Alors que le monde s’inquiète de pénuries alimentaires à venir à la suite du conflit ukrainien, des activistes viennent pourtant d’attaquer un train de céréales en Bretagne montrant à quel point certains sujets liés à l’agriculture suscitent la radicalisation de certains, les menant à des actions absurdes. Preuve s’il en est d’un besoin de davantage de vulgarisation sur ces sujets. C’est la vocation de l’AFBV. Fondée en 2009, l’Association Française des Biotechnologies végétales (AFBV) réunit principalement des scientifiques (chercheurs, enseignants…) et des experts, (juristes, agriculteurs, techniciens agricole, communicants…) convaincus de l’intérêt des biotechnologies végétales et de ses applications pour notre pays et plus particulièrement pour son agriculture. Crée pour pallier à la sous-information et remédier à la désinformation qui sévit en France sur les biotechnologies végétales et ses applications, elle diffuse une information rigoureuse, objective et validée par son Conseil scientifique, au travers d’une publication périodique, « Biotechnologies végétales infos » et de son site internet (1). Elle fait également des efforts de vulgarisation auprès de tous les décideurs politiques et économiques qui peuvent être concernés par ce sujet. Son porte-parole Gil Kressmann a bien voulu répondre à nos questions à l’occasion de la diffusion d’un communiqué dédié à la souveraineté alimentaire de l’Europe (2)
The EuropeanScientist : Quels sont les enjeux pour l’UE et la France en matière de biotechnologie végétale ?
Gil Kressmann : Les biotechnologies végétales sont au cœur de la troisième révolution agricole nécessaire pour relever trois défis :
– Produire plus pour répondre à une demande alimentaire croissante consécutive à l’accroissement de la population mondiale ;
– Produire mieux pour répondre aux attentes nouvelles des consommateurs très préoccupés par leur santé ;
– Produire de façon plus écologique pour préserver l’environnement et la biodiversité.
Comment relever tous ces défis alors que la réduction programmée des utilisations de produits chimiques pour protéger les plantes, le réchauffement climatique, le développement de l’agriculture biologique et la progression de l’artificialisation des sols vont diminuer le potentiel de production agricole ?
Il ne faut pas ignorer non plus le défi de l’adaptation de nos cultures au réchauffement climatique. Le dernier rapport du GIEC souligne cette nécessité d’investir beaucoup plus massivement dans l’adaptation climatique : « En investissant dans l’adaptation maintenant, le monde évitera des investissements plus importants à l’avenir. De plus, l’adaptation peut générer de multiples avantages : assurer la productivité de la pêche, de l’agriculture et des entreprises, favoriser l’innovation, la santé et le bien-être, renforcer la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des populations ».
TES. : Que préconise l’AFBV pour relever ces défis ?
G.K. : Pour l’AFBV il existe des marges de progrès très prometteuses pour sécuriser et développer en Europe les productions végétales. Elles se situent au niveau des innovations dans le domaine de la génétique, innovations qui nécessitent la mise à disposition de toutes les technologies disponibles. Or la législation européenne actuelle qui régit les OGM n’est pas adaptée aux nouvelles biotechnologies (NGT : New Genomic Techniques ) comme l’édition de gènes. L’UE doit donc urgemment réviser la réglementation OGM dont la directive européenne 2001/18/CE qui régule les semences « OGM » pour permettre aux semenciers européens d’utiliser l’édition de gènes alors que la plupart des grands pays agricoles ont déjà engagé la révision de leur législation. Il en va de l’avenir concurrentiel de notre filière semencière européenne , maillon essentiel dans la chaine de valeurs des productions végétales.
Si l’interdiction de fait des NGT perdure dans l’UE, la filière semencière européenne qui détient une place de leader dans le monde, délocalisera sa recherche et la production agricole européenne sera de plus en plus dépendante de la recherche et de la production des industriels de la semence des grands pays agricoles étrangers ( Etats-Unis, Amérique du Sud, Chine…). Notre souveraineté semencière, premier maillon de notre souveraineté alimentaire, sera remise en cause alors que les NGT constituent un effet de levier pour le développement durable de notre agriculture.
TES. :Comment préserver notre souveraineté ?
G.K. : L’adaptation de la directive européenne sur les OGM constitue un enjeu stratégique pour assurer la sécurité alimentaire des européens, un des principes fondateurs de l’UE sensé être garanti par la PAC. C’est aussi la sécurité alimentaire de notre planète qui est en jeu car l’Union européenne a aussi vocation à nourrir une partie de la population mondiale dont la sécurité alimentaire est loin d’être assurée.. L’UE ne peut pas se permettre de perdre son potentiel de production et risquer de perdre ainsi sa souveraineté alimentaire en refusant à ses agriculteurs de bénéficier des innovations issues de ces nouvelles biotechnologies. L’AFBV et son partenaire allemand, le WGG ont communiqué à la Commission européenne en Février 2020 ses propositions d’adaptation de la législation des OGM pour permettre l’utilisation en Europe de ces NGT et en particulier l’édition de gènes.
TES. : Etes vous optimiste sur la capacité des pays de l’UE à s’entendre sur cette nouvelle directive ?
G.K. : Les esprits évoluent. La souveraineté alimentaire est redevenue d’actualité, récemment renforcée par les conséquences du conflit qui se déroule en Ukraine. L’UE apparaît comme plus ambitieuse dans des domaines où on ne l’attendait plus. On peut donc espérer que les pays de l’UE s’accorderont rapidement sur cette nouvelle législation des OGM nécessaire pour permettre à notre agriculture d’être plus résiliente et plus compétitive pour tenir son rang dans le monde.
Cependant il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des activistes opposés à ces NGT. Les ONG ont pratiquement gagné leur combat idéologique contre les utilisations de la chimie par les agriculteurs mais sont en train de perdre leur bataille historique et fondatrice engagée contre l’énergie nucléaire. Or pour pérenniser leur légitimité ou tout simplement leur existence elles ont un besoin impératif de trouver du « grain à moudre » comme disait Bergeron, dirigeant historique du syndicat FO. On peut donc craindre une pression politique et médiatique accrue de la part de ces ONG pour que les nouvelles biotechnologies (NGT) soient rendues pratiquement inutilisables en Europe comme l’ont été les variétés issues de la transgénèse. L’UE choisira t’elle par manque de courage de se soumettre à l’idéologie de minoritaires adeptes de la décroissance agricole ou aura t’elle la sagesse de prendre en compte cette réalité : La transition écologique de notre agriculture et la nécessité de préserver notre souveraineté alimentaire imposent urgemment l’utilisation des NGT.
(1) https://www.biotechnologies-vegetales.com
(2) L’Europe doit urgemment s’emparer des nouvelles biotechnologies pour sauvegarder sa souveraineté alimentaire. COMMUNIQUE_DE_PRESSE_2022-02-18 VF
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