Le projet de neutralité climatique ne réussira que si le modèle européen devient l’inspiration pour les autres régions du monde.
La neutralité climatique propose un changement de paradigme civilisationnel comparable à la révolution industrielle. Ces derniers 200 ans, le développement accéléré du monde reposait sur l’accès aux sources d’énergie. Si plus de la moitié de la population mondiale habite désormais dans des villes parsemées de gratte-ciel, c’est justement en résultat d’un développement technologique spectaculaire dû à l’utilisation de nombreuses sources d’énergie.
À ce modèle économique ayant apporté un énorme bond civilisationnel durant les 200 dernières années, vient se superposer depuis un temps déjà la conscience que le progrès s’est fait au détriment des ressources de la planète et que le bilan des coûts et des bénéfices de ces changements nous est hautement défavorable. Ainsi est née l’idée d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050.
Ce projet ne réussira que si le modèle européen devient l’inspiration pour les autres régions du monde et qu’on parvienne à rejeter la conviction que la neutralité climatique n’est possible qu’au niveau de l’Europe.
On définit cet état comme la non-production de marchandises et services qui soient entachés de trace carbone. Cette définition, passant sous silence la consommation de tels marchandises et services, suggère clairement que nous pouvons continuer à produire de telles marchandises, mais ailleurs, dans d’autres parties du globe. Qu’on ne soit donc pas étonnés dans 30 ans d’entendre l’Europe annoncer fièrement avoir atteint la neutralité climatique alors que le niveau global de pollution de l’environnement sera deux fois supérieur à celui d’aujourd’hui à cause de la production commandée par notre continent dans d’autres régions du monde.
En plus, dans de nombreuses parties de la planète, la transformation énergétique est un processus nettement plus compliqué que dans les pays de l’Ouest de l’Europe qui se proclament leaders de la politique climatique. Prenant l’exemple de la Pologne : entre 1945 et 1989, son système économique reposait sur l’industrie lourde. Le fait que nous étions, au moment de la chute du communisme dans la région, une monoculture énergétique, a été un handicap en plus. Les autres pays d’Europe centrale qui, comme nous, avaient rejeté le communisme, ont hérité d’un mix énergétique plus diversifié – à côté des centrales thermiques à charbon, ils disposaient également de centrales à gaz, voire de centrales nucléaires (comme la Hongrie, la République tchèque ou la Lituanie). Pendant ce temps, la Pologne puisait son énergie presque exclusivement de la combustion de charbon.
Notre pays soutient l’objectif de neutralité climatique pour toute l’UE d’ici 2050. Elle apportera de très nombreux bénéfices, c’est indéniable, mais nous voyons aussi les dangers liés à ce nouveau paradigme civilisationnel. Il est donc important de prendre en compte dans ce processus notre spécificité polonaise.
La transformation énergétique se fait par l’abandon progressif d’une économie très gourmande en ressources et en travail au profit d’une économie gourmande en capitaux. Les centrales à gaz ou à charbon ont besoin d’effectifs en nombre pour leur entretien et des quantités importantes de matières premières pour les brûler tandis que les besoins en personnel et en matières des centrales nucléaires ou des panneaux photovoltaïques sont nettement moindres. L’investissement dans ces derniers nécessite par contre d’importants financements. Ce qui compte donc dans le cas des investissements climatiques, c’est le coût de la levée de capitaux, c’est-à-dire les taux d’intérêt.
L’Europe traverse un processus de transition énergétique et la Pologne veut y participer. Mais cela n’enlève pas la nécessité de penser en termes de notre souveraineté future. Nous avons nos aspirations. Nous tenons évidemment à trouver une synéergie avec la politique climatique de l’Union à horizon 2050, mais nous devons prendre en compte nos possibilités d’investissement. Nous ne sommes pas dans la position des pays de l’Ouest de l’Europe pour lesquels il est beaucoup plus facile de trouver des capitaux nécessaires à la transformation du secteur énergétique. Nous tenons à ce que nos partenaires européens fassent preuve de compréhension et de solidarité à ce sujet.
L’idée de neutralité climatique deviendra un vrai paradigme civilisationnel si elle est appliquée équitablement. Nous devons tendre vers la situation où production et consommation s’équilibreront partout dans le monde, et où la transformation se fera avec la prise en compte de la spécificité régionale.