Ingénieur maître en gestion de l’environnement, auteur de « Une histoire naturelle de l’homme, l’écologie serait-elle une diversion ? », Bertrand Alliot (1) est également porte-parole d’Action Ecologie (2), une association dédiée à la protection de la nature. Cette jeune association qui compte déjà plus de 5000 donateurs vient de réagir par un communiqué à la proposition du WWF qui a lancé une pétition pour imposer un passe climatique au futur président Bertrand Alliot nous explique l’esprit de cette démarche.
The European Scientist : Bertrand Alliot vous êtes porte-parole d’Action Ecologie pouvez-vous nous présenter votre association ainsi que ses objectifs ?
Bertrand Alliot : Action Écologie est une nouvelle association qui entend faire émerger un nouveau discours sur la protection de la nature et de l’environnement et souhaite lutter contre les excès de l’écologisme. Nous sommes en effet excédés par le discours de l’apocalypse qui est en train de faire beaucoup de mal à notre pays. Sur ces questions, il faut se calmer un peu et devenir raisonnables plutôt que de sombrer dans l’hystérie.
Par ailleurs, nous refusons de mêler les sujets « sociétaux » aux sujets environnementaux comme le font les partis verts et même certaines grandes ONG. Non, il n’y a pas de lien direct entre l’écologie et les thèses de la déconstruction et je ne sais quel autre sujet encore. Nous souhaitons dire stop à ce mélange des genres.
Enfin, nous sommes attachés à nos paysages et à notre art de vivre et nous en avons assez que le monde de l’écologie soit toujours aux avant-postes de la déconstruction en voulant mettre fin au Tour de France, retirer les sapins de Noël et arrêter de manger de la viande. Nous existons pour faire valoir qu’une autre écologie est possible, une écologie rationnelle, positive et qui arrête de se faire des ennemis partout. Notre association compte déjà 5000 donateurs : c’est exceptionnel pour une association aussi jeune. Cela veut dire que notre discours touche beaucoup de gens.
TES. : Vous critiquez le catastrophisme ambiant de l’écologisme. Pourquoi cela représente-t-il un problème ?
B.A. : Sans doute depuis le XIXème siècle, le mouvement de l’écologie est catastrophiste : il postule que l’humanité va rencontrer de gros problèmes environnementaux qui vont finir par menacer l’espèce humaine ou affecter de manière durable la « civilisation ». Cette vision du monde est restée très longtemps cantonnée à la sphère de l’écologie. La nouveauté aujourd’hui c’est que les élites politiques et économiques ont repris sans nuance ce diagnostic de « crise écologique » notamment par ce qu’ils se sont laissés convaincre de l’existence d’une « urgence climatique ». Or, il y a deux problèmes avec cette « crise ».
Le premier est que nous sommes ignorants. Il y a bien un réchauffement climatique, mais nous ne savons pas vraiment, contrairement à ce que rapporte les médias, quelles seront les conséquences. On nous brosse un tableau apocalyptique, mais en étudiant le sujet de plus près, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’incertitudes et que le pire n’est absolument pas certain. Le second est que nous sommes de toute façon dans l’incapacité d’élaborer une réponse adéquate : aucune solution viable n’existe pour traiter le problème que nous pensons avoir identifié.
Inspirés par la peur, certains Etats comme la France sont pourtant en train de désorganiser leur économie en réformant trop radicalement leur politique énergétique par exemple. Voilà le problème : le catastrophisme est mauvais conseiller et va entrainer des problèmes et des troubles sociaux importants… La réalité est qu’il est bien plus probable que ce soit le catastrophisme lui-même qui engendre l’effondrement plutôt qu’un évènement apocalyptique de type climatique. On se demande d’ailleurs si certains États ne sont pas en train de s’en rendre compte à leur dépend.
Regardez l’Allemagne qui en l’espace de 72 heures veut rebrancher ses centrales nucléaires, refuse finalement d’entériner la fin du moteur thermique proposé par la commission européenne et décide d’investir 100 milliards d’Euros dans son armée. La tête dans les nuages, elle pensait être en capacité de sauver la Terre et renonce soudainement à tout pour espérer sauver sa peau. L’horizon de la politique c’est l’espace restreint et le lendemain, ce n’est pas l’espace infini de la Terre mère et les calendes grecques des siècles à venir. Le catastrophisme écologique nous éloigne des réalités concrètes. C’est pourquoi, plutôt que du monde et de sa fin, elle doit se soucier du jardin et du quotidien. C’est notamment pour le rappeler qu’Action Ecologie existe.
TES. : Dans un communiqué (3) de presse vous venez de dénoncer le « passe climatique » du WWF, pouvez-vous nous expliquer cette opération et ce que vous lui reprochez ?
B.A. : Le WWF vient de lancer une pétition intitulée « imposons un passe climatique au ou à la futur.e président.e ». L’ONG veut que la président de la République présente son « passe climatique » à chaque fois qu’il « compte prendre une décision au cours de son mandat ». Elle demande que le futur président s’impose une discipline de fer pour sortir de la « crise écologique » après que cette même discipline a été imposée aux français face à la « crise sanitaire ».
Le milieu de l’écologie est déjà catastrophiste et passe son temps à faire peur aux gens et maintenant le voilà en train remuer le couteau dans la plaie en agitant un outil coercitif qui divise profondément la population française. Bien sûr, cette initiative relève davantage du « coup de com » dans une période électorale où chacun veut exister. Il est évident que le WWF veut surfer sur la vague médiatique en recyclant un élément emblématique de l’actualité. Mais, pendant les périodes difficiles, les communicants doivent la mettre en veilleuse…
Par ailleurs, évoquer un passe climatique n’est pas si anodin. Le WWF ravive inutilement les angoisses et propage, peut-être malgré elle, cette idée que la politique environnementale doit s’appliquer grâce à l’avènement d’une société de contrôles généralisés. C’est comme si l’ONG donnait du crédit aux thèses folles qui circulent dans l’opinion publique et qui promettent le déploiement d’une vaste surveillance écologique succédant à la surveillance Covid. Il y a certain sujet qu’on ne manipule pas à la légère, il faut que le WWF le comprenne.
TES. : « Société de contrôle généralisé » : pensez-vous vraiment que cela soit l’intention du WWF ?
B.A. : Dans le milieu de l’écologie, il y a une dimension autoritaire évidente. Elle est d’ailleurs en parfaite cohérence avec le diagnostic posé : si la crise est telle qu’elle est décrite alors c’est avec raison qu’il faut proposer des mesures fortes et coercitives. C’est pourquoi je ne cesse de répéter qu’on ne peut critiquer les mesures proposées par certains écologistes sans remettre en cause le diagnostic de l’apocalypse.
Je ne crois pas que ce soit l’intention immédiate du WWF de mettre en place une société de surveillance généralisée. Avec Action Ecologie, nous disons simplement qu’en prenant l’initiative de cette pétition, il entretient l’ambiguïté sur les intentions du mouvement global de l’écologie. Le WWF est une institution célèbre et populaire et cette notoriété devrait l’inciter à la prudence.
Ceci étant dit, je ne serais pas surpris qu’à l’avenir certaines grandes ONG comme le WWF soutiennent une forme d’autoritarisme si celui-ci devait se mettre en place un jour pour des raisons écologiques ou prétendument écologiques et ce pour toutes les raisons que j’ai déjà exprimées. Il faut donc rester vigilant.
TES. : Vous proposez de remplacer le ministère de la transition écologique par un ministère de l’environnement. Pouvez-vous nous expliquer cette idée ?
B.A. : Le ministère de l’écologie est devenu obèse. Il est notamment en charge des politiques du logement, de l’énergie, des transports… Ce n’est que très récemment que ces thèmes ont été rattachés à ce ministère. Si on poursuit la logique, on va bientôt lui rattacher l’agriculture, l’industrie et ainsi de suite car on peut estimer que toute activité est source de pollution, de gaz carbonique, etc. Toutes les activités administrées par l’Etat vont être conduites en faisant fi de tous les autres sujets et on va se diriger immanquablement vers des politiques de décroissance. Regardez où nous en sommes avec les politiques de l’énergie qui ont, sous la férule des ministres de l’écologie successifs, désorganisé la production d’électricité en France au point de rendre notre pays de plus en plus fragile économiquement. L’objectif principal d’une politique de l’énergie n’est pas de diminuer la pollution mais d’assurer un approvisionnement abondant et bon marché. Or, si vous confiez le thème de l’énergie à un ministère de l’écologie il finira toujours par l’oublier ou par en faire un objectif secondaire…
C’est pourquoi ce ministère doit redevenir ce qu’il était au départ : un ministère de l’environnement qui s’occupe de la lutte contre les pollutions, les nuisances et les risques dans les domaines de l’air, de l’eau, des déchets, des installations classées ainsi que des questions de protection des espèces et des espaces naturels. Il est là pour essayer de corriger ou d’infléchir les politiques de l’Etat pour que celui-ci intègre mieux les enjeux environnementaux, mais, en aucun cas, il est là pour les conduire. Il doit intervenir « secondairement » au risque de rendre tout développement impossible ou kafkaïen. De manière générale, il serait utile de revenir à la notion d’environnement qui a totalement disparu. Elle charrie moins de passion et d’irrationalité que la notion « d’écologie ». Le retour du ministère de l’environnement délesté de l’énergie, des transports et du logement serait donc un excellent signal.
(1) https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/lhomme-est-comme-un-ours-sur-son-tas-dordure-bertrand-alliot-interview/
(2) https://actionecologie.org
(3) https://actionecologie.org/wp-content/uploads/2022/02/AE-CP-WWF.pdf
Ouvrage de Bertrand Alliot