Dans une tribune récemment publiée dans Le Monde, les eurodéputés Éric Andrieu et Sylvie Guillaume soulignent les insuffisances du Nutri-Score, accusé notamment « de favoriser l’artificiel au détriment du naturel ». Les débats relatifs à sa généralisation au niveau du continent devraient continuer de diviser élus et citoyens tout au long de l’année 2022, tandis qu’une proposition législative européenne sur l’étiquetage nutritionnel est attendue pour les prochains mois.
« De la ferme à la table »
Le 19 octobre dernier, le Parlement européen a voté aux deux tiers en faveur d’une résolution sur la stratégie communautaire « De la ferme à la table », prônant un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement. Dans ce texte, le Parlement invite notamment la Commission « à veiller à la mise au point d’un système harmonisé et obligatoire d’étiquetage nutritionnel européen sur la face avant des emballages ».
Ce vote ouvre ainsi la voie à une généralisation du Nutri-Score, candidat pour devenir le logo officiel européen. Conçu par une équipe de recherche française menée par le Professeur Serge Hercberg, ce système nutritionnel à cinq couleurs (A, B, C, D et E) a été mis en place en France à compter de 2017 avant de s’exporter vers d’autres pays (Belgique, Suisse, Allemagne, Espagne, Pays-Bas et Luxembourg).
Aujourd’hui, le principe du volontariat domine : seuls les producteurs qui le souhaitent apposent sur leurs produits une telle information. L’objectif est celui de faciliter la compréhension des consommateurs et d’éclairer leurs décisions d’achat, en prenant en compte les éléments favorables (protéines, fibres, légumineuses, etc.) et défavorables (sucres, acides gras saturés, sodium, etc.) à la santé pour 100 g ou 100 mL de produit.
Une large diffusion en France
D’après l’évaluation à trois ans du Nutri-Score publiée en février 2021 par le gouvernement, près de 500 entreprises se sont engagées en faveur du logo. Les volumes de vente ainsi concernées représenteraient 50 % des parts du marché alimentaire. Du côté des consommateurs, plus d’un Français sur deux déclare avoir changé au moins une habitude d’achat du fait de cet étiquetage.
Industriels et distributeurs sont donc directement concernés. Par exemple, « Intermarché a été le premier distributeur alimentaire à signer la charte Nutri-Score », nous indique l’enseigne, après avoir lancé, dès 2006, un code coloriel nutritionnel sur 2 000 produits (le « Nutripass »). En septembre 2021, Intermarché souligne avoir étiqueté 3 031 produits MDD avec le Nutri-Score.
D’après le groupement des Mousquetaires, l’intérêt est triple : « aider le consommateur à choisir les produits en fonction de la notation nutritionnelle, l’intégrer dans une démarche de transparence et faire évoluer les recettes des produits ». Encouragées par l’apparition d’applications nutritionnelles telles que ScanUp ou Yuka, les marques ont pris conscience du caractère incontournable de la transparence en matière de composition alimentaire et d’impact environnemental. Et cela d’autant plus que la RSE s’impose comme un axe de différenciation majeur pour les fabricants.
Enfin, le modèle atypique de « producteurs et commerçants » de l’enseigne a la spécificité d’intégrer 59 usines de production en France. « Ceci nous a permis de rapidement mettre en place le Nutripass et le Nutri-Score, mais également de reformuler les recettes de nos produits, en nous challengeant sur le résultat affiché », explique le distributeur. « Nous travaillons aussi avec nos autres fournisseurs à marques propres, qui suivent nos recommandations en termes d’évolution de nos cahiers des charges. » De sorte que le Nutri-Score fait partie des exigences de base à appliquer dans ces derniers.
Une perspective d’obligation européenne qui fait débat
Pour autant, la perspective d’évoluer d’un modèle volontaire et national à un système obligatoire et communautaire suscite de nombreuses divisions. La consultation publique initiée le 13 décembre par la Commission européenne, ouverte jusqu’au 7 mars prochain, devrait être le réceptacle de ces contradictions. Cette consultation préfigure la présentation, fin 2022, d’une proposition de loi devant préciser les modalités du nouveau dispositif. L’adoption « obligatoire et urgente » du Nutri-Score par l’Union européenne a notamment été réclamée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).
En marge des promoteurs de ce logo nutritionnel, les inquiétudes se multiplient. Première source de critiques : une vision trop simpliste des enjeux que recouvre l’alimentation. En effet, si le Nutri-Score sanctionne des produits pris individuellement, nos repas sont en réalité des combinatoires : un plat de saucisses aux lentilles sera classé A ou B, là où une saucisse de Morteau considérée seule pourrait se situer entre D ou E. De même, la note apposée sur des produits de type frites – par exemple A ou B – ne prend pas en compte le mode de cuisson qui en dégrade, par nature, les vertus nutritionnelles.
Autre facteur d’inquiétudes : la pénalisation des produits d’appellation d’origine protégée (AOP). De tels produits répondent à des cahiers des charges extrêmement précis, étant le fruit de savoir-faire traditionnels, qui peuvent les condamner à relever d’une note D ou E. Des producteurs d’huile d’olive espagnols aux producteurs de jambons italiens, en passant par le roquefort français, la grogne monte pour préserver les spécialités gastronomiques des terroirs européens. Le risque est qu’une note défavorable puisse détourner les consommateurs de produits relevant du patrimoine national, dont le fromage est l’une des plus évidentes illustrations.
Cette absence de consensus s’est traduite, fin octobre, par une prise de position du ministre français de l’agriculture, Julien Denormandie, appelant à revoir la méthodologie du Nutri-Score pour ne pas impacter les produits de montagne. C’est dire que les débats des prochains mois seront houleux et que d’autres systèmes de notation seront défendus par les contempteurs du Nutri-Score, afin d’en proposer des alternatives.