Voici le troisième volet d’une trilogie intitulée Biodiversité et agriculture. Mythe et réalité. Le cas de l’Agriculture de Conservation des Sols. Son auteur Gérard Rass, ingénieur agronome et expert du sujet développe en profondeur la thématique.
Troisième partie
Après avoir traité dans nos deux premières parties des enjeux de l’agriculture et de l’alimentation, de la préservation des écosystèmes et des espèces, de l’impact sur ces enjeux des systèmes de culture, conventionnels, Bio, et en ACS (Agriculture de Conservation des Sols), nous ne pouvons éviter de discuter de la question, qui vient immanquablement à chaque discussion sur le sujet.
Et la chimie dans tout ça, les pesticides, les herbicides, le glyphosate ?
Nous essayerons de voir le sujet sous un angle rationnel, alors que la question vient le plus souvent sous forme de polémique agressive : « la chimie, les pesticides, ça nuit à la biodiversité ; c’est mal »
C’est une bonne question. En effet, les pesticides tuent. Ils sont même fabriqués et utilisés pour tuer. Étymologiquement, pesticide signifie tueur de peste. Les pestes étant les parasites des cultures et les mauvaises herbes. Qui sont la part de la biodiversité dont un producteur doit se débarrasser pour produire une récolte utilisable.
Si nous prenons l’exemple des mauvaises herbes, le paysan d’autrefois n’avait que trois moyens pour protéger ses cultures de l’envahissement des mauvaises herbes qui concurrençaient ses cultures et limitaient sa production.
Le premier levier de contrôle des mauvaises herbes était d’éviter que les mêmes espèces ne se multiplient de façon exponentielle et n’envahissent tout un champ au fil des ans. Ils utilisaient la rotation des cultures, qui signifie la succession de cultures différentes dans le même champ. Les agriculteurs d’aujourd’hui l’emploient toujours pour beaucoup d’entre eux. Exemple Colza suivi de Blé suivi d’Orge.
Pour l’ACS et l’AB, la rotation est même un des leviers d’action constitutifs indispensables. Elle fait partie des trois piliers de l’ACS. Une rotation conventionnelle Colza, Blé d’Hiver, Orge d’Hiver est insuffisante car les mauvaises herbes sont presque les mêmes dans ces trois cultures d’hiver ayant le même cycle cultural.
En ACS on cherchera plutôt à alterner culture d’hiver (Blé, Colza) et de printemps (Maïs, Tournesol), et cultures monocotylédones (Blé, Maïs, Sorgho), et cultures dicotylédones (Colza, Soja, Tournesol), qui ont des cycles et des mauvaises herbes différents. En quelque sorte, on fait en sorte que les mauvaises herbes « se perdent » plutôt qu’elles ne s’adaptent aux cultures. Des légumineuses (Pois, Soja, Trèfles, Luzernes…) sont les bienvenues pour enrichir la diversité des espèces cultivées. Et aussi pour apporter de l’azote gratuit capté dans l’air, ce que seule fait cette famille de plante.
Noter que l’utilisation de plantes de couverture entre deux cultures de rente augmente considérablement les possibilités des rotations, et donc la performance des systèmes en ACS contre les mauvaises herbes. Avec de plus de nombreux avantages annexes, sur le sol, la nutrition, l’eau, la biodiversité, les maladies, les insectes… Cela remplirait plusieurs pages, et il y a encore énormément à découvrir. Un domaine que les cherheurs feraient bien de travailler tant leurs connaissances sont lacunaires en Europe.
L’agriculteur en quelque sorte choisit les plantes qui doivent occuper ses terres plutôt que laisser la Nature décider à sa place. .
Les rotations sont également utilisées en AB, beaucoup moins les plantes de couverture, dont le dévelopopement est limité par le travail du sol, qui à la fois crée et nécessite un sol nu ou avec très peu de végétation.
On peut noter que les agriculteurs ayant les meilleurs résultats grâce à leur expertise sur les rotations et les plantes de couverture en ACS sont aussi les meilleurs en AB quand ils en font. On en connait qui font les deux systèmes sur deux parties de leurs fermes.
En ACS Il est possible d’aller beaucoup plus loin sur l’ingénierie des cultures et des couverts et sa performance sur la gestion de l’enherbement, parce que l’absence de sol nu laisse moins de place aux mauvaises herbes pour s’installer.
Le deuxième levier de contrôle des mauvaises herbes utilisé par tous les paysans depuis l’origine était l’arrachage ou le binage manuel .
Il est actuellement encore très utilisé par 80 % des paysans du monde, ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance sur des petites surfaces, nourrissant péniblement leur famille et leur voisinage.
La limite du travail manuel est sa pénibilité et sa faible efficacité sur les adventices, qui dans ce cas méritent amplement leur nom de mauvaises herbes.
Le troisième levier du désherbage était le travail mécanique du sol, labour, hersage, ou tout autre outil remuant le sol, avec ou sans retournement, avec le double effet de dégager la végétation avant le semis de la culture, et d’ameublir le sol, supposant qu’une graine a besoin d’un sol meuble pour germer et ensuite s’enraciner.
Disons tout de suite que ce dernier point relève d’une mythologie très enracinée dans la tête, mais démentie par plus de deux cents millions d’hectares/an dans le monde de Semis Direct (sans aucun travail du sol).
Pour dégager la végétation, le travail mécanique du sol le fait bien à condition de labourer profondément et de retourner les horizons superficiels dans le fond du labour.
Ceci génère de nombreux inconvénients déjà cités, parfaitement connus, et de plus en plus reconnus comme tels par tous les acteurs, en particulier les agriculteurs. Voir mon article sur l’ACS dans European Scientist.
C’est exactement l’opposé des avantages de l’ACS, en particulier sur la biodiversité.
Sur le désherbage, l’inconvénient du travail mécanique est particulièrement spectaculaire : le sol nu et travaillé favorise la levée continuelle de mauvaises graines, comme les jardiniers le voient bien : ils passent leur temps à biner pour enlever les mauvaises herbes, mais de nouvelles levées apparaissent sans cesse. Dans les champs en semis direct, même les techniciens d’un Institut Technique bien connu plutôt défavorables au Semis Direct ont reconnu que les levées de mauvaises herbes ne se produisaient que sur la ligne de semis, au sol perturbé par le semoir, mais pas entre les lignes.
Dernier outil de désherbage apparu : la chimie des herbicides.
Après la dernière guerre mondiale, le développement des herbicides chimiques a permis de limiter ou supprimer le désherbage manuel ou mécanique, et de diminuer de façon spectaculaire les populations d’adventices et les pertes de récoltes en découlant.
Dans les années 1970 l’apparition du glyphosate, a permis de limiter, et même de supprimer le travail mécanique pour pouvoir semer. Sont alors apparus d’abord le Semis Direct sans aucun travail du sol et les Techniques Culturales Simplifiées, puis les systèmes d’ACS avec des couvertures et les rotations.
Voir mon article sur l’ACS dans European Scientist.
Il y a une limite technique qu’aucun système agricole n’est capable de lever sans glyphosate : les adventices vivaces comme les chiendents, liserons, chardons, se reproduisant par rhizomes, sont peu sensibles aux rotations. Quand ils commencent à s’installer, ce ne sont ni les rotations ni le travail du sol qui permettent de les limiter. Le travail du sol au contraire fragmente les rhizomes, fabriquant des quantités de boutures accélérant l’envahissement de façon exponentielle par l’adventice vivace.
Seuls les anciens se souviennent qu’avant le glyphosate, lancé en France en 1975 sous le nom de Roundup sur le chiendent Agropyrum repens (devenu depuis Elymus repens) dans les cultures céréalières, et le chiendent Cynodon dactylon dans les Vignes, presque 100 % de ces cultures étaient couvertes de ces adventices indestructibles.
Après la moisson, les agriculteurs passaient des jours entiers à arracher les rhizomes avec des outils à dents en forme de griffes recourbées, les traîner en bout de champs, les laisser sécher et les brûler. Travail à recommencer année après année, si grande était la quantité de rhizomes restant (certains peuvent mesurer dix mètres de long), et si vite ils repoussaient des parties restantes.
Je me souviens de couples de viticulteurs du Midi ayant passé pendant toute leur vie tous leurs hivers à arracher le Cynodon au pied des ceps pour le brûler en bout de parcelle, dire combien le Roundup soulageait leur vie et leur dos en fin de carrière, alors qu’il était vendu fort cher.
Il est certain que le glyphosate a quasiment éradiqué ces mauvaises herbes vivaces de nos pays développés, puisqu’il n’en reste presque plus dans les parcelles cultivées. A chaque apparition d’une tache dans un champ, l’agriculteur la traite, et on n’en parle plus pendant des années.
Il est plus que probable que la disparition de ce produit favorisera dans les années à venir le retour du fléau des Chiendents. Ils sont toujours présents dans les bords de champs, les jachères, les bords de routes, les friches. Aucune autre molécule aux mêmes caractéristiques que le glyphosate n’a été trouvée, et les chimistes investissent de moins en moins dans la chimie agricole
Les caractéristiques uniques de la molécule de glyphosate ont fait son succès auprès des agriculteurs. Il pénètre dans les parties vertes des végétaux chlorophylliens, est véhiculé par la sève élaborée vers les organes en croissance, particulièrement les racines et organes de réserve souterrains, et bloque leur croissance. Les plantes meurent alors comme par sénescence, et ne repoussent que si quelque organe a échappé, autrement dit très peu. L’efficacité est spectaculaire encore des années après. Il n’y a pas d’effet sur la germination des graines ni d’adventices, ni des cultures, et le produit est inactivé au contact du sol et dégradé par les microorganismes du sol d’autant plus rapidement qu’ils sont nombreux et actifs. Rapidement il devient indétectable dans le sol ou dans l’eau, sauf en milieu stérile (en labo).
Sur le plan de la toxicité et de l’écotoxicité, toutes les agences évaluant les risques humains et animaux en croisant exposition et dangerosité se sont prononcées favorablement. Ce n’est pas l’objet de cet article d’en reparler. Le sujet est maintenant entre les mains des politiques, dont les décisions, sauf exception, sont à peu près aussi rationnelles que l’opinion publique. Un bon sujet d’étude comparative entre pays.
Par contre notre objet est d’apporter un point de vue sur la balance bénéfices / risques en ce qui concerne la biodiversité.
L’ACS permet, quand elle est bien faite après un temps de transition nécessaire à l’apprentissage et à la mise au point par l’agriculteur, une réduction importante des populations de mauvaises herbes, en même temps qu’une augmentation de la biodiversité dans les parcelles, comme nous l’avons montré précédemment. Il s’ensuit que l’utilisation des herbicides diminue de façon importante, comme le montrent toutes les enquêtes auprès des agriculteurs en ACS, d’autant plus qu’ils sont avancés dans leur expérience, et que leurs systèmes de cultures le leur permettent.
Voir paragraphe sur les rotations : il y a des conditions pédoclimatiques moins favorables, comme les sols calcaires séchants en été, où trouver des cultures d’été convenables est difficile, surtout si la génétique a laissé des cultures orphelines du progrès dont d’autres plus populaires ont bénéficié, ou si l’absence de débouchés rend une culture agronomiquement intéressante impraticable sur le plan rentabilité parce qu’invendable. Un agriculteur ne vit que rarement en autarcie, il doit trouver des débouchés, et les intrants et outils techniques adaptés au système qu’il développe. ( ** )
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(**) Ceci signifie qu’une innovation aussi importante que l’ACS, tant qu’elle n’est portée que par une poignée d’agriculteurs, aura une performance limitée ainsi qu’une diffusion limitée, tant que l’ensemble des parties prenantes se contenteront de regarder les agriculteurs qui la développent se débrouiller, et de venir au mieux récupérer leur travail ou leur histoire pour en tirer leur propre bénéfice sans rien leur donner échange. Encore heureux quand ils ne les dénigrent pas, ne les découragent pas, ou ne les empêchent pas de travailler par des pratiques déloyales, des distorsions de concurrences, ou des mesures politiques ou réglementaires dissuasives.
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Nous avons vu que l’ACS montre des avantages sur les autres systèmes sur l’ensemble des critères de rendement, de productivité et de rentabilité pour les agriculteurs, de la durabilité, de la gestion des sols, de l’eau et du climat, y compris de la biodiversité.
Ceci est de moins en moins contesté par l’ensemble des acteurs, surtout au niveau mondial, où il y a plus d’expérience sur l’ACS qu’en Europe, et où elle se développe de plus en plus rapidement, devenant dominante en Amérique du Nord, Amérique Latine, s’implantant en Afrique avec des résultats spectaculaires, sautant le stade de l’agriculture conventionnelle à traction animale ou mécanisée.
Même les idéologues les plus farouches partisans de la Bio excluant toute autre forme agriculture s’en sont rendu compte. Au point que, sentant leur modèle idéologique et économique basé sur un discours ouvertement agressif contre l’agriculture productive conventionnelle menacé par l’ACS, ils ont entériné la diminution du travail du sol comme une composante indispensable de la « bonne agriculture ».
Ils se sont mis à promouvoir la Bio sans son talon d’Achille technique qui est le travail du sol, ou l’ACS sans son talon d’Achille mental qui est la chimie, symbolisée médiatiquement et politiquement par le glyphosate.
Dans cette nouvelle forme de Bio, nommée Agriculture Régénérative (AR), sont promues toutes les caractéristiques positives de l’ACS au point que beaucoup d’acteurs de l’ACS s’y laissent prendre, a fortiori les sympathisants sans connaissances précises.
La percée médiatique extrêmement rapide de l’AR Bio montre bien l’attractivité phénoménale d’un tel discours, car il passe sous silence le sujet difficile sur le plan des émotions et des opinions, celui de la chimie, symbolisée par le glyphosate, ou celui du travail du sol, dont les impacts négatifs deviennent de plus en plus visibles et reconnus, au point que de plus en plus d’agriculteurs se mettent à s’excuser de le pratiquer, tout comme ils s’excusent aussi d’employer de la chimie !
Face à cela, la promesse de l’AR est de n’employer ni chimie ni travail du sol.
Le problème est que personne n’est jamais arrivé à réaliser cela en grandes cultures mécanisées. Dans un jardin ou du micro-maraîchage en permaculture manuelle, c’est possible, comme de l’ACS à l’échelle d‘une microparcelle, avec désherbage manuel, au prix d’une grande pénibilité et d’une rentabilité limitée par le coût de main d’œuvre, comme avec de la main d’œuvre gratuite en whoofing.
Faire en même temps les deux systèmes n’est possible que sur Youtube, Twitter ou dans les conférences du 4pour1000 ou de la FAO, ou à Bruxelles lors de l’élaboration du Farm To Fork.
Dans les champs, on est obligé de choisir l’un ou l’autre, Bio AR ou ACS, charrue ou chimie. Ni l’un ni l’autre signifie concrètement ne presque rien récolter et donc cesser de cultiver.
Ca ne pose pas vraiment de problème là où les agriculteurs sont libres de choisir leur systèmes, et les consommateurs de choisir leurs fournisseurs sans influence de la propagande privée ou publique.
Malheureusement de tels pays sont rares, et se raréfient au fur et à mesure que progressent les accords au sein de l’ONU ou d’autres instances internationales auxquelles le citoyen ordinaire n’a pas accès et sur lesquelles il a encore moins d’influence.
Il est donc important que tous soient éclairés sur les enjeux des choix qui sont faits par les décideurs, qui ne sont pas les acteurs, ni agriculteurs ni consommateurs.
Même sur la biodiversité, l’ACS a un avantage visible, comme nous l’avons vu.
Plus précisément sur la biodiversité visible comme les vers de terre, les insectes. Sur ce terrain même les détracteurs de l’ACS et de la chimie ne se risquent qu’avec précaution, sachant qu‘ils seront contredits par la moindre étude sérieuse.
Mais il reste un champ mal connu favorable à toutes les spéculations faute de connaissances : il s’agit de la biodiversité microbienne des sols. C’est là qu’on entend de plus en plus de doutes : et si la vie des sols était menacée par les pesticides, et par « le plus dangereux de tous », le glyphosate ?
Comme par hasard, c’est sur cette molécule qu’on s’interroge le plus, alors qu’il y en a d’autres, dont l’effet est beaucoup plus facilement visible.
En effet, comment prouver l’absence d’effet ? C’est impossible. D’autant qu’on ne connait pas l’identité de plus de 5 % des microorganismes du sol, et encore moins leur fonctionnement.
Donc évaluer l’impact et l‘importance d’un effet éventuellement constaté, ou supposé, est aussi impossible. Cet état de méconnaissance profonde laisse place à toutes les spéculations, et surtout aux discours du catastrophisme auquel nous avons été habitués les dernières années sur la biodiversité.
On entend proclamer que la « Santé des Sols », les « Sols Vivants » sont indispensables à la Santé Globale de la Planète Terre et de l’Homme. La moindre altération potentielle de l’état « naturel » et de la pureté originelle de cet entité sacrée qu’est le Sol est vécue comme une catastrophe absolue menaçant toute vie sur terre. Il paraît alors évident qu’il faut s’abstenir par précaution d’utiliser des produits dont le potentiel de destruction de la planète serait si colossal.
A partir d’études suggérant que peut-être une application de produit aurait des effets sur des micro-organismes, peut-être même sur les vers de terre, études contredites par d’autres qui montrent le contraire, on met en doute les bénéfices pourtant bien avérés d’un système agricole.
Demandons-nous donc d’abord si cette question est bien pertinente.
Mesurer un impact d’un produit en valeur absolue, quel est l’intérêt ?
Ce qui nous intéresse est de comparer et de choisir la meilleure option possible dans un ensemble de solutions dans des systèmes, à production égale.
Toujours se souvenir que l’objectif de l’agriculture est bien de faire de la production agricole, des récoltes. La comparaison est pertinente sur l’impact des systèmes entre eux. On peut comparer l’impact de la Bio et de l’ACS pour voir ce qui a la meilleure balance bénéfices/ inconvénients. En tenant compte du niveau de production et de l’ensemble des paramètres, de l’utilisation des ressources naturelles, dont la plus rare est la surface.
Il faudrait plutôt poser la question ainsi : quel est l’impact minimum d’un système complet (et non d’un outil ) sur la biodiversité qui nous intéresse le plus, à rendement égal ? Quel est l’impact minimal des systèmes avec les différents outils que les agriculteurs utilisent.
C’est exactement le raisonnement que font les agriculteurs : comment optimiser les bénéfices de production durable avec les outils que j’utilise. Raisonner hors système sur un outil isolé n’a pas de sens. Même si un produit a un impact sur des microorganismes, ce n’est pas problématique s’il permet de faire fonctionner le meilleur système possible compte tenu des objectifs et des contraintes.
Le raisonnement par l’absurde serait de supprimer tout outil ayant un impact. Alors on commence par les outils connus comme très impactant, et on les élimine au fur et à mesure l’un après l’autre. On commence par le labour, puis la chimie, et à la fin on garde la Nature sauvage et on revient à l’âge de pierre. Dont on sait que les chasseurs cueilleurs aussi avaient déjà un impact négatif sur la faune et la flore, et peut-être même le climat.
En résumé, on retiendra :
- Sur les écosystèmes naturels l’effet le plus impactant de l’élevage ou de l’agriculture est d’abord sa mise en exploitation. Donc les systèmes agraires les plus productifs permettent le mieux de préserver en d’autres lieux des espaces spécifiques comme refuges pour les écosystèmes les plus menacés, rares et en voie de disparition ainsi que les espèces qu’ils accueillent.
- Sur la biodiversité des écosystèmes cultivés, la pratique la plus impactante est le travail mécanique du sol, supprimant la couverture protectrice du sol pendant certaines périodes, et dégradant l’humus et la vie du sol. C’est alors l’ACS qui préserve le mieux la biodiversité des sols et de l’ensemble de l’écosystème des parcelles.
- Le recours à des outils chimiques, et en particulier au glyphosate, reste indispensable pour supprimer le travail du sol et mettre en place l’ACS, tout en maintenant un niveau de rendement élevé. C’est ce rendement élevé qui permet aussi de maintenir l’avantage du premier point ci-dessus, des espaces sans activité humaine ou la plus limitée possible, dédiés spécifiquement et exclusivement à la préservation des écosystèmes sauvages rares et menacés.
Le déploiement de l’ACS sur le terrain a pour effet de permettre une stratégie alimentaire optimisant la biodiversité dans le plus grand nombre possible d’écosystèmes anthropiques et naturels.
Ce n’est pas une stratégie parfaite, il y des marges de progrès considérables pour améliorer agriculture et élevage à partir de l’ACS, en même temps que la protection, voire la renaturation d’écosystèmes d’intérêt biologique ou écologique particuliers, tout en améliorant le climat, en s’adaptant à ses changements, sans renoncer pour autant au développement humain.
Optimiser la production gratuite, par la photosynthèse, de biomasse utilisable pour l’Homme tout en la partageant avec les autres espèces, telle est la promesse, tout à fait atteignable, de l’ACS comme socle du Développement Durable.
Ceux qui connaissent l’ACS et la pratiquent sont les mieux placés pour voir ses marges de progrès, et travailler à les mettre en place, tout en la développant sur le terrain auprès du plus grand nombre d’agriculteurs. C’est l’ambition et la mission que s’est donnée le GCAN (Global Conservation Agriculture Network), le Réseau Mondial des Associations d’Agriculteurs en ACS et des experts les accompagnant.
Comme pour la Démocratie, l’ACS est le moins mauvais des systèmes, car il permet de sous-tendre tous les autres développements à partir des ressources naturelles, dont dépend toute l’humanité.
Les prévisions les plus réalistes laissent à penser que la production pourrait être au moins doublée avec les savoir-faire actuels sans atteinte aux écosystèmes encore peu impactés par l’homme, ouvrant des perspectives prometteuses autant dans l’énergie renouvelable (biomasse, biométhane, biocarburants ) les textiles, ou les biomatériaux, sans compromettre la sécurité alimentaire des populations actuelles comme de celles à venir jusqu’à l’horizon 2050.
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Plutôt que se soumettre à la Nature et la subir, c’est cette forme de collaboration avec les éléments naturels, la biologie, l’écologie scientifique, les sciences et les technologies, que l‘Homo sapiens, également Homo faber, aura intérêt à conduire de façon consciente et volontariste.
Pour cela et pour préserver son avenir et celui des autres espèces, notre espèce devra continuer d’investir dans l’intelligence, dans la Raison, qui font sa spécificité.
La voie du renoncement, de la fusion et de la soumission à la Nature, de l’animisme et de l’animalisme, est une impasse mortelle.
La Nature ne fait aucun cadeau aux perdants. L’Homme est unique par son intelligence et sa capacité technologique. C’est son seul avantage, celui qui lui a permis de ne pas disparaître. Il serait dommage d’y renoncer.
Nos dirigeants politiques et toute personne un peu consciente devraient se saisir de ces réflexions, et rejoindre résolument les personnes engagées dans la voie du progrès humain. C’est aussi la meilleure voie pour la Planète et pour la Biodiversité.
Ce débat peut et doit être être mis sur la place publique, pour arbitrage honnête et transparent par les citoyens consommateurs. Tant qu’il est transparent, honnête, non biaisé par des colnteurs de légendes, mais fondé sur des faits constatables sur les fermes des agriculteurs, l’expérience montre que les citoyens comprennent très bien et plébiscitent ce qu’il voient.
Les débats en salle ou pîre, les vidéoconférences, , dont les agriculteurs sont le plus souvent absents, d’autant plus que le niveau est éloigné du terrain, comme les grandes messes des Nations Unies ou de l’Union Européenne, où des décisions sont prises par toutes les parties prenantes sauf les agriculteurs de terrain, sont très défavorables à l’émergence de la vérité, car n’importe qui peut y dire à peut près n’importe quoi sur base de rapports plus ou moins scientifiques, sans crainte qu’on lui montre clairement le contraire.
Dans les champs, le mensonge ou l’incompétence se voient très vite, ce qui permet d’aboutir rapidement à une compréhension commune des faits, base d’un consensus entre agriculteurs qui font du mieux qu’ils peuvent et citoyens qui sans cela pourraient vouloir le miracle promis par les gourous.
Les grandes conférences devraient toujours commencer dans les champs, pour faire monter en compétence les participants, qu’ils soient décideurs publkics ou privés, parties prenantes, scientifiques, et surtout ONG et journalistes. Les décisions subséquentes en seraient largement facilitées.
Il serait malheureux et très dommagable, pour tous les humains et pour la Planète, que la société, maintenant mondialisée, continue à faire le chemin inverse, et se coupe de plus en plus des réalités. Parce que, quoi que nous voulions, celles-ci finissent toujours par nous rattraper.
En témoignent les crises mondiales simultanées de l’alimentation et de l’énergie, dont les causes les plus profondes pourraient se résumer au manque de réalisme des élites intellectuelles promouvant des concepts qui les font vivre, en déphasage complet avec les réalités techniques autant qu’humaines que vivent l’essentiel de leurs concitoyens.
Lire les deux autres parties
Lettre au sujet des positions anti-scientifiques et contraires à l’éthique du Dr Vandana Shiva
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