Cité par la célèbre revue Food Navigator, le rapport sur le Bio du groupe Hartman vient de paraitre : 83% des 2800 américains sondés consomment occasionnellement des aliments bio, et environ un tiers – surtout des jeunes – en consomme sur une fréquence hebdomadaire ; malgré ce développement incontestable, les auteurs du rapport ont toutefois noté un « scepticisme croissant avec un désir de davantage de rigueur à l’égard du bio » de la part des consommateurs : 60% des sondés pensant en effet qu’il s’agit juste d’un prétexte pour facturer davantage (1). En Europe, ce n’est pas beaucoup mieux, car comme le rappelait récemment le journaliste Gil Rivière Wekstein dans une interview « Le bio traverse aujourd’hui la plus grande crise de son histoire. Après des années de croissance ininterrompue, les ventes sont effectivement à la baisse. Ainsi, selon l’institut Kantar, les grandes surfaces, qui représentent 55 % des ventes, ont vu l’année 2021 se terminer avec un chiffre d’affaires en baisse de 5,8 % dans ce secteur, alors que la croissance était de 12,4 % en 2020. » C’est dans ce contexte morose que Philippe Joudrier, Docteur en biologie, ancien directeur de recherche à l’INRA a listé une trentaines de « vérités qui dérangent » sur le bio, regroupées en six thématiques : sémantique et réglementation, environnement, économie, pesticides, qualités nutritionnelles et sanitaire, aspects sociaux. D’après l’auteur, cet inventaire à la Prévert a pour objectif d’ouvrir le débat sur l’avenir de notre industrie agro-alimentaire afin de l’aider à faire les bons choix, dans un contexte tendu, où les experts mondiaux s’attendent à de grande crises (2) du fait de la guerre en Ukraine, mais également de l’insistance des technocrates bruxellois à vouloir maintenir coûte que coûte le plan F2F (from Farm to Fork) malgré les pénuries qui s’annoncent.
Sémantique et réglementation
1. L’ AB usurpe le préfixe « bio » ce qui montre une méconnaissance de concepts fondamentaux de la biologie. « bio » signifie VIE. Tout mode de culture est intrinsèquement « bio ». Il ne peut-être l’exclusivité de l’AB (appellation également abusive ne caractérisant pas ce mode d’agriculture) ! ‘Bio’ est utilisé dans tous les domaines et en arrive maintenant à être utilisé seul comme label se substituant aux labels officiels ‘AB’ et ‘Ecocert’.
2. L’AB utilise des tactiques de lobbying contraire à l’éthique. Ces lobbies ont réussi à faire croire à tout le monde que « si c’est « bio », c’est bon, c’est beau ! et meilleur pour l’environnement, ce qui est faux !
3. L’ AB a une obligation de moyens mais pas de résultats. Elle s’auto-autorise des seuils de contamination de 5 % par des pesticides qui proviendraient, évidemment, des cultures conventionnelles voisines. Elle s’interdit les Plantes GM dont le seuil de présence éventuelle est alors de 0,9% dont on a jamais établi le moindre risque.
4. L’AB ment par omission lorsqu’elle dit ne pas utiliser de pesticides. Plusieurs centaines sont légalement autorisés et certains sont mêmes des pesticides de synthèse interdits dans leur charte.
5. L’AB qui s’interdit l’utilisation d’OGM et de pesticides de synthèse chimique, se base sur des arguments non scientifiques (le glyphosate en est le fer de lance) traduisant une méconnaissance profonde des problèmes qu’ils mettent en avant et ignorent délibérément les résultats qui les concernent !
Environnement
6. L’AB nécessite plus de main d’oeuvre notamment par le travail des enfants dans certains pays mais aussi par ceux qui ne jurent que par le désherbage manuel !
7. L’AB obtient des rendements moindres à surfaces égales (d’au minimum 30%), diminuant aussi et simultanément la biodiversité globale. Une étude récente indique qu’il faudrait multiplier par 2,3 les surfaces nécessaires à une production équivalente si on ne faisait que de l’AB !
8. L’AB se sert d’engrais organiques (manures, lisiers, fumiers, guanos, urines, composts, …). Il faut donc tenir compte des surfaces nécessaires à leur obtention dans le calcul final du rendement.
9. L’AB ne pourrait se faire sans l’élevage qui lui fournit les engrais qu’elle utilise !
10. L’AB utilise le travail du sol qui libère davantage de CO2. Les Plantes Génétiquement Modifiées – PGM- ont un meilleur quotient d’impact environnemental QIE) que celles cultivées selon le mode de l’AB, de plus elles se prêtent particulièrement bien aux techniques de conservation des sols (TCS).
11. L’AB génère davantage de polluants et de contaminations dans les eaux souterraines du fait des engrais organiques.
Economie
12. L’AB conduit à une réduction des rendements agricoles. Si ce mode ce généralisait, il conduirait, à terme, à une insécurité alimentaire de plus en plus grande. Voir l’expérience néfaste récente du SRI Lanka ayant obligé leurs agriculteurs à ne faire que de l’AB. L’AB ne peut-être une solution pour la sécurité alimentaire mondiale !
13. L’AB accentue l’exclusion sociale. Tout le monde ne peut pas se « payer du bio » qui est en général de 30 à 70% plus cher (voire beaucoup plus !)
Pesticides
14. L’AB n’a pas assimilé que, non seulement, tout est chimie dans l’univers mais que, de plus, il n’existe qu’une seule chimie. Les pesticides naturels et/ou de synthèse peuvent, selon la dose, être toxiques pour les humains (cf. B. Ames, 1990). De tous les pesticides que nous ingérons, 99,99% sont d’origine naturelle
15. L’AB n’a pas compris un concept majeur de la biologie : Tout est pesticide, rien n’est pesticide, c’est la dose qui fait le pesticide.
16. L’AB utilise des pesticides « naturels », qualifiés alors de « biopesticides » mais certains sont toxiques pour nombres d’espèces et notamment pour les abeilles. Mais pire, certains sont cancérigènes ou perturbateurs endocriniens.
17. L’AB utilise donc des pesticides qui, pour la plupart d’entre eux, n’ont pas eu à « subir » d’évaluation aussi rigoureuse que ceux autorisés en AC !
18. L’AB provoque un alarmisme exagéré sur certains pesticides perturbateurs endocriniens et les ONG en font leur fonds de commerce, ce qui n’empêche pas l’AB d’en utiliser !
19. L’AB fait souffrir inutilement les animaux souffrent lorsqu’on leur refuse des traitements thérapeutiques (antibiotiques notamment). Par ailleurs, les antibiotiques vétérinaires ne sont pas les mêmes que ceux utilisés pour l’humain.
Qualités Nutritionnelles et Sanitaires
20. L’AB comparée à d’autres modes de culture via plusieurs méta-analyses (de 2003 à 2016) ne montre aucune différence significative des produits issus de l’AB tant an niveau du goût, d’avantages nutritionnels (minéraux, vitamines, anti-oxydants, etc.) ni de bénéfices pour la santé.
21. L’AB rejette massivement les biotechnologies voire même la génétique élémentaire (le simple croisement). L’utilisation de certaines d’entre elles (connues de manière diffuse par le public et non utilisées en raison de l’opposition aux OGM en général), permettent de sauver des vies depuis des décennies (insuline, HGH…), riz doré, stress abiotiques… ! Les PGM font mieux que l’AB pour l’environnement, la sûreté et la sécurité alimentaire, faits que ne peuvent entendre les tenants du « bio » !
22. L’ AB conduit obligatoirement à des produits de qualité sanitaire moindre, aussi bien que pourra travailler l’agriculteur.
23. L’AB a conduit à de graves accidents et décès (E. coli 10% AB, 2% AC). « affaire du concombre ‘bio’», 2011 ; 54 décès, 1000 insuffisances rénales à vie). Les retraits de produits issus de l’AB sont plus fréquents que ceux provenant de l’Agriculture Conventionnelle.
24. L’AB multiplie de 5 à 8 fois le risque de contamination par des microorganismes (bactéries, virus, champignons) !
25. L’AB peut générer des produits qui augmentent la susceptibilité au cancer. Les produits se conservent moins longtemps et présentent (trop) souvent des teneurs élevées en mycotoxines toutes cancérigènes : aflatoxines, fumonisines, DON, ochratoxines, trichotécènes, ergotamine …). Ces dernières sont fréquemment à l’origine de problèmes sévères dans les élevages. Leur présence dans les céréales pour petit déjeuner ou aussi dans les pommes et le jus de pomme (patuline) sont des problèmes récurrents.
26. L’AB amplifie largement les effets supposés des produits phytosanitaires auxquels nous sommes exposés. La consommation d’1 an de résidus de pesticides représente une quantité inférieure à celle des seuls pesticides naturels contenus dans une tasse de café. Autre exemple, il faudrait manger 25 millions de pommes pour avoir l’équivalent d’un seul produit cancérigène contenu dans un verre de vin (l’alcool est, en effet, cancérigène) !
27. L’AB ne comprend pas un concept majeur de la biologie (ce qui est le comble) : Il vaut mieux manger avec (des traces de) pesticides (y compris ceux issus de synthèses chimiques) que les pestes avec leur cortège de toxines.
Aspects sociaux
28. L’AB en développant son discours exporte des idéologies anti-technologies (et anti-science) empêchant ainsi le développement d’OGM plus performant sur le plan environnemental, rendement, qualités nutritionnelles et sanitaires (riz doré, plantes fortifiées, tolérant mieux les stress abiotiques) et notamment pour les PeD, ce qui est totalement amoral !
29. L’AB diffuse sans cesse des campagnes en faveur du « bio » qui dénigrent les agriculteurs conventionnels (agribashing de plus en plus intense) ce qui est totalement injustifié car l’AC a toujours fait de bons produits tout en améliorant sans cesse les pratiques culturales (moins d’intrants et de pesticides). Ce sont d’ailleurs ces produits qui ont nourri les pays développés depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale tout en ayant une contribution significative à l’augmentation de l’espérance de vie !
30. L’AB a des comportements totalitaires en voulant imposer (au nom d’un mieux -imaginaire- pour les êtres humains) leurs conceptions et la consommation de leur production notamment et surtout dans les cantines scolaires.
Chacun de ces points nécessiterait d’être développé mais chacun peut aussi en trouver d’autres. Ils indiquent clairement que l’AB n’est pas LA solution pour diminuer la part carbone générée par l’agriculture en général mais aussi et surtout pouvoir continuer à nourrir une humanité croissante !
Image par Alexas_Fotos de Pixabay
Quelques références concernant les différents thèmes :
(1) Organic gains distribution, but also faces increased skepticism, competition
(2) La plus grande crise alimentaire de l’histoire arrive
Sémantique et réglementation
http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/documents/pdf/guide-protection-plantes5_cle093f89.pdf
Environnement
https://ourworldindata.org/is-organic-agriculture-better-for-the-environment
http://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/aa6cd5
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301479712004264
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1871678410005455
Economie
Knapp S et al., 2018. A global meta-analysis of yield stability in organic and conservation agriculture https://www.nature.com/articles/s41467-018-05956-1
Laurent Pahpy : Le mirage bio, Hugo doc, nov 2021
Gil Rivière-Wekstein : Bio, fausses promesses et vrai marketing, Le Publieur, 2011.
Kressmann G. L’ère du bio business est en marche. juin 2021
Pesticides
Ames BN, Profet M & Gold LS, 1990. Dietary pesticides (99,99% all natural). PNAS, (USA) Vol.87, p. 7777-7781.
Ames BN, Profet M & Gold LS, 1990. Nature’s chemicals and synthetic chemicals: Comparative toxicology. PNAS (USA) Vol. 87, p. 7782-7786.
Qualités nutritionnelle et sanitaire
Joudrier P. 2021 : rappels alimentaires : méfiez vous toujours du « bio » !
Jean-Paul Oury : Greta a tué Einstein : la science sacrifiée sur l’autel de l’écologisme, décembre 2020, VA Editions
Message et al, 2020. Limitations in the evidential basis supporting health benefits from a decrease exposure to pesticides through organic consumption. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2468202019300919
Gil Rivière-Wekstein : Panique dans l’assiette. Le Publieur. 2017
Sylviane Draggacci, Zakhia-Rozis, Pierre Galtier : dangers dans l’assiette. QUAE, 2011
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L’agriculture bio, cheval de Troie de la décroissance agricole ?
Monsieur le Directeur de recherche,
Après cette lecture percutante et blessante, un seul message : venez à la rencontre d’agriculteurs bio français ouverts, heureux de faire connaître et même de faire évaluer par quiconque le souhaite leur système agro-éco systémique en polyculture élevage. Toutes vos assertions n’y résisteront pas. Quel dommage, pour un scientifique de haut niveau, d’être devenu aussi caricatural, sans nuances ! Défendre OGM et PGM à tout prix ne le nécessite pas. En tous les cas, n’hésitez pas à venir. Nous serons heureux d’être audités par un grand nom de la science et surtout nous progresserons sans doute. Cordialement,
M-F Brizard agricultrice membre de l’Académie d’Agriculture