Aiguillonnée par les rapports du GIEC, et dans le cadre des accords de Paris, l ’Europe s’était engagée en 2021 à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Dans le même temps, le Parlement européen vient de porter à 42,5% la part contraignante d’énergies renouvelables (EnR) du mix énergétique. Des développements récents ont mis en lumière l’absence de synergie entre ces 2 objectifs, notamment au vu des coups de boutoirs portés par les députés écologistes contre les dérives de la principale source d’ énergie renouvelable qu’est la biomasse (59% de la production totale), qui se trouve par ailleurs accusée d’entraîner un « scandale sanitaire et une bombe climatique ». [1] En raison des dommages environnementaux qu’elle entraîne sur les forêts, des ONG et des citoyens européens ont attaqué en justice la directive (UE) 2018/2001 de 2018 [2] en tant qu’elle incluait la biomasse forestière dans les énergies renouvelables. Au vu de l’importance des contraintes destinées introduire des énergies pourtant controversées, on peut s’interroger sur la réalité des principes de subsidiarité et de proportionnalité que doit respecter la Commission de L’UE pour imposer des objectifs aux États membres en matière d’énergie, ainsi que sur la qualité des analyses d’impact qui doivent présider à toute Directive.
Ces lacunes étant de nature à les exposer à des recours juridiques.
Le fonctionnement de l’UE
Depuis le Traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, l’UE dispose de compétences clairement définies en matière de mix énergétique, afin de répondre aux objectifs communs des États membres. Son article 194 précise en effet que :
« 1. Dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, (…) :
- a) à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie;
- b) à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union;
(…) »
Cette prérogative, doit répondre aux principes de subsidiarité* et de proportionnalité** et repose sur trois processus : l’évaluation, l’analyse d’impact et la consultation des parties prenantes. [3]
Selon la Commission européenne « Les analyses d’impact représentent un élément essentiel du programme de la Commission pour une meilleure réglementation, qui vise à concevoir et à évaluer les politiques et les législations de l’UE de manière à ce qu’elles atteignent leurs objectifs le plus efficacement possible. » [4]
Rappel des lois, Directives et contraintes
Le 24 juin 2021, le Parlement européen engageait donc l’Europe à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, avec l’étape intermédiaire de réduction d’au moins 55% de ses émissions d’ici 2030, par rapport au niveau de 1990. [5]
Parallèlement, le 12 septembre 2023, ce même Parlement vient de fixer pour 2030 l’objectif contraignant pour les États membres de porter à 42,5% la part d’énergies renouvelables de la consommation finale d’énergie. [6]
Le texte adopté semble manquer de précision sur la contrainte juridique pesant sur chaque État membre. En effet, le précédent cadre d’actions [7] à horizon 2030 différenciait l’objectif contraignant, tel que la réduction des gaz à effet de serre, de l’ objectif contraignant au niveau de l’UE tel que les 27% d’EnR à horizon 2030, conformément à la communication de la Commission au Parlement du 24 janvier 2014: « Un objectif de réduction des émissions de GES de 40 % devrait intrinsèquement encourager une augmentation d’au moins 27 % de la part des énergies renouvelables dans l’UE. La Commission propose donc de faire de cette augmentation l’objectif de l’UE en ce qui concerne la part d’énergies renouvelables consommée dans l’Union. Cet objectif serait contraignant pour l’UE, mais pas pour les États membres individuellement ».
La nouvelle Directive [8] rehausse « l’objectif contraignant au niveau de l’Union visant à augmenter la part de l’énergie renouvelable dans la consommation d’énergie de l’Union d’ici à 2030 ».
Et prévoit notamment que :
« Les États membres veillent collectivement à ce que la somme de leurs contributions corresponde au moins au niveau de l’objectif spécifique contraignant de l’Union pour les énergies renouvelables pour 2030 fixé à l’article 3, paragraphe 1, de la directive (UE) 2018/2001.».
En tout état de cause, la formulation est « Les États membres veillent collectivement à ce que la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’Union en 2030 soit d’au moins 42,5 % ». Contrairement à la Directive de 2009 qui déclinait les objectifs de chaque pays de façon précise.
Quoi qu’il en soit, la poursuite de ces 2 objectifs distincts : neutralité carbone et part d’EnR, fait apparaître l’absence de leur synergie, voire leur antagonisme, dans la mesure où certaines énergies renouvelables sont couplées avec un backup thermique, tandis que d’autres, comme la biomasse, ne sont même pas neutres en carbone.
Or, selon l’association Bioenergy Europe, la biomasse représente 59% de la production d’EnR au niveau de l’UE [9]. En France, elle constitue plus de la moitié de la production d’EnR, dont 35% pour le seul bois énergie. [10]
Le seul chauffage individuel au bois étant la principale production d’EnR devant l’hydraulique [11]
Pour le CITEPA, qui est l’organisme officiel de comptabilisation des émissions, la biomasse n’est pas neutre en carbone. [12]
Selon lui : « La combustion du bois émet du carbone sous forme de CO2. Si l’on considère le bois du point de vue de ses qualités en tant que combustible, on constate qu’il émet davantage de CO2 que beaucoup d’autres combustibles à énergie produite donnée »
Il précise ses réserves « Il est possible en intégrant l’efficacité énergétique du bois, la vitesse de croissance des arbres et des seuils de saturation de modéliser des seuils à partir duquel il devient pertinent du seul point de vue carbone, d’exploiter des peuplements en bois énergie. Bien souvent d’un point de vue carbone uniquement il serait sans doute préférable de laisser plus longtemps le bois en forêt, la saturation carbone en forêt étant rarement atteinte. »
Les réserves de la Directive
C’est la raison des réserves émises dans la dernière Directive adoptée par le Parlement qui précise le principe d’utilisation en cascade de la biomasse qui consiste à viser une utilisation efficace des ressources de la biomasse en donnant la priorité, « chaque fois que possible à l’usage matériel de la biomasse par rapport à son usage énergétique. »
Elle développe cette problématique
« Conformément au principe d’utilisation en cascade de la biomasse, la biomasse ligneuse devrait être utilisée en fonction de sa valeur ajoutée économique et environnementale la plus élevée, selon l’ordre de priorité suivant: produits à base de bois, allongement de la durée de vie des produits à base de bois, réutilisation, recyclage, bioénergie et élimination. Lorsque plus aucune utilisation de la biomasse ligneuse n’est économiquement viable ou appropriée sur le plan environnemental, la valorisation énergétique aide à réduire la production d’énergie à partir de sources non renouvelables. Les régimes d’aide des États membres en faveur de la bioénergie devraient donc être orientés vers les matières premières »
Et présente le recours à la biomasse ligneuse comme un pis-aller en cas de force majeure :
« Les États membres devraient être autorisés à déroger audit principe dans des circonstances dûment justifiées, Par exemple lorsque cela est nécessaire à des fins de sécurité de l’approvisionnement énergétique, par exemple dans des conditions climatiques de grand froid. (…) Les États membres devraient notifier de telles dérogations à la Commission. Les États membres ne devraient pas accorder d’aide financière directe à la production d’énergie à partir de grumes de sciage et de placage, de bois rond de qualité industrielle, de souches et de racines ».
Auparavant, la Commission européenne n’avait pas réussi à surmonter les divisions entre le Parlement et les 27 États membres [13] qui ne jugeaient pas acceptable ce type de restrictions concernant la définition de la biomasse « renouvelable » qui compromet leurs possibilités d’atteindre les objectifs imposés.
En septembre 2022, les 3 principaux groupes du Parlement européen soutenaient pourtant la fin des subventions à la biomasse utilisée dans les centrales électriques et à exclure la combustion de biomasse ligneuse primaire des objectifs de l’Union européenne en matière d’énergie renouvelable [14] en raison de ses dérives qui encourage la déforestation, détruisent les habitats naturels et fragilisent le rôle de puits de carbone joué par les forêts, ainsi que le rapporte Euractiv.
L’avis du CITEPA
Le CITEPA rappelle que [15]
« Parmi les combustibles, la consommation de biomasse est le principal contributeur d’émissions de PM10, représentant environ 55% des émissions de la combustion de combustibles en 1990 et 69% en 2018 »
Et précise
« Le chauffage au bois est une source d’énergie renouvelable, locale et économique. L’usage du bois (sous forme de bûches, granulés, etc.) pour le chauffage domestique est une source d’énergie qui génère des émissions de polluants, lors de la combustion, mais aussi des émissions de gaz à effet de serre.
En termes de gaz à effet de serre, dans l’inventaire national d’émission de gaz à effet de serre, les émissions de CO2liées à la récolte du bois (qu’il s’agisse de bois énergie, de bois industrie ou de bois matériau) sont bien comptabilisées dans le secteur UTCATF (Utilisation des Terres, Changements d’Affectation des Terres et Forêt). Le bois énergie est parfois considéré à tort, ou sous forme de raccourci, comme neutre en carbone. Pour en savoir plus sur ce point précis, lire notre analyse : « la biomasse énergie est-elle neutre en carbone ? », supplément au rapport Secten éd. 2020.
Et continue « En termes de polluants, le secteur résidentiel est le premier émetteur des PM10 et PM2,5 en France (respectivement 34% et 53% en 2018), dont la quasi-totalité provient de la combustion des appareils de chauffage. » [16]
C’est ainsi qu’il apparaît aujourd’hui que la principale source d’énergies renouvelables n’est pas neutre en carbone, mais aussi responsable d’un véritable scandale sanitaire sur la qualité de l’air. [17].
La biomasse, et après l’hydraulique
On connaît l’opposition farouche des écologistes à toute entrave au cycle naturel de l’eau, notamment par des actions violentes, qui compromet le développement de la 2ème filière renouvelable qu’est l’hydraulique.
En effet, s’il est légitime d’admirer le mix électrique norvégien dont les 96% d’énergie hydraulique sont essentiellement permis par son système hydrologique naturel, il reste écologiquement contestable de promouvoir systématiquement la généralisation des retenues d’eau.
Les EnR électriques intermittentes
Tandis que les EnR électriques intermittentes, éolien-PV entraînent l’augmentation des facteurs d’émission des centrales thermiques chargées du lissage de leur production sans qu’aucune étude d’impact ne semble l’avoir pris en compte [18].
On attend d’ailleurs la réponse du Gouvernement sur la question de la Sénatrice Loisier sur cette apparente carence. [19]
Enfin, la voracité en espace naturel et en matériaux critiques caractérise le photovoltaïque et l’éolien, ce dernier ne cachant même plus ses atteintes à l’environnement décomplexées par les Recommandations de la Commission européenne (§24) [20] qui considère que « Les États membres devraient veiller à ce que la mise à mort ou la perturbation d’espèces données d’oiseaux sauvages et d’espèces protégées au titre de la directive 92/43/CEE du Conseil12 ne fasse pas obstacle au développement de projets dans le domaine des énergies renouvelables »
Objectif santé
Ce 13 septembre 2023, ce même Parlement européen vient de voter à une large majorité un durcissement des limites de la qualité de l’air, notamment des seuils de PM10 et PM2,5, et autres polluants liés à la combustion [21], afin de respecter les nouvelles recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [22], avant d’atteindre l’objectif zéro pollution d’ici 2050.
On sait d’ailleurs que la France a déjà été condamnée sur ce point, alors qu’elle respectait son plafond d’émission de particules fines, mais pas celui du contrôle de leur concentration dans l’air, notamment pour des dépassements du seuil du seuil de 50 µg/m3, formellement identifiés en provenance d’Allemagne [23].
Après le vote, le rapporteur aurait déclaré : « La lutte contre la pollution de l’air en Europe exige une action immédiate. Cette pandémie à retardement a un impact dévastateur sur notre société, entraînant des décès prématurés et une multitude de maladies cardiovasculaires et pulmonaires ».
Un objectif difficile à justifier
En doublant ses ambitions en termes d’énergies renouvelables tout en revenant sur la pertinence des règles de la moitié de sa production, la nouvelle Directive pose la question du respect du principe de proportionnalité qui lui interdit d’excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, ainsi que de celui de subsidiarité supposé indispensable pour permettre à la France de participer de façon plus efficace à « la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union ».
En l’espèce, en n’encourageant pas les puissants turbo-alternateurs de son parc pilotable et déjà décarboné à jouer pleinement leur rôle dans la stabilité dynamique [24] d’u n réseau européen amené à injecter toujours plus d’intermittence pour réduire sa production majoritairement fossile»
En tout état de cause, cette Directive met en lumière l’insuffisance des études d’impact qui auraient légitimé la précédente promotion et le financement de la biomasse ligneuse. Études supposées prendre en compte son impact environnemental.
Seul un juge saurait conférer la moindre pertinence juridique à ces considérations.
Encore faudrait-il que la question lui soit dûment posée.
* Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l’échelon supérieur – ici l’UE – ce que l’échelon inférieur – les États membres de l’UE – ne pourrait effectuer que de manière moins efficace.
** En vertu du principe de proportionnalité, les mesures de l’UE :
- doivent être adaptées pour atteindre le but recherché ;
- doivent être nécessaires pour atteindre le but recherché ;
- ne doivent pas imposer à l’individu une contrainte excessive par rapport à l’objectif à atteindre (proportionnalité au sens étroit).
2 https://selectra.info/energie/actualites/politique/union-europeenne-biomasse-charbon
4 https://commission.europa.eu/law/law-making-process/planning-and-proposing-law/impact-assessments_fr
7 https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/climate-change/2030-climate-and-energy-framework/
8 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0303_FR.pdf
9 https://selectra.info/energie/actualites/environnement/biomasse-renouvelable-europe
11 https://www.ecologie.gouv.fr/biomasse-energie
12 https://www.citepa.org/wp-content/uploads/3.2-Biomasse-%C3%A9nergie-et-neutralit%C3%A9-carbone.pdf
15 https://www.citepa.org/fr/2020-pm10/
16 https://www.citepa.org/fr/2021_04_b02/
19 https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230506667.html
20 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=PI_COM:C(2022)3219
22 https://www.who.int/news-room/feature-stories/detail/what-are-the-who-air-quality-guidelines
23 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/directives-europeennes-vs-la-france-den-bas/
24 http://lemontchampot.blogspot.com/2021/12/stabilite-dynamique-et-blackout-en.html
Par Archiwum Kancelarii Prezydenta RP — www.prezydent.pl, GFDL 1.2, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3221641
Quel travail ! quelle patience !
Je ne vous remercierai jamais assez pour tout ce que vous faites pour nous
déconnecter de cette bande de dingues qui gouverne aujourd’hui le
monde occidental exactement comme s’ils voulaient le détruire.
Qui contrôle le CO2 contrôle le monde. Il a été décidé dans les statuts du GIEC, sans qu’il y ait la moindre preuve scientifique, que les émissions de CO2 ont une action mesurable sur la TMAG (température moyenne annuelle globale). Nos émissions françaises ne sont que de 0,9% du total des émissions anthropiques, elles-mêmes de l’ordre de 4% du total des émissions de CO2 (AR5, page 472) . Voyons si notre politique climat-énergie est en cohérence avec cet objectif, tout comme les objectifs de l’UE, même si cet objectif anti-CO2 est irrationnel et non justifié. Selon une étude de l’Ademe, voici les taux d’émissions de CO2 par type de source d’électricité : nucléaire : 6 g/kWh, éolien : 15 g/kWh, solaire : 55 g/kWh. L’hydraulique a un bilan carbone particulièrement vertueux. Or, notre politique est de réduire le nucléaire et de développer à marches forcées le solaire et l’éolien (notamment avec une usine éolienne en baie de Saint-Brieuc à 150 €/MWh, qui va polluer durablement ce riche écosystème par des particules d’aluminium et ruiner l’économie locale, ce projet aberrant étant soutenu par le gouvernement, qui n’hésite pas à mentir sur les performances. Une politique climat-énergie sensée consisterait donc à augmenter le nucléaire vertueux (générations III et surtout IV) et arrêter l’éolien et le solaire non vertueux. Mais, comme l’UE, nos gouvernants font exactement ce qu’ils ne devraient pas faire, avec en sus un dérapage du prix du kWh, des surcoûts externes pour pallier l’intermittence, et un écocide par l’éolien (massacre d’oiseaux, de migrateurs, de rapaces et de chauves-souris, pollution des mers par l’aluminium ).