Dans un rapport récent la Cour des Comptes recommande de réduire la consommation et la production de viande. L’objectif serait de respecter les objectifs de réduction des émissions de GES que la France a conclu avec la commission européenne dans le cadre du plan de décarbonation européen.
Alors que la Cour des Comptes a pour mission de vérifier le bon usage des deniers publiques (et de ce côté il y a du pain sur la planche), voilà qu’elle souhaite rappeler publiquement qu’elle aussi veut participer au sauvetage de la planète. Elle épouse l’idéologie du moment portée par les innombrables associations, agences, média, ONG qui utilisent leur accès privilégié à l’espace public pour prendre parti dans un débat technique et culturel majeur de notre société.
Avec ses 0,9% des émissions mondiales de GES, l’état français armé de sa technocratie s’est lancé un défit digne de son rang : devenir l’exemple aux yeux du monde de la réduction des émissions de GES.
Alors qu’elle a depuis longtemps délocalisé ses usines et qu’elle a installé une énergie particulièrement propre, la France a signé des engagements de réduction de GES très ambitieux pour démontrer à ses collègues du G7 combien elle est exemplaire. Or contrairement aux autres pays, la France ayant déjà optimisé sa production d’énergie et délocalisé son industrie, les réductions supplémentaires d’émissions deviennent dès lors très couteuses et très contraignantes. Quand il ne reste plus que l’agriculture et les usines alimentaires comme industrie, c’est forcément sur elles que les efforts résiduels doivent se porter.
Production animale et végétale : deux faces de la même activité
Quand on calcule donc les émissions de GES de cette dernière industrie encore debout dans notre pays, on découvre en effet que les productions animales en représentent une part significative (12,8%. Cf annexe). Mais en conclure qu’il suffit de les réduire pour régler le problème constitue une erreur fondamentale qui n’est pas surprenante quand on ne connait pas les cycles naturels qui s’imposent à l’agriculture et aux paysans.
Les productions animales et végétales sont deux faces de la même activité : la production agricole. Côté animal, les ruminants transforment en protéines et en énergie l’herbe des prairies permanentes des surfaces non cultivables, d’autre part les monogastriques consomment majoritairement des co-produits issus des industries de transformation agricoles et alimentaires (quand ceux-ci n’ont pas été interdits par le principe de précaution). Les animaux d’élevage produisent en général plus de protéines consommables pour l’homme quelles n’en consomment. (1)
Côté végétal, les lisiers et fumiers issus des élevages servent à fertiliser les terres agricoles en matière organique, en azote et en phosphore. C’est ainsi par le bouclage des cycles naturels que les productions animales et végétales se complètent pour assurer la permanence des cycles et ainsi la durabilité de l’agriculture. C’est en ayant éliminé l’élevage des grandes plaines céréalières de France que l’on a appauvri les terres en biodiversité et en matière organique, et que des amendements minéraux sont nécessaires chaque année.
Optimisation du foncier et de la main d’oeuvre disponible : le b.a.-ba de l’économie locale
Si on admet que nos experts en comptabilité nationale ont assimilé la notion de circularité de l’agriculture, ils doivent maintenant comprendre le volet économique de l’activité agricole. Chaque exploitant optimise son foncier et la main d’œuvre disponible par les productions les mieux adaptées pour la vie économique de l’exploitation. Une exploitation au foncier réduit privilégiera des productions intensives comme la volaille et le porc. Si le climat et la terre le permettent et qu’il existe de la main d’œuvre disponible, le maraîchage ou les vergers seront des productions possibles. En montagne ou dans les zones humides où les prairies permanentes sont majoritaires, l’élevage de ruminant sera la seule activité possible pour exploiter le foncier et faire vivre l’exploitant et sa famille au cœur de territoires défavorisés. Un foncier important (300 ha) dans des plaines fertiles et remembrées permettra de faire vivre une famille par la culture de céréales. Mais les surfaces nécessaires pour une exploitation céréalière sont telles que malgré des bons rendements les territoires sont vides. Les productions animales génèrent elles suffisamment de valeur ajoutée pour faire vivre plusieurs exploitants sur un petit territoire et ainsi peupler les campagnes.
Une proposition d’autant plus absurde qu’elle est inefficace
Réduire ou supprimer l’élevage de ruminants bouleverserait les équilibres biologiques et économiques des territoires sans pour autant influer de manière significative sur le réchauffement climatique. La France aurait peut-être une bonne note au niveau européenne et pourrait se vanter d’être un exemple mais au prix d’une nouvelle détérioration de son industrie et de son autosuffisance alimentaire. (On en parle même plus des devises rapportées par les exportations).
Si des actions favorables au climat et à la biodiversité devaient être promues par les politiques publiques, nul doute que la relocalisation de la production de protéines en Europe et lieu et place du soja américain importé serait bienvenue. Pour compenser l’avantage de la productivité du soja américain, un soutien à la production nationale de protéagineux (pois, féverole, soja, lupin…) sera indispensable (2).
Une seconde politique favorable serait de coupler à nouveau sur les même territoires les productions animales et végétales afin de boucler les cycles à l’échelle régionale. Des porcs et des volailles en Beauce pour consommer les co-produits et amender les terres céréalières. Un beau programme.
- Laisse S., Baumont R., Turini T., Dusart L., Gaudré D., Rouillé B., Benoit M., Rosner P-M., Peyraud J-L., 2017. Efficience alimentaire des élevages : un nouveau regard sur la compétition entre alimentation animale et humaine. Colloque du GIS Elevages Demain, 17/10/2017, Paris.
- Académie de l’agriculture : « Autonomie et protéines pour l’élevage français et européen : quelles perspectives ? ». 31 mars 2021
Image par Mudassar Iqbal de Pixabay
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Localiser les productions animales dans les régions céréalières?
Un des facteurs limitants des productions animales est la présence ou non d’outils de transformation, abattoir, laiteries.
Les outils ferment dès que la production n’est plus suffisante, et dans une logique économique, ces outils doivent être saturés. Et ce n’est pas dans l’air du temps de transporter longtemps du lait ou des animaux vivants.
Et dans cette logique, cela voudrait dire que l’on réduise drastiquement les productions animales dans les régions déjà désavantagées agronomiquement, beau programme en vérité.
On retrouve un peu cette idée dans la volonté du gouvernement des Pays Bas, de réduire les productions animales de 30 % (sans trop se soucier d’ailleurs de savoir où l’on allait produire l’équivalent de cette perte de production).