L’exposé ci-après n’a d’ambition pédagogique que dans le registre de la vulgarisation. Loin de toute prétention didactique vis-à-vis des pairs de l’auteur, il s’adresse à tous les publics, bien que l’intégralité de son contenu ne puisse les toucher tous de la même façon. L’important est que chacun parvienne à y puiser ce que ses aptitudes intellectuelles lui permettent et ce que ses centres d’intérêt, ses cultures générale, universitaire, professionnelle et autre socioéconomique réclament en la matière.
Fiche signalétique sommaire de la Rolls des réacteurs de troisième génération
Les principales caractéristiques et performances de l’ilot nucléaire d’une tranche EPR et de ses auxiliaires, partiellement exposées dans la représentation ci-après, sont les suivantes :
-installations dimensionnées au séisme suivant le spectre European Utilities Requirements (EUR) envisageant une accélération à 0.25 g ;
-dimensionnement des systèmes et équipements considérant le cumul des accidents et du séisme dit de dimensionnement ;
-ensemble combustible de 241 assemblages, avec instrumentation fixe en interne, augmentant les marges cœur ;
-réacteur EPR d’une puissance thermique de 4500MW capable de délivrer une puissance électrique nette de 1650 MWe et même d’atteindre un rendement de 37 % ;
-Système de sauvegarde et de sûreté simplifié d’ordre 4 (4 trains), à redondance multiple, diversifiée et séparée physiquement : 1 train perdu pour accident ; 1 train perdu par convention ; 1 train non disponible car en maintenance ; 1 seul train disponible requis pour la gestion de tout accident.
-le confinement des radioéléments liquides et gazeux doit être assuré sur le court et sur long terme, de même que la stabilisation et le refroidissement du corium (cœur fondu) doivent être acquis sur la durée ; cf schémas précédant et suivant. L’absence de fuite directe vers l’environnement est garantie en toute circonstance.
-prise en compte des chutes d’avions (gros porteur civil ou militaire) dans un dimensionnement conséquent de l’enceinte externe dotée d’une « coque avion », une enceinte à l’intérieur de laquelle se trouvent le bâtiment combustible et les deux principaux bâtiments de sauvegarde ; voir le schéma suivant.
-comme précisé plus haut, les deux principaux bâtiments de sauvegarde sont séparés géographiquement, conformément à la représentation suivante :
-disponibilité moyenne d’une tranche EPR en exploitation industrielle de 91 %, grâce à une maintenance préventive réalisée en puissance et à une durée d’arrêt pour rechargement réduite, le tout sur une durée de vie d’au moins 60 ans ;
-dosimétrie globale des personnels de l’ordre de 0,4 Homme.Sievert/an, soit deux fois moins que ce qui est actuellement observé, en moyenne, sur les tranches françaises en exploitation.
-enfin, une tranche EPR rejette 90 % des effluents liquides d’une tranche PWR de seconde génération, 50% de ses effluents gazeux et, surtout, 70 à 80 % de ses matières irradiées, grâce au meilleur rendement de la tranche et à un haut taux de combustion de l’uranium plus élevé de l’ordre de 60 GWj/t.
Le premier EPR métropolitain ne devrait plus tarder à « diverger »
La réactivité : de quoi s’agit-il ?
La diffusion neutronique dans le cœur du réacteur provoque les fissions à l’origine de l’énergie thermique communiquée au cycle eau-vapeur faisant tourner le turboalternateur. Les neutrons sont émis par bouffées – par générations successives – permettant de définir le coefficient multiplicateur K = N2/N1.
Pour qu’il y ait divergence, le coefficient r = neutrons perdus/neutrons fissionnés doit être inférieur à 1,5.
À partir de là, ce que la conduite du réacteur contrôle rigoureusement c’est la réactivité ρ exprimée en pcm (parties pour cent mille) par la formule ρ = (N2-N1)/N1. À titre d’exemples, un ρ de 10 pcm et un ρ de -100 pcm signifient respectivement « une partie pour dix mille » supplémentaire à chaque génération, « une partie pour 1000 » en moins à chaque génération.
À marche nominale, ρ = 0 (K=1) et le réacteur est dit « critique ». Il devient « souscritique » quand ρ est rendu négatif dans le but d’arrêter le réacteur, « surcritique » quand ρ est (malencontreusement) supérieur à 0, un grand risque à prohiber expliquant l’obligation absolue de conserver l’état critique d’un réacteur en fonctionnement sous contrôle strict.
Les moyens naturels de contrôler la réactivité ρ
Il faut savoir que l’eau du circuit primaire est à la fois le fluide caloporteur de la chaleur produite par le cœur du réacteur et le modérateur de la vitesse de déplacement des neutrons, sans lequel le niveau requis de fissions des noyaux nucléaires ne serait statistiquement pas obtenu. Idéalement, l’état dit thermique des neutrons correspond à une vitesse de déplacement de 2,2 Km/s, vitesse passant à 20000 Km/s à l’issue d’une fission.
Nous verrons plus loin que l’un des moyens de contrôler artificiellement ρ consiste à diluer ou à concentrer du bore neutrophage (capturant les neutrons) dans cette même eau primaire. La concentration en bore s’exprime en ppm (parties par millions).
L’effet de température du modérateur, l’eau : Si la température T de l’eau primaire augmente, la densité du fluide diminue et, par conséquent, la concentration des noyaux par unité de volume, la modération des neutrons et donc ρ diminuent également. Parallèlement, la concentration en bore par unité de volume diminue, entraînant moins de captures de neutrons et donc une augmentation de ρ tempérant la baisse précédente.
L’effet Doppler : l’augmentation de la température T de l’eau primaire provoque l’absorption croissante d’un uranium 238 composant 97 à 98 % de l’uranium enrichi et générant surtout le plutonium 239 lui-même fissile et partiellement « fissionné » dans le réacteur.
Étant donné que l’augmentation de T est forcément liée à une augmentation de puissance, les deux effets précédents sont aussi appelés effet de puissance.
Les effets xénon et samarium : le xénon 135 et le samarium sont des poisons neutroniques se formant et disparaissant dans certaines configurations d’exploitation du réacteur, pouvant aller jusqu’à étouffer la remontée de ce dernier en puissance.
Les moyens artificiels ou contrôlés de la réactivité
Il s’agit de la concentration en bore de l’eau primaire et de l’insertion/retrait des grappes de contrôle : l’usage de ces deux moyens est toujours couplé, les grappes étant le plus souvent extraites pour favoriser l’autostabilisation du réacteur et disposer du maximum de réserve d’antiréactivité permettant de maîtriser le régime de la chaudière nucléaire en toute circonstance dans les délais requis.
Le paramètre réglé par la conduite d’une tranche nucléaire est la température moyenne Tm du circuit primaire, suivant l’enchaînement suivant : la puissance appelée par la turbine entraîne une variation du débit vapeur qui entraîne un « sur » ou un sous-refroidissement du fluide primaire qui entraîne une variation de Tm qui entraîne une réaction de la régulation de cette dernière consistant à libérer ou à inhiber de la puissance thermique du cœur.
Les différents régimes de la chaudière nucléaire, de l’état froid à la pleine puissance
Le tableau ci-après résume ces régimes et leurs caractéristiques pour les réacteurs PWR de seconde génération, typiquement pour les réacteurs du palier 900 MW. L’analogie avec les mêmes régimes de l’EPR est pertinente pour mener le profane sur le chemin de la découverte, voire sur celui de la connaissance.
Le lecteur est bien entendu invité à ne concentrer son attention que sur les paramètres de ce tableau à portée de sa culture et de sa compréhension du concept technique, à minima et eu égard à ce qui précède, sur les valeurs de la réactivité ρ (en pcm), de la température moyenne Tm de l’eau primaire et de sa concentration en bore (en ppm), pour chacun des états chaudière. Il lui est loisible de pousser sa curiosité jusqu’à s’intéresser aux différents niveaux de pression du circuit primaire (RCP), à la puissance générée par le réacteur dès l’état « d’attente à chaud » de la chaudière et même à la nature de certains systèmes d’exploitation garants de sécurité.
La légende suivante ne peut qu’être très utile aux plus avides de connaissances : RCV = contrôle volumétrique et chimique de l’eau primaire ; ARE = alimentation normale (en eau secondaire) des Générateurs de Vapeurs désignés par GV ; ASG = alimentation de secours des Générateurs de Vapeurs ; GCT = contournement vapeur de la turbine ; RRA = refroidissement du réacteur à l’arrêt ; PTR = circuit de réfrigération et de purification de l’eau des piscines ; RIS = circuit s’injection d’eau borée de sûreté (ou de sauvegarde) ; Pressu = pressuriseur destiné à réguler la pression du circuit primaire, à maintenir ce dernier en phase eau dès l’état « d’arrêt intermédiaire » de la chaudière.
Le mal aimé de nos fleurons industriels prend du service au moment où le pouvoir politique tombe dans une redoutable déshérence
C’est pourquoi il est à craindre que la glose journalistique suscitée par l’évènement redouble plus que jamais de la mauvaise foi partisane ayant jalonné la couverture du long chemin de croix industriel sur le point de s’achever. Aussi, une implacable vigilance des connaisseurs du sujet se doit-elle désormais de répondre à la contrevérité, voire au bobard, en frappant systématiquement d’irrecevabilité toute considération économique, de sécurité ou autre environnementale non arrimée aux propriétés concrètes et bientôt matérialisées de la machine dont il vient d’être question.
Car non seulement les trop faciles divagations oiseuses sur le sujet ont assez duré, mais personne ne peut aujourd’hui prédire qu’il n’en ira pas un jour de la carrière de nos EPR comme de celle de notre avion Rafale ; la procrastination sur le développement pourtant salutaire de la 4ème génération étant hélas devenue la règle. Et l’on ne rappellera pas les laborieux débuts d’Airbus dont la cellule de l’avion militaire Mercure inspira le premier prototype… sans parler de l’interminable saga de l’hélice du porte-avions Charles de Gaulle.
Par JKremona — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=141674433
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