Dans un monde ou tout va trop vite, il devient intéressant de s’arrêter un moment pour (re)découvrir les messages que nous ont laissés nos ancêtres en agriculture.
Si on peut faire remonter les débuts de l’agriculture lors de la période du Paléolithique Supérieur (environ -10 000 ans « av. J.C. ») sans doute liés à la fonte des glaciers qui recouvraient toute l’Europe, on trouve des écrits réalisés vers le VIIIième siècle avant JC par Hésiode.
D’autres écrits existent évidemment mais nous nous focaliserons ici sur un texte de Virgile (1er Siècle avant J.-C.) car celui-ci se servit des enseignements qu’il puisa dans les oeuvres de Caton Tunique et Térentius Varron qui avaient écrits avant lui en latin sur la culture agricole ; s’il mit à profit les trésors que lui offraient les oeuvres savantes des grecs : Aristote, Xénophon, Théophraste, Abattus, Eratosthène et Nicandre, Virgile sut ajouter à ces sources des aperçus qu’il tira sans doute de l’acquis personnel de son expérience.
Si tout le monde connait Virgile au travers de son « Enéide », on connait moins ses autres oeuvres et en particulier son ouvrage « Les Géorgiques ».
Ce livre comprend 4 chapitres : Le labourage, Les arbres et la vigne, Les troupeaux et Les abeilles.
C’est Mécène qui engagea Virgile à composer ce poème sur l’agriculture et le bienfait du retour à la terre.
Virgile était philosophe et historien, tour à tour géographe et astronome, agriculteur et théologien, apiculteur et physicien, poète, Virgile sut comme Lucrèce, se pencher avec tendresse et douceur sur tous les maux qui affligent notre pauvre humanité.
Selon Mario Meunier, l’un des traducteurs, il en aurait commencé l’écriture vers -38 avant JC et le remania pendant 7 ans (de -38 à -31 av JC).
Virgile montre déjà le sens aigu de l’observation de la nature et du développement des plantes par les agriculteurs de l’époque. Ils utilisaient ces informations dans leurs pratiques afin d’obtenir les meilleurs rendements possibles.
Il est très riche en informations et montre à quel point dès cette époque, les agriculteurs avaient déjà perçu de manière aigüe tous les problèmes de l’agriculture et même développé des solutions qui sont toujours utilisées de nos jours. Certes, ils n’avaient pas compris pourquoi il était intéressant de cultiver de telle ou telle manière mais leurs capacités d’observation et de déduction leurs ont permis de mettre en oeuvre des pratiques qui sont toujours appliquées de nos jours !
Pour illustrer ces propos, je ne commenterai qu’un petit passage donné ci-après (en italique) du chapitre « Le labourage » particulièrement significatif de l’intelligence des agriculteurs dès cette époque :
« …. »
« … Ces lois et ces pactes, c’est la Nature qui les a toujours imposés à certains lieux choisis, dès l’époque où Deucalion jeta sur le monde désert les pierres d’où les hommes, race dure, naquirent.
A l’oeuvre donc ! S’il s’agit d’une terre au sol gras que les robustes taureaux dès les premiers mois de l’année, la retournent, et que l’été poudreux cuise les mottes étendues aux pleins feux du soleil ; mais si le sol est maigre, il suffira, au lever de l’Arcure, de l’effleurer par un mince sillon : là pour que les herbes ne nuisent pas aux riantes moissons ; Ici, pour que le sable stérile ne perde point son peu d’humidité.
Une année sur deux, tu laisseras se reposer en jachères les terres moissonnées, et le champ inactif puiser dans l’abandon des forces raffermies.
Ou bien, tu sèmeras, au changement de saison, l’épeautre dorée, là ou tu auras auparavant levé une copieuse récolte de légumes secs à la cosse tremblante, les vesces aux grains menus, ou bien les frêles tiges et les touffes bruissantes du lupin amer. Un champ de lin, en effet, brûle la terre : l’avoine la brûle, comme la brûlent aussi les pavotsimprégnés de sommeil que donne le Léthé Mais de toute façon l’alternance allège le travail de la terre, pourvu que tu n’hésites point à saturer d’un fumier gras les terres arides et à répandre des cendres sordides sur les champs épuisés.
C’est ainsi que les terres se reposent en changeant de produits, et que durant ce temps le sol même qui n’est pas labouré n’est pas sans rendement.
Souvent aussi, il a été profitable de mettre le feu à des champs stériles et de livrer le chaume léger aux flammes trépidantes, soit que les terres se chargent ainsi de forces cachées et de sucs nourriciers, soit que le feu les purge de toute nocivité et fasse évaporer l’humidité superflue, soit que la chaleur ouvre de multiples passages et des conduits obscurs par où monte le suc dans les pousses nouvelles, soit au contraire qu’elle durcisse le sol, en resserre les veines béantes, empêchant ainsi que les pluies fines et la violence accrue d’un soleil dévorant ne leur portent dommage, ou que le froid pénétrant de Borée ne les consume.
….
J’ai vu bien des gens traiter les graines et les arroser, avant de les semer, d’un mélange de nitre et de marc d’huile brune, afin que les cosses trompeuses aient des grains plus gros et plus prompts à cuire, même à petit feu. J’ai vu aussi des semences, triées à loisir et vérifiées avec beaucoup de soin, dégénérer pourtant, si la patience humaine ne s’appliquait chaque année à choisir à la main les plus grosses, une par une.
Telle est la loi du Destin : tout tend à s’altérer et à se dégrader en rétrogradant Il en est ici comme de celui qui, à force de rames, fait remonter à sa barque le courant d’un fleuve ; si, par hasard, il relâche ses bras, le lit des eaux l’entraine à la dérive dans son courant rapide. »
J’ai graissé des termes voire des phrases pour souligner des concepts remarquables pour l’époque et compris maintenant !
Dès le début, les agriculteurs tenaient compte de la nature des sols cultivés. Ils utilisaient déjà la traction animale pour labourer, et l’importance d’avoir un sol propre (désherbage). Ils pratiquaient aussi la jachère.
De même, ils se souciaient de retenir l’eau !
Intuitivement, nos ancêtres avaient déjà compris l’importance des légumineuses sans évidemment savoir qu’elles étaient capables de fixer l’azote du sol. Mais aussi du rôle des engrais (fumier gras) et d’enrichir le sol par des cendres qui sont riches en calcium, potasse et silice et permettent de remonter le pH d’un sol trop acide, ainsi qu’elles apportent d’autres éléments minéraux.
Ils pratiquent également des brulis pour les mêmes raisons. Le feu permet aussi de se débarrasser de divers ravageurs y compris des larves d’insectes du sol.
Fait encore plus remarquable, ils pratiquent dès cette époque une forme d’enrobage des semences avec des pesticides (au minimum des répulsifs).
Ensuite est donné une excellente définition de ce que l’on appelle aujourd’hui la sélection massale qui, de fait, s’est pratiquée jusqu’au début du XXième siècle. Ce n’est qu’à partir de 1905 avec la redécouverte des travaux de Mendel (1865) que sera mis en place la sélection généalogique et que se développera la génétique.
Ils comprennent déjà qu’il existe une dégénérescence naturelle quel que soit le mode de reproduction (qu’ils ignorent d’ailleurs) des plantes qu’ils cultivent (autogames ou allogames). Ce qui est bien normal puisque le concept de variétés n’existaient pas à l’époque. Toutefois, ils se rendent bien compte que la sélection massale est un travail permanent qu’il faut renouveler chaque année.
On pourrait continuer ainsi à commenter l’ensemble du texte de ces Géorgiques et il ne fait pas de doute que les autres chapitres apporteraient beaucoup d’informations aux éleveurs et apiculteurs notamment. D’une manière plus générale, il pourrait être intéressant de relire les ouvrages concernant l’agriculture d’avant J.-C.
Au final, cela montre que nos ancêtres savaient très bien ce qu’ils faisaient afin d’obtenir en permanence les meilleurs rendements possibles et très clairement cela montre qu’ils en connaissaient beaucoup plus que toutes les mouvances pseudo-écologistes actuelles qui ne savent faire que de l’agribashing !
Illustration Virgile, Horace et Varius chez Mécène (Charles Jalabert, vers 1846).
Par Charles Jalabert — https://useum.org/museum/musee-des-beaux-arts-de-n%C3%AEmes, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=94084650
Les principaux auteurs (latins, grecs) sont listés ci-dessous
1. Hésiode : Les Travaux et les Jours (Erga kai Hêmerai)
2. Caton l’Ancien (Caton le Censeur ou Caton Tunique) (234 – 149 av. J.C.)
3. Marcus Terentius Varron (116 – 27 av. J.C. Rerum Rusticarum Libri Tres (Les trois livres de l’agriculture)
4. Aristote (384 – 322 av. J.C. Histoires des animaux (Historia Animalium) et autres œuvres
5. Xénophon (430 – 354 av. J.C Économique (Oeconomicus)
6. Abattus (4ème siècle av. J.C.)
7. Ératosthène (276 – 194 av. J.C.): Géographie (perdu)
8. Nicandre de Colophon (2ème siècle av. J.C : Georgica (perdu) et Alexipharmaca
9. Lucrèce (99 – 55 av. J.C.) De Rerum Natura (De la nature des choses)
10. Virgile (-70/ -19 av. J.C. Les Géorgiques (Georgica)
On n’a ci-dessus que des références grecques et latines d’avant J.-C. mais on peut en trouver aussi, bien que moins abondantes :
en Egypte : Imhotep ; Le papyrus de Rhind ; Le papyrus d’Aberdeen ; Les écrits de Démétrios de Phalère ; Les inscriptions de la tombe de Kagemni,
en Chine : « Le Classique des Rites » (Liji) ; « Le Livre des Merveilles » (Shan Hai Jing) ; « Les Anciens Livres de la Terre » (Nong Shu) ;
Au Japon : « Nihon Shoki » (Chroniques du Japon) ; « The Book of Agriculture » (Nōhon)
Aux Amériques : « Codex Mendoza » : document aztèque, Les écrits des Mayas, « Le livre des Céréales » (Chili)
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