puisse être la base de futures confirmations expérimentales. Dans le modèle que je propose, c’est quand des personnes, souffrant déjà d’une vulnérabilité biologique à l’anxiété (à cause d’une hypertrophie des hippocampes cérébrales) , sont exposées aux informations inquiétantes entourant les ondes qu’elles entrent dans la phobie des ondes, à travers un double mécanisme circulaire que je décris dans mon ouvrage, et dont les moteurs sont l’amplification somatosensorielle d’une part et la réussite des stratégies de défense et d’évitement d’autre part. Les électrophobiques ne peuvent sortir selon moi de cette mécanique infernale qu’avec l’aide de thérapies cognitives comportementales qui restent à développer de manière formelle. Des travaux en ce sens ont déjà eu lieu par le passé, de manière isolée, avec semble t-il de bons résultats. Mais il faut systématiser cette prise en charge par thérapie cognitive comportementale à partir d’un modèle psychologique de la maladie.
TES. : La communauté des EHS semble s’agrandir un peu plus tous les jours. Il y a même un marché pour ça.
S.P. : Oui, elle s’agrandit probablement à cause du phénomène de foule psychologique par l’entremise duquel une foule, pas forcément réunie géographiquement mais par exemple liée à travers les réseaux sociaux, cristallise ses croyances et devient imperméable au raisonnement rationnel. Et cette foule grandissante de croyants-malades est une aubaine commerciale énorme pour les vendeurs de gadgets « anti-ondes », car il est facile de les faire devenir captifs à cause de la nature même de la phobie. Je m’explique en deux mots : les objets anti-ondes, qui souvent se vendent très chers, font partie des stratégies de défense et d’évitement mises en place par les électrohypersensibles. Dans notre approche, ils sont assimilables à des objets contra-phobiques et semblent efficaces sur le moment puisqu’ils contribuent à rassurer le phobique, convaincu de l’efficacité du dispositif, et donc à diminuer son niveau d’anxiété. Mais in fine ces objets contra-phobiques confortent le malade dans sa phobie puisque ce dernier « constate », en s’illusionnant, qu’il va mieux grâce à eux et en déduit que les ondes sont bien à l’origine de mal. Ces objets anti-ondes sont de nature à maintenir et amplifier la maladie. C’est un business idéal qui crée et entretient le besoin.
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Je suis d’accord sur la problématique de l’anxiété et des besoins de trouver des points de fixation explicatifs. Cependant l’article ne pointe pas les critères des études « solides » qui n’attribuent pas de nuisance humaine aux ondes.
Critères de dégagement de chaleur ?
Les normes actuelles semblent bien loin d’une tentative d’exploration scientifique pour la recherche des actions des ondes en fonction de leur puissances et fréquences.
Les découvertes sur l’effet des ondes ne font que commencer et , déjà, réduire le champ des questionnements en s’appuyant sur des études solides non précisées est un pari peut être dangereux !