Cet article est la seconde partie d’un diptyque sur la mutagenèse écrit par le Docteur Phillipe Joudrier.
Il y a environ 80 ans, le physiologiste J.S. Haldane avait estimé que le taux de mutation chez l’Homme était de 1 base sur 25 millions et par génération en se basant sur le gène impliqué dans l’hémophilie.
Des études ultérieures basées sur le phénotype ou la comparaison de séquences entre des espèces apparentées (telles que les hommes et les chimpanzés) ont établi que le taux de substitution dans le génome humain se situe à environ une base tous les 23 à 63 millions de nucléotides et par génération. Les méthodes actuelles de séquençage de l’ADN confirment l’estimation initiale de Haldane.
Il semble aussi que le taux de mutation ne soit pas le même au sein du génome. Certains gènes paraissent ne jamais subir de mutations comme, par exemple, ceux codant les histones. En effet, ces protéines sont quasiment identiques chez tous les organismes eucaryotes.
En théorie, il n’y a pas de raison pour que les gènes qui codent ces protéines subissent moins de mutations que n’importe quelle autre région du génome. Cela veut donc dire que toute mutation atteignant les gènes d’histones conduit à des protéines non fonctionnelles et à la non viabilité de l’organisme qui alors disparait.
Bien d’autres étapes de la vie cellulaire peuvent être perturbées si les mutations touchent la transcription de l’ADN en ARN messager, les RNA interférents (siRNA et miRNA), la traduction de l’ARN messager en protéine, mais aussi des modifications post-traductionnelles subies par les protéines et leur routage au sein des différents compartiments cellulaires).
Ce à quoi il faut également ajouter tous les mécanismes présents au sein même des organismes qui ont pour rôle de réparer l’ADN lorsque celui-ci subit des modifications, car il peut arriver aussi que ces mécanismes aient des ratés !
On sait aussi, que la teneur en ADN d’un organisme donné peut varier considérablement au sein de la même espèce. Ainsi on a pu mesurer que des variétés de maïs pouvaient avoir des variations de teneur en ADN atteignant 42%, pour le soja, c’est 12% seulement mais cela représente malgré tout environ 132 millions de bases sans que l’on puisse nécessairement le discerner systématiquement.
Pour être le plus complet possible, il ne faut pas oublier les mutations qui peuvent se produire au sein des génomes de micro-organites cellulaires tels les plastes et les mitochondries.
La stérilité mâle cytoplasmique est souvent due à une mutation touchant le génome mitochondrial.
Si on se réfère maintenant à la problématique des OGM, il est clair que ce que l’Homme va faire subir volontairement à un organisme n’est pas quelque chose de nouveau ou d’inconnu de tout ce qui se passe lors de la vie cellulaire.
Nul besoin alors d’inventer des phénomènes spécifiques les concernant surtout parce que ce serait l’Homme qui a fait ces modifications.
Les mutations se font spontanément et constamment dans l’environnement. Ces mutations se font au hasard, touchent les organismes vivants au hasard pendant toute la durée de leur existence. L’Homme, via la transgénèse, (et donc les OGM ‘classiques’) ne fait d’ailleurs qu’imiter et se sert de ce que font « naturellement » certains organismes pour transférer de l’ADN.
Par rapport à tout ce qui vient d’être présenté, il apparait clairement que la molécule d’ADN, pourtant dépositaire de l’information qui permet de construire un organisme et qui globalement est transmise de génération en génération, subit en permanence des modifications.
Les connaissances en cours d’accumulation et notamment celles qui concernent le séquençage du génome complet d’un nombre de plus en plus grand d’organismes révèlent que le génome est loin d’être un modèle de stabilité.
Parmi toutes les molécules du vivant, et alors que l’ADN est utilisé dans le discours des hommes, des entreprises (« c’est l’ADN de l’entreprise ») pour justifier d’une stabilité et d’une continuité, il n’y a pas de molécule autant instable que l’ADN. Ces molécules sont donc loin d’illustrer la stabilité, alors même qu’elles sont le dépositaire des informations nécessaires à la construction d’un organisme donné.
D’une manière générale, on constate des désordres de tous types chez les descendants issus d’un croisement « naturel » entre deux individus ‘normaux’.
Il n’est donc pas étonnant que l’on ait constaté par le passé quelques problèmes résultant de croisements conventionnels :
* l’apparition soit de nouvelles toxines, par exemple des alcaloïdes toxiques chez la pomme de terre, soit l’augmentation des teneurs en ces alcaloïdes déjà présents (Cucurbitacées, Solanacées, en général).
* la présence de nouveaux allergènes (crucifères notamment, céleri/psoralènes).
* des sensibilités nouvelles à des maladies notamment pour le maïs, le châtaignier.
Cependant, de tels cas sont rares parce qu’il est possible d’éliminer tout au long du processus de sélection les génotypes qui présentent un défaut mais aussi de ne pas retenir pour la poursuite du programme d’amélioration tout phénotype anormal (ne serait-ce que par le simple tri visuel), alors qu’on ne peut le faire chez l’Homme (d’où le nombre de maladies génétiques recensées).
En conclusion, les mutations naturelles dues à l’environnement ne sont pas évitables.
Les mutations qui se produisent au sein de l’organisme au cours de sa vie depuis la fécondation jusqu’à sa mort ne sont pas plus évitables.
On ne peut établir de relation entre l’importance d’une mutation (que ce soit une « petite » mutation ou que celle-ci ait conséquences nombreuses et /ou importantes) et ses conséquences (neutre, positif, négatif) chez un organisme donné.
Sur la thématique des OGM cela renforce donc une idée qui semble reprise de plus en plus par différents pays outre-atlantique voire même au sein de l’Europe qui serait de modifier les réglementations sur les OGM sur des bases scientifiques en les basant non plus sur l’évaluation de la (ou des) technique(s) permettant de les obtenir mais sur l’évaluation de la sûreté du produit final.
Pour simplifier le travail de nombreuses personnes et raccourcir le temps nécessaire pour aboutir à un tel résultat, il suffirait d’appliquer des réglementations déjà existantes qui sont justement fondées sur ce principe réaliste et cohérent aux OGM et des produits qui en sont issus.
D’une part le règlement « Novel Foods » 258/97 et le 178/2002 portant sur la « sûreté des produits alimentaires » (de la fourche à la fourchette).
Cela permettrait :
- Aux produits issus des biotechnologies de sortir du ghetto dans lequel ils ont été enfermés quasiment depuis l’origine des débats concernant les OGM.
- De relancer le développement des biotechnologies en France alors que notre pays accumule un retard de plus en plus grand dans ce domaine.
- De rendre nos agriculteurs plus compétitifs vis-à-vis de ceux qui utilisent pleinement ces biotechnologies en supprimant les distorsions de concurrence.