Attaque d’un train de blé en Bretagne, mauvaises performances du marché du bio, conséquences du conflit ukrainien sur le marché agricole mondial, le journaliste Gil Rivière Wekstein, fondateur de la revue Agriculture et environnement (1) et auteur de plusieurs ouvrages (2) nous apporte son éclairage sur ces sujets stratégiques.
Une attaque vient de se produire contre un train de semences en Bretagne. Quelle en est d’après vous la cause ? Pensez-vous qu’il s’agit d’une forme d’écoterrorisme ?
Le qualifier d’écoterrorisme serait accorder à cet événement trop d’importance. Je dirais qu’il s’agit plutôt de cette nouvelle forme de délinquance perpétrée par une bande de pseudo-écologistes qui ne connaissent rien à l’agriculture, et dont l’idéologie les conduit à faire du gros n’importe quoi ! Ils pensaient trouver là du soja, alors que c’était du blé. Ils pensaient que le convoi était destiné à la société Sanders, alors que c’était la propriété d’une coopérative, c’est-à-dire d’agriculteurs. On a d’ailleurs du mal à comprendre la finalité de cette action tant elle est ridicule. Au prétexte qu’ils veulent dénoncer l’agro-industrie, ils ont saccagé le fruit d’une année de travail d’agriculteurs et privé les éleveurs de 1 500 tonnes de céréales pour leur cheptel. Il est temps que les pouvoirs publics sanctionnent ces « zozos urbains illuminés », pour reprendre les termes de Laurent Pinatel, l’ancien porte-parole de la Confédération paysanne.
Cela fait plusieurs années que vous portez un regard critique sur le secteur du bio. Pourtant, ce dernier semble s’être imposé sur le marché. Quelle est votre analyse ?
Le bio traverse aujourd’hui la plus grande crise de son histoire. Après des années de croissance ininterrompue, les ventes sont effectivement à la baisse. Ainsi, selon l’institut Kantar, les grandes surfaces, qui représentent 55 % des ventes, ont vu l’année 2021 se terminer avec un chiffre d’affaires en baisse de 5,8 % dans ce secteur, alors que la croissance était de 12,4 % en 2020. Et si les enseignes spécialisées ont pu limiter la casse avec une baisse de seulement 1,5 %, l’inquiétude reste néanmoins palpable. Et cela même chez le leader du secteur, Biocoop, dont les ventes ont reculé de 1 %, alors que 81 nouveaux magasins ont été ouverts l’an dernier.
Du côté des producteurs, c’est aussi la douche froide. L’année dernière, le géant laitier Lactalis, qui a dû écouler plus de 30 % de la collecte du lait bio au prix du lait conventionnel, a décidé de geler tous les nouveaux projets de conversion, tandis que son rival Sodiaal a réduit la collecte. Ils appellent tous les deux à stopper les conversions. Dans le secteur de la production d’œufs, on estime qu’il y a 1,15 million de poules bio en excédent, soit 14 % de l’effectif total de poules bio, en comparaison des besoins actuels du marché. Et tandis que les fruits et légumes frais bio accusent également un vrai décrochage, avec des volumes en baisse de 11 % sur un an, le cas du porc est particulièrement traumatisant : alors que seul 1 % du cheptel est bio, on est déjà en pleine crise de surproduction.
Tout cela ne s’explique pas exclusivement par le prix plus élevé de ces produits, comme voudraient le faire croire les acteurs de la filière. Certes, le prix ne joue pas en faveur du bio, et l’inflation qui menace le pouvoir d’achat de nombreux citoyens reste un frein fort. Mais ce n’est pas tout.
Il y a clairement chez les consommateurs le début d’un désintérêt, et cela pour une raison évidente. Après des années de campagnes anxiogènes organisées par le lobby du bio mettant systématiquement en accusation l’agriculture conventionnelle, les Français ont finalement compris que notre agriculture est excellente et qu’il faut encourager nos producteurs en achetant leurs produits, qu’ils soient bio ou non.
En clair, l’agribashing a atteint ses limites. Ils ont aussi compris que manger bio n’apporte rien de plus pour ce qui concerne leur santé, puisque les produits non bio sont de très bonne qualité sanitaire. Alors pourquoi payer plus ?
Face à cette cruelle réalité, l’Agence BIO a décidé de lancer une nouvelle campagne pour expliquer « les bienfaits de la bio », comptant ainsi attirer de nouveaux consommateurs, tandis que la Fnab – la fédération des producteurs bio – va promouvoir un label Bio+. Je crains surtout que ces initiatives créent plutôt de la confusion.
À cela s’ajoute l’impératif de la souveraineté alimentaire, qui a émergé avec la crise du Covid, et qui vient de se renforcer avec la crise ukrainienne. Comme le note Pascale Hébel, sociologue au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), « c’est le local qui devient une valeur clé ». Comme beaucoup d’observateurs, elle estime que, pour le bio, « 2022 devrait à nouveau marquer un recul », principalement en raison de la guerre en Ukraine, qui entraînera une inflation des produits alimentaires.
Justement, quel est l’impact de la crise ukrainienne sur l’agriculture mondiale et sur l’agriculture européenne en particulier ? Selon vous, cela aura-t-il des répercussions sur le plan F2F ?
Une excellente analyse de ma consœur Olivia Detroyat, dans Le Figaro, montre comment la crise en Ukraine bat en brèche le mythe du manger local. Elle explique : « Là où les consommateurs tricolores se disent toujours plus désireux de s’alimenter chez le producteur du coin, les deux crises, sanitaire (le Covid) et géopolitique (l’Ukraine), que nous vivons montrent à quel point nos assiettes sont devenues dépendantes du commerce mondial. » En effet, avec 1100 milliards de produits agroalimentaires échangés dans le monde, l’année 2020 a été la plus intense en termes de commerce mondial d’aliments, comme le soulignent les économistes de l’Inrae, l’institut agronomique de référence en France.
Dès lors, on comprend mieux que, lorsque deux producteurs importants de céréales manquent au rendez-vous de l’alimentation – l’Ukraine et la Russie exportent aujourd’hui 30% du blé mondial, et à elle seule, l’Ukraine pèse 50% du commerce mondial d’huile de tournesol –, ce soit l’équilibre fragile de toute l’alimentation du monde qui est mis en péril. Ainsi, il y a quelques jours, Michael Fakhri, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, a mis en garde la communauté internationale, estimant que ce conflit pourrait provoquer une « augmentation mondiale de la malnutrition et de la famine ».
Tout cela pousse les responsables politiques de nombreux pays à revoir leur copie pour que l’agriculture ne soit plus envisagée uniquement du point de vue de son impact sur l’environnement. Il faut produire, et par conséquent libérer les producteurs des trop nombreuses contraintes qui leur ont été imposées. Cela irrite, bien entendu, au plus haut point les écologistes radicaux, qui sont vent debout pour empêcher ce nécessaire virage. On le voit en particulier avec les débats autour de l’agriculture européenne et du projet Farm to Fork, qui va inévitablement être réévalué dans une optique différente. L’Europe va devoir produire plus, c’est une évidence.
(1) Agriculture environnement https://www.agriculture-environnement.fr
(2) Ouvrages de Gil Rivière Wekstein
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