
Parmi les milliards de données accumulées sur Internet (ou BigData), certaines ont « une valeur particulière » et un intérêt qui suscitent de gros appétits, et même … « des appétits d’ogre ».
Il s’agit des données « sensibles » ou « personnelles », dont l’exploitation et la commercialisation, particulièrement celles des données de santé incluant le séquençage du génome, sont l’objet d’un énorme marché qui alimente l’enrichissement exponentiel de ceux qui les acquièrent en réalisant… un hold-up tranquille !
Voici quelques années, l’usager d’Internet était stupéfait de constater, qu’ayant passé commande d’un roman par Amazon, il recevait, quelques secondes plus tard, une liste d’ouvrages, proches de son choix, ou bien, désireux de trouver un bon restaurant dans son quartier, pouvait lire des propositions si nombreuses, qu’elles compliquaient la décision finale ! Ou encore, séduit et amusé par les possibilités qu’offrent les objets connectés, il décidait de s’en doter, espérant en tirer un bénéfice pour améliorer la surveillance de son état de santé.
On a assisté, en quelques mois, à un bouleversement de cette utilisation d’Internet dans la vie quotidienne. Voici 18 mois, 37 % des personnes interrogées (Baromètre Harris Interactive) avaient confiance dans le numérique et 87 % se connectaient tous les jours Désormais la défiance l’emporte. Elle porte sur l’exploitation commerciale des données sensibles, et l’inquiétude qu’entraîne la possible consultation de ses données personnelles par des tiers.
« L’affaire Cambridge Analytica », révélée par les médias en avril dernier, explique ce chambardement planétaire. Les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook –sur 2 milliards d’utilisateurs actifs- ont été abusivement exploitées dans le monde
Pour percevoir l’ampleur du scandale et la gravité des conséquences qu’il a d’ores et déjà entraînées, des précisions sont nécessaires concernant les BigData et les données personnelles
Le bigdata ou « mégadonnées » encore appelé « données massives » désigne des ensembles de données si volumineux qu’ils dépassent les capacités humaines d’analyse, même avec l’aide des outils informatiques classiques de gestion des bases de données. L’analyse de ces masses de données a son utilité, et peut être facteur de progrès. Elle peut faire apparaître des éléments améliorant les connaissances ou la compréhension de phénomènes jusque-là inexpliqués, en faisant ressortir des corrélations entre des faits constatés sans lien apparent, et des facteurs très divers.
Ceux que l’on appelle « les géants du Web » Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, (les GAFAM), détiennent 80 % des données personnelles mondiales
Les données personnelles sont ainsi définies dans l’article 2 de la loi « Informatique et libertés », Toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable qui font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou sont relatives à la santé ou la vie sexuelle de celles-ci.
Incluses dans les « données massives », dont le nombre double tous les trois ans, ces données sensibles, obtenues sans le consentement explicite des personnes concernées, contribuent à enrichir les « Data Brokers » qui les commercialisent à grand prix.…
Il s’agit, à proprement parler, d’une aliénation, d’une dépossession de l’individu, qui perd ainsi sa maîtrise et ses propres forces.
Le « modèle économique » de l’e-économie des données personnelles est spécifique et non transposable ! C’est un marché « en boucle fermée ». Ainsi, l’utilisateur d’un Smartphone, ou le porteur d’objets connectés, fournit gratuitement et sans se soucier de l’usage qui en sera fait, « la précieuse matière première » que constituent ces données, qui lui appartiennent.
Après traitement par les GAFAM, le fournisseur–consommateur paiera très cher pour en bénéficier !
Tout bouclier de protection efficace est exclu. Ni les exigences légitimes de la CNIL, ni la directive européenne définissant le règlement général sur la protection des données (RGPD), ne permettront d’endiguer ce phénomène planétaire. Le règlement européen, désormais applicable, est censé donner plus de droits au citoyen-consommateur. Outre l’application du principe de transparence, de l’obligation du consentement préalable au recueil des données, et de l’obligation de notification du responsable, doivent être respectés le droit à l’information, le droit d’accès, le « droit à l’oubli » par effacement des données, le droit de rectification, le droit d’opposition, le droit à la portabilité des données, le droit à la limitation du traitement, le droit à la communication d’une violation de données à caractère personnel (!). …rien que cette liste non exhaustive des droits donne à penser que, même en Europe, ils ne constitueront que des droits « virtuels » dont le contrôle sera impraticable.
La CNIL ajoute, à juste titre, que les technologies de l’information et de la communication génèrent de nombreuses données personnelles (un appel passé par un téléphone portable, une connexion à Internet) et aussi des « traces informatiques » facilement exploitables grâce aux progrès des logiciels notamment les moteurs de recherche.
Les sanctions financières ou des mesures fiscales ne pourraient avoir d’efficacité que si elles s’appliquaient sur le plan international ou tout au moins européen. Or, à l’heure actuelle, l’Europe est divisée sur la taxation des GAFAM défendue par la France.
Quand le chiffre d’affaires d’une entreprise atteint 80 milliards de dollars (Google – 2016) ou 215 milliards (Apple), la condamner à une amende de 20 millions d’euros, pour pratiques commerciales abusives, ne l’empêchera pas de tourner. Le scandale autour de Facebook a fait perdre aux GAFAM, à Wall Street, 216 milliards de dollars. Mais le titre en Bourse a connu une forte hausse, le bénéfice net au premier trimestre atteignant 5 milliards de dollars, le CA étant en hausse de 49 % et le nombre d’utilisateurs mensuels actifs ayant progressé de 13 %
Même si des moyens efficaces pouvaient permettre de mettre fin au pillage des données personnelles par les géants du Web, le citoyen lui-même continuerait d’alimenter le marché, grâce aux objets connectés. On compte actuellement 15 milliards d’objets connectés à travers le monde et la prévision, d’ici 2020, est de 80 à 100 milliards.
En matière d’innovation, on évoque couramment l’idée d’un changement de paradigme c’est-à-dire d’un modèle cohérent du monde qui, jusqu’à présent, reposait sur trois principes éthiques reconnus comme universels, dont l’autonomie qui s’exprime à travers le consentement libre et exprès de la personne c’est-à-dire « la liberté de dire non ».
Cette liberté est en train de disparaître.
Au-delà d’un changement de paradigme, ne sommes-nous pas entrés dans une civilisation nouvelle, dont les « marqueurs » sont l’intelligence artificielle, les robots, l’utopie du « transhumanisme-déshumanisé », l’affaiblissement des valeurs, et la prolifération des Fake News…, civilisation dans laquelle l’autonomie de la personne se trouve, désormais, définitivement bafouée ?
Nous ne sommes pas fous…
Mais nous sommes, désormais,
Tous, inconsciemment, « des aliénés ».
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