L’idée de remplacer les produits pétroliers par des carburants alternatifs produits à partir de l’agriculture date des crises pétrolières de 1973 et 1979. Mais hormis le développement de bioéthanol à partir du sucre de canne au Brésil, l’idée ne s’était pas concrétisée faute de viabilité économique. C’est la frénésie pour une certaine forme de développement durable au milieu des années 2000, combinée à une convergence de réalités, qui a fait émerger un intérêt politique pour les biocarburants.
Un engouement rapide
En effet, à cette époque, il faut concrétiser l’accord de Kyoto sur le changement climatique et le prix du pétrole augmente fortement. Sous la pression du mouvement écologiste, Mme Merkel veut montrer un visage « vert » et demande à la Commission européenne d’élaborer une « feuille de route » afin d’imposer par des aides financières certaines énergies renouvelables. Parallèlement, la France cherche un moyen « légal » pour subventionner son agriculture.
Avec le même objectif, George W. Bush – pourtant qualifié de pétrolier – décide même de subventionner les agriculteurs américains produisant ce carburant synthétique. Enfin, les compagnies pétrolières veulent elles aussi se montrer attentives à la sauvegarde de l’environnement ; un engagement qui, en tout état de cause, ne sera pas payé par elles-mêmes mais par les consommateurs de produits pétroliers.
Avec une rapidité et une unanimité rares, la stratégie est mise en place. La technologie pour produire des carburants de synthèse existe déjà ; somme toute, il « suffit » de faire payer le surcoût, en faisant croire aux consommateurs que cela va améliorer l’environnement et changer la géopolitique du monde en supprimant la dépendance aux « pays du Moyen-Orient ». Le Conseil européen réuni à Göteborg les 15 et 16 juin 2001 est convenu d’une stratégie communautaire pour le développement durable, qui consiste en une série de mesures comprenant le développement des biocarburants. La production de biocarburants devient une réalité qui va changer le monde de l’énergie ! Dans un premier temps, la directive 2003/30/CE se contente d’un objectif indicatif, invitant les États membres à veiller à ce qu’un pourcentage minimal de 2 % de biocarburants soit mis en vente sur leurs marchés nationaux avant le 31 décembre 2005.
Avant même que l’on puisse évaluer les différents impacts de cette directive, le Conseil européen de mars 2007 invite la Commission à proposer une directive globale concernant l’utilisation de toutes les sources d’énergie renouvelable et couvrant tous les biocarburants qui intègrent des critères de durabilité. On décide de rendre obligatoire la consommation de biocarburants dans une directive négociée par Nicolas Sarkozy durant la présidence française du second semestre de 2008. La directive
2009/28 fixe à 20 % la part des énergies renouvelables dans la demande finale totale d’énergie de l’UE et à 10 % la part minimale de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation d’énergie destinée aux transports, dans chaque État membre d’ici à 2020.
Un carburant pas si « vert » que cela
Les seuls à s’être opposés à cette décision sont les écologistes. Ils considéraient que dans cette belle corbeille de fruits des énergies renouvelables, celui des biocarburants est « pourri » car l’impact sur les émissions de CO2 ne serait pas aussi positif qu’on voulait le faire croire. La négociation fut rude, de sorte que la directive prévoyait par exemple que, pour être éligibles, les biocarburants devraient réduire les émissions de CO2 par rapport aux produits pétroliers d’au moins 35 % au moment de la mise en œuvre de la directive, 50 % et 60 % respectivement pour les installations de production construites en 2017 et 2018.
Les faits ont donné raison aux écologistes, car on s’est assez rapidement aperçu que les avantages environnementaux des biocarburants n’étaient pas ceux escomptés. La principale raison en est la destruction de terres à la diversité biologique riche, destruction appelée dans le jargon « modification indirecte de l’affectation des sols » (Indirect Land Use Change– ILUC). Or, la directive prétendait que ces ressources épuisables, dont la valeur pour l’humanité tout entière est reconnue dans plusieurs textes internationaux, devraient être préservées, allant même jusqu’à dire que les consommateurs jugeraient moralement inacceptable que l’utilisation accrue de biocarburants puisse avoir pour effet de détruire des terres riches en termes de diversité biologique. Des critères de durabilité ont donc été définis, notamment pour la forêt primaire, d’après la définition utilisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le texte européen de 2009 précise ainsi « Dans le cas où des terres renfermant des quantités importantes de carbone, dans leur sol ou leur végétation, sont converties pour cultiver des matières premières nécessaires à la production de biocarburants ou de bioliquides, une partie du carbone du sol est généralement libérée dans l’atmosphère où il forme du dioxyde de carbone.
Les incidences négatives qui en résultent sur les gaz à effet de serre peuvent atténuer, et même dans certains cas annuler, les effets bénéfiques de l’utilisation de biocarburants ou de bioliquides. » La directive prévoit également que, « compte tenu de la grande valeur que présentent sur le plan de la diversité biologique certaines prairies, aussi bien en zones tempérées que tropicales, y compris les savanes, steppes, terrains broussailleux et prairies biologiquement très riches, les biocarburants produits à partir de matières premières cultivées sur ce type de sols ne devraient pas bénéficier des mesures financières d’incitation prévues par la présente directive ».
Une stratégie qui tourne au fiasco ?
Car in fine, ce sont bien les subventions qui sont en jeu. La production de biocarburants n’ayant aucun sens économique, on a justifié leur consommation par l’intégration des coûts externes, coûts que personne n’est en mesure de calculer, causés par la pollution due à l’utilisation des produits pétroliers. La directive prévoit que les États membres peuvent – en fait, « doivent », car autrement, personne ne le ferait – définir des « régimes d’aides » c’est-à-dire octroyer subventions aux distributeurs et aux producteurs européens de biocarburants.
Les écologistes ont eu gain de cause. Dans un premier temps, la directive a été légèrement amendée (directive 2015/1513), en remplaçant le minimum de 10 % par un maximum de 7 % de biocarburants « de première génération » (voir l’encadré ci-contre) dans la consommation finale d’énergie dans le transport. En vue de favoriser l’utilisation des biocarburants de deuxième génération, elle propose un sous-objectif indicatif non contraignant de 0,5 % de biocarburants avancés pour 2020.
Mais plus récemment, en 2018, une nouvelle directive a été adoptée (non encore publiée au Journal Officiel à l’heure où s’écrivent ces lignes) actant la baisse d’enthousiasme pour ces solutions sans avantages environnementaux. Les biocarburants et le biogaz-carburant de seconde génération devront représenter au minimum 0,2 % de la part des biocarburants utilisés d’ici à 2022, 1 % d’ici à 2025 et 3,5 % d’ici à 2030. Plus important, les biocarburants, bioliquides et combustibles biomasses utilisés dans secteur des transports, produits à partir de cultures alimentaires humaines et animales, ne peuvent représenter qu’un point de pourcentage de plus que la consommation de ces mêmes carburants en 2020 avec un seuil maximum de 7 %. Les États membres qui s’étaient déjà engagés de manière significative dans la production de biocarburants pourront donc en produire encore un pourcent de plus, tout en restant en dessous des 7 %. Mais le message le plus évident est qu’il n’y a plus de minimum pour les carburants produits à partir de produits alimentaires.
Non seulement les biocarburants sont mauvais pour l’environnement et pas uniquement en termes d’émissions de CO2, mais le prix du pétrole a entretemps été redimensionné par des facteurs totalement étrangers à cette illusion[1].
Cela n’est jamais dit aussi ouvertement, mais cette obligation de production de biocarburants à partir de cultures alimentaires est bel est bien un fiasco. Lorsque les politiques affirment que leurs décisions doivent être technologiquement neutres, ils seraient bien avisés de suivre leur propre conseil. En matière d’énergie, les décisions politiques ne montrent leurs effets que des années plus tard, avec presque toujours des conséquences fâcheuses sur l’économie, voire la géopolitique.
[1] ce sujet, lire le dernier ouvrage de l’auteur, The Changing World of Energy and the Geopolitical Challenges (voir furfari.wordpress.com).
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